MosaikHub Magazine

10 juillet 1958. Décès à 32 ans de l’homme le plus gros du monde, bloqué devant l’hôpital.

vendredi 10 juillet 2015

L’Américain Robert Earl Hughe, 483 kilos, décède lors d’une crise d’urémie, faute de pouvoir franchir la porte de l’hôpital.
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Qu’aurait dit Cyrano en voyant Robert Earl Hughes ? On peut l’imaginer : "C’est une colline !... C’est une montagne !... C’est un continent ! Que dis-je, c’est un continent ?... C’est une planète !" C’est que cet homme dégoulinant sur son lit ne pèse pas loin d’une demi-tonne. En regard, Hollande paraît filiforme... Pauvre Robert Earl, empereur au pays des obèses ! Le 10 juillet 1958, il décède alors qu’il n’a que 32 ans. Quelques jours auparavant, il avait commencé à se plaindre d’une grande fatigue et de démangeaisons sur tout le corps. Sa belle-soeur Lillian lui conseille alors de faire la sieste pour attendre que cela passe. Seulement, cette fois, Robert lui répond craindre de ne jamais se réveiller s’il venait à s’endormir.

Inquiétée par cette réponse, Lillian appelle son époux Guy, frère de Robert. Il faut consulter un médecin. Lequel ? Surtout pas le docteur Pierre Dukan, qui a laborieusement réussi à faire maigrir l’obèse de 500 grammes durant les 24 derniers mois... Mais d’abord il faut quitter le parc d’attractions de Bremen, dans l’Indiana, où Robert se produit dans sa caravane avec le titre d’"homme le plus gros du monde". Guy attelle celle-ci à sa propre voiture pour la conduire sur un parking isolé de la ville. Les médecins arrivés au chevet de la gigantesque masse humaine s’empressent de fixer sur ses énormes bras trois brassards pour mesurer sa pression artérielle. Leur diagnostic tombe : l’homme le plus gros du monde a la rougeole. Ses reins faiblards sont menacés. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à faire pour le soulager. Progressivement, Robert Earl s’enfonce dans le coma. Il faut le conduire aux urgences de l’hôpital de la ville. Seulement, il est tellement gros qu’il est impossible de l’introduire par la porte d’entrée.

Huit heures de toilette

Il faut finalement se résoudre à soigner Robert dans sa caravane. Pour l’aider à respirer, on apporte des bouteilles d’oxygène et on le met sous perfusion. Lillian et Guy restent à son chevet, lui épongeant le front et lui tenant la main. La jeune femme pousse le zèle jusqu’à lui rafraîchir les pieds. Ce qui fait dire à son époux à haute voix que son pauvre frère n’est même pas capable de comprendre qui lui nettoie les pieds. À ces mots, Robert bouge un peu et dit de façon intelligible : "Lillian me lave les pieds !" Avant de retomber dans un coma dont il ne se relève pas. Deux jours plus tard, son coeur lâche. Robert Earl Hughes, prisonnier de ses quintaux de graisse, pousse son dernier soupir. Guy refuse aux médecins curieux d’autopsier son frère. Toujours à l’intérieur de la caravane, le corps est transporté jusqu’à l’entreprise de pompes funèbres locale où les embaumeurs n’ont pas d’autre choix que de le traiter sur son lit. Il est déshabillé, lavé avec une solution désinfectante, et plusieurs dizaines de litres de formol sont injectés dans ses artères. Son sang et les autres liquides récupérés à la veine jugulaire. Un petit coup d’aspirateur dans les différentes cavités du corps pour éliminer les liquides internes et les organes inutiles, désormais. Nettoyage, maquillage et rhabillage de Hughes. Un boulot de titan qui aurait pu servir de treizième travail à Hercule... Malgré huit heures de toilette, les croquemorts ont l’élégance de ne pas réclamer de prime.

La fabrication du cercueil renforcé avec de l’acier prend plusieurs jours. Contrairement à ce qui est écrit dans le Livre des records, l’homme le plus gros du monde n’est donc pas enterré dans une caisse à piano... Il y a du monde pour suivre le cortège. La famille, les artistes, mais aussi de nombreux curieux se croyant encore à la fête foraine. Les plaisanteries fusent. Certains se mettent en chasse de souvenirs. Le convoi arrive enfin dans le minuscule cimetière de Benville, en Illinois, où le cercueil de Robert Earl est descendu au moyen d’une grue dans une tombe à proximité de celle de ses parents. La pierre tombale, payée par des résidents locaux, est gravée des mots : "Robert Earl Hughes / 4 juin 1926-10 juillet 1958 / L’homme le plus lourd au monde / Poids 1 070 livres".

100 kg à 7 ans, 170 à 10 ans, 225 à 12 ans !"

Robert Earl naît dans une famille modeste du Missouri. Il pèse 5,3 kg à la naissance. C’est encore raisonnable. Quelques semaines après sa venue au monde, ses parents - Georgia, 20 ans et son époux Abe, 48 ans - traversent le Mississippi pour s’installer dans une ferme, près de Fishhook, en Illinois. Vers l’âge de trois mois, le jeune Robert Earl se met à tousser de plus en plus fort. La coqueluche est diagnostiquée. Dès lors, il se met à grossir d’une façon exponentielle. Les médecins pensent que la coqueluche a déréglé son hypophyse. À 7 ans, quand il intègre l’école, il passe la barre des 100 kilos. Autant que son instituteur. Chaque jour, son père l’accompagne à pied à l’école par peur qu’il ne reste embourbé dans un fossé. Malgré son poids et sa grande taille, c’est un enfant enjoué et souriant. Ses camarades, loin de le moquer, l’aiment bien. Il apprend à lire et à écrire avec facilité. Et sa mémoire est infaillible.

À 10 ans, la balance familiale rend l’âme. Son père le transporte en carriole jusqu’à l’épicerie de Fishhook pour le peser sur la balance commerciale. Elle affiche 170 kilos ! Trois Pujadas... Un médecin attiré par la curiosité examine Robert Earl avant de confier à ses parents qu’il mourra probablement avant ses 15 ans. Charmant ! À 12 ans, le garçon pèse déjà 225 kilos. Il a beaucoup de mal à se déplacer. Les rares tentatives de régime ne donnent rien. Chaque jour, il emporte à l’école quatre litres de lait et deux pains pour se sustenter. En classe de CM2, il tombe dans un fossé embourbé sur le chemin de l’école ; pour le sortir de là, il faut aller chercher un tracteur. À 12 ans, il atteint le quart de tonne et a de plus en plus de mal à se déplacer.

D’humeur joyeuse

Finalement, Robert Earl doit renoncer à l’école. Il reste à la maison, aidant sa mère à effectuer les corvées ménagères. Il continue à se gaver sans que ses parents osent l’en empêcher. À 20 ans, il franchit le cap des 320 kilos. Les rares tentatives de régime avortent encore rapidement. Lorsqu’il a 21 ans, sa mère disparaît. C’est alors son père, Abraham, qui prend le relais pour s’occuper de lui, aidé par ses deux autres fils, Guy et Don, de corpulence ordinaire, eux. Robert Earl ne bouge pas, mais il aime lire, écrire des lettres et écouter la radio. Il reste d’humeur joyeuse. Il commence par se produire dans les foires et les fêtes de la région pour aider financièrement son père. Il aime ces sorties qui lui permettent de côtoyer le monde extérieur dont il est curieux. Des journalistes viennent l’interviewer et le photographier. Il devient une petite vedette. Il aime. Hollywood vient le filmer. Trois starlettes enfilent ensemble une de ses salopettes. Mais, l’inverse n’est pas vrai... Il reçoit des milliers de lettres. Marcela Iacub, à la recherche d’un nouveau thème pour un bouquin, lui déclare sa flamme... Des concessionnaires automobiles, des cinémas, des magasins de fringues l’invitent pour faire leur pub. Il achète la caravane de soeurs siamoises pour mieux sillonner le pays et apparaître dans des cirques et des foires.

En 1956, un promoteur lui propose le contrat du siècle : 40 000 dollars pour apparaître dans les plus grands shows de télévision de l’époque, à commencer par celui d’Ed Sullivan. Il accepte. Mais il faut se rendre à New York. Aucune compagnie aérienne ne l’accepte à bord d’un avion de ligne ordinaire, aussi décroche-t-il une dispense pour pouvoir voyager à bord d’un avion de fret. À son arrivée, il est conduit dans un palace où des tailleurs d’une célèbre marque de magasins lui rendent aussitôt visite pour lui confectionner un costume de Père Noël. On le lui fait enfiler et des photographes prennent des centaines de clichés avant de s’enfuir. Le promoteur qui l’a fait venir à New York ne donne plus signe de vie. Robert Earl se retrouve abandonné à l’hôtel. L’histoire des shows de télévision, c’était du bidon, l’escroc voulait simplement les photos, certainement pour les revendre. Le jeune obèse n’a pas le moindre sou pour payer l’hôtel ni son billet de retour. L’Armée du salut doit lui venir en aide. Le voilà de retour dans la ferme familiale. Les ouvriers de Florange lui envoient un télégramme de soutien pour lui expliquer qu’il n’est pas le seul à avoir été trahi et abandonné...

Le temps de récupérer de sa déconvenue, Robert Earl reprend ses exhibitions, accompagné par Guy et Lillian, jusqu’à ce fameux jour de juillet où l’homme le plus gros du monde quitte la pesanteur terrestre...


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