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10 septembre 1419. Trahissant sa parole, le futur Charles VII fait assassiner Jean sans Peur.

jeudi 10 septembre 2015

Sous prétexte d’une alliance, le dauphin attire le duc de Bourgogne dans un guet-apens sur le pont de Montereau.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Il n’y a rien de plus ennuyant, de plus obscur, que la guerre de Cent Ans. Pourtant, certains épisodes de cette longue guerre entre Français et Anglais sont particulièrement sordides et, pour cela même, passionnantes. Par exemple, le meurtre de Jean sans Peur, le 10 septembre 1419, victime d’un guet-apens monté par ce faux-cul de dauphin Charles.

À 48 ans, Jean sans Peur est à la fois duc de Bourgogne, comte de Flandre, d’Artois et de Charolais, comte palatin de Bourgogne, seigneur de Mâcon, Chalon, etc. Le gaillard ne se prend pas pour une merde. Le roi, son cousin Charles VI étant donc devenu fou comme un lapin, il manigance de lui chiper le trône de France. Le seul problème, c’est que le trône est également convoité par le propre frère du roi, le duc Louis d’Orléans, soutenu par les Armagnacs. Vous y êtes ? La guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons, ça buzze dans votre cerveau ? Jean sans Peur n’est pas du genre timoré. Il fait carrément assassiner Louis d’Orléans le 23 novembre 1407. Si le duc de Bourgogne a gagné la première manche, il fait, dorénavant, l’objet d’une haine farouche de la part du camp des Armagnacs.

Rencontre au milieu d’un pont

Jean sans Peur redoute, à son tour, d’être tué durant son sommeil... Pour dormir sans crainte, il installe la chambre à coucher au sommet d’une tour. Celle-ci n’a aucune fenêtre et la porte minuscule est toujours fermée à clef. Une tour qui se dresse toujours, rue Étienne-Marcel. En 1419, après plusieurs victoires sur les Armagnacs, le duc de Bourgogne contrôle une bonne partie de la France et il s’apprête à livrer la couronne française aux Anglais avec la complicité d’Isabeau de Bavière, épouse de Charles VI. Le clan des Armagnacs rangé derrière le dauphin est aux abois. Aveuglés par leur haine de Jean sans Peur, les conseillers du futur Charles VII - il n’a que 16 ans - parviennent à convaincre que la mort du duc leur permettra de reprendre l’avantage. Pour cela, il faut l’attirer dans un guet-apens. Le dauphin écrit au duc de Bourgogne pour lui proposer une nouvelle rencontre afin de sceller leur alliance. Il lui propose une entrevue au milieu du pont de Montereau, sur l’Yonne, histoire d’éviter tout piège. Tu parles ! Des espions de Jean sans Peur le préviennent que c’est un piège, mais, incompréhensiblement, celui-ci accepte la proposition du dauphin. Il se dit probablement que n’est pas ce petit merdeux qui serait capable de le tromper, lui, le duc de Bourgogne. Et puis la parole d’un futur roi vaut quand même quelque chose. Quelle naïveté pour un vieux roué !

Donc, le 10 septembre, vers 15 heures, le duc de Bourgogne se présente devant le pont de Montereau à la tête d’une troupe de deux cents hommes d’armes et de cent archers. Il campe côté château. Les Armagnacs occupent la rive opposée, côté ville. Pour sécuriser le lieu du meeting, des charpentiers ont érigé des barrières de chaque côté du pont. Enfin, un enclos démilitarisé est installé au milieu de l’ouvrage. Il est arrêté que Charles et Jean pourront se faire accompagner de dix seigneurs chacun. À l’entrée de la première barrière, le duc hésite encore. Vers 17 heures, il finit par se jeter à l’eau, avançant à pas lents sur le pont, suivi de son escorte. Deux conseillers du dauphin viennent à sa rencontre. "Venez devers, Monseigneur, il vous attend." Jean sans Peur franchit la première enceinte. L’ambiance est pesante. Avec ses conseillers, il pénètre dans l’enclos, dont la porte est fermée à clef derrière lui.

"Tuez, tuez !"

Le jeune dauphin est déjà là, qui l’attend. La suite des événements est rapportée par Jean Séguinat, secrétaire du duc de Bourgogne : "Mondit seigneur de Bourgogne aperçut le dauphin qui était près de la porte, devers la ville, sur ledit pont, à l’endroit d’un petit retrait fait de baies ; mondit seigneur alla à lui, ôta son amusse (chapeau) qui était de velours noir et s’agenouilla en lui disant : Monseigneur, après Dieu, je ne dois obéir qu’au roi et à vous ; je viens vous offrir ma personne, mes biens et toutes les forces de mes alliés et bienveillants, si on a fait quelque rapport à mon désavantage, je vous prie de n’en rien croire, dis-je bien, Messieurs. Vous dites si bien, répondit le dauphin, qu’on ne peut mieux ; levez-vous, beau cousin, et vous couvrez, en le tenant par la main." C’est alors que Jean sans Peur a un geste malheureux, celui attendu par l’adversaire pour lui tomber dessus : tout en se relevant, il pose la main sur l’épée pour la remettre en place. Aussitôt, le seigneur de Loré l’apostrophe : "Mettez-vous la main à vostre épée en la présence de Monseigneur le dauphin ?" Sans attendre la réponse, messire Tanguy du Châtel abat sur Jean sans Peur une énorme hache en lui disant : "Monsieur de Bourgogne, entrez là-dedans."

Les gens du dauphin se mettent à crier "Tuez, tuez !" en se précipitant sur le duc. Certains de ses vassaux tentent bien de le protéger, mais inutilement. C’est la curée. Un homme s’agenouille auprès de Jean sans Peur pour lui donner le coup de grâce en lui plongeant son épée au travers du corps. Du côté des Armagnacs, c’est du délire. Les assassins se précipitent sur le cadavre pour arracher des morceaux de sa robe en guise de trophée. Les seigneurs accompagnant le duc de Bourgogne ne peuvent rien faire. Douze ans après son assassinat, le duc d’Orléans est enfin vengé. Ils font mettre le corps du duc dans une bière réservée aux pauvres et la font porter à l’église par les individus les plus paillards qu’ils peuvent trouver. Pour justifier leur geste, les Armagnacs prétendent qu’ils ont craint pour la vie du dauphin quand Jean sans Peur a mis la main à l’épée. Le duc s’est fait jouer comme un enfant.

Ce meurtre ne bénéficie ni au camp des Armagnacs ni à la France. C’est même une idiotie diplomatique, car non seulement le futur Charles VII s’est complètement déconsidéré en manquant à sa parole, mais le nouveau duc de Bourgogne, fils du précédent, bascule définitivement dans le camp anglais. Il offre la couronne de France à Henri V d’Angleterre. D’où une prolongation de la guerre dite de Cent Ans, de plusieurs décennies. Charles VII, et après lui son fils Louis XI, finiront par arracher la France aux Anglais, mais à quel prix.


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