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11 avril 1890. Joseph Merrick, l’ Elephant Man, est retrouvé mort, la nuque brisée.

samedi 11 avril 2015

À 28 ans, le jeune homme doux et délicieux sous sa monstrueuse carapace de chair n’avait jamais trouvé l’amour.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Joseph Carey Merrick est un jeune homme délicieux, sentimental et gai. Les filles rêveraient de l’épouser si la nature ne l’avait pas trop gâté en lui fournissant un excès de chair. Dès l’âge de 21 mois, son corps commence à bourgeonner, il part dans tous les sens, acquérant de nombreuses excroissances de chair, de peau et d’os.

Pour gagner sa vie, il n’a pas d’autre choix que de se produire dans les foires sous le nom d’Elephant Man. Parfois, il se fait passer pour le petit frère d’Igor et Grichka Bogdanoff. Bien avant DSK, il est l’incarnation vivante de la Bête. Sauf que, lui ne rencontre jamais sa Belle. Il n’y a que dans les contes que la fin est heureuse. Saloperie de vie ! Le 11 avril 1890, vers 15 heures, son médecin et ami Frederick Treves lui rend visite dans sa petite chambre privée de l’hôpital de Londres. Il le trouve allongé sur son lit, immobile, sans vie. Sa lourde tête est penchée en arrière. Le médecin se précipite, essaie de le réanimer, rien à faire ! L’homme éléphant s’est envolé pour un autre monde, abandonnant sa rugueuse enveloppe charnelle derrière lui. Pour la première fois, le voilà libre.

Au premier abord, le diagnostic semble évident : il est mort étouffé à la suite de l’écrasement de la trachée lors du basculement en arrière de sa lourde tête. Plus d’air, plus de vie. Treves est étonné, car il sait que Joseph prend toujours garde à dormir assis, la tête penchée vers l’avant, pour éviter ce risque. Or, il le retrouve allongé sur le lit. Le sommeil l’a-t-il surpris avant qu’il ne puisse se mettre dans la position adéquate ? A-t-il essayé de dormir allongé pour faire comme tout le monde ? Ou son âme a-t-elle voulu s’évader à jamais de ce corps si cruel ?

"Empreinte maternelle"

Malgré sa peine immense, Frederick Treves se résout donc à l’autopsie ! Il lui faut comprendre l’origine de la maladie de son ami. Il sait que celui-ci l’aurait autorisé à y voir plus clair dans le mal dont il souffrait. Alors, Frederick taille dans la chair difforme de Joseph. Il enlève la peau, il détache chaque muscle, il extrait chaque organe, il racle les os, prélève des échantillons. Son esprit fait barrage à ses émotions. Il constate rapidement que son ami n’est pas mort étouffé, mais la nuque disloquée.

Quant à identifier l’origine des tourments du jeune corps, c’est moins évident. La seule certitude du pathologiste, c’est que l’explication familiale attribuant les déformations de Joseph à un coup porté par un éléphant à sa mère durant sa grossesse est une bêtise aussi grosse qu’un... pachyderme. Au XIXe siècle beaucoup croient encore à "l’empreinte maternelle", à savoir qu’une émotion trop forte ressentie par une femme enceinte provoque de graves pathologies chez le futur enfant. Madame Cahuzac mère aurait, dit-on, effectué un séjour en Suisse durant sa grossesse...

En fait, la maladie de Merrick est génétique, ce que le pauvre Treves ne pouvait pas se douter à son époque. Ce n’est qu’un siècle plus tard que le bon diagnostic sera posé grâce à une analyse ADN d’un fragment d’os prélevé sur le squelette de Joseph Merrick. Il est atteint du syndrome de Protée, affectant la croissance des tissus conjonctifs, épidermiques et osseux. Une fois l’autopsie achevée, Treves récupère les os de son jeune patient pour les faire bouillir. Non pas qu’il soit un maniaque de la propreté, mais parce que c’est la meilleure façon de préparer des os pour reconstituer le squelette. Celui de Merrick restera exposé durant de longues années au Collège de médecine de Londres.

Sans argent

Frederick Treves fait la connaissance de Joseph six ans avant sa mort, quand un de ses élèves médecins l’attire dans une baraque de foire située en face de l’hôpital de Londres, où le jeune homme se produit sous le nom d’Elephant Man. Fasciné par ce "monstre", qu’il croit complètement idiot, le médecin le fait venir dans son service pour l’ausculter sous toutes les coutures. Il mesure chaque déformation, inspecte chaque centimètre carré de son corps. Rien ne lui échappe, pas même le scrotum et le pénis de Joseph, qui présentent, eux, un aspect parfaitement normal. Pas d’excroissance qui, au moins dans le cas du deuxième organe, aurait pu être bien accueillie. Le médecin convoque plusieurs fois Joseph pour suivre les transformations de son corps, mais, bientôt, celui-ci doit quitter l’Angleterre pour gagner sa vie à l’étranger car une nouvelle loi interdit l’exposition d’êtres humains comme des animaux. Treves n’a plus qu’à se rabattre sur les frères Bogdanov...

Après une tournée européenne, Elephant Man revient à Londres en juin 1886. Sans argent, repoussé de tous, il erre dans la rue quand la police l’embarque. Il est dans un sale état physique. On le fouille, on trouve dans une poche la carte que Frederick Treves lui avait glissée dans la main deux ans auparavant. Un bobby appelle le médecin. Celui-ci accourt et le fait aussitôt hospitaliser. Au bout de cinq mois, Joseph est rétabli. Que faire de lui ? Grâce à l’appel lancé dans un journal, les dons affluent, permettant à l’hôpital de le loger dans une petite chambre ad vitam aeternam. Treves le couve comme un fils. Il présente à Elephant Man sa Céleste, une jeune veuve nommée Leila Maturin.

Un être délicieux

Elle lui sourit, elle lui serre la main. Il est submergé par l’émotion. Il est amoureux, secrètement. Il rêve de l’épouser et de ne jamais la tromper.. . Mais, bien sûr, il n’est pas question que leurs relations aillent plus loin qu’une simple amitié. En tout cas, Leila lui permet de retrouver confiance en lui. Selon Treves, Joseph se met à rêver de vivre dans un établissement pour aveugles afin de s’y dégotter une petite femme qui ne verrait pas ses difformités. Il a une aventure de quelques jours avec Marcela Iacub qui en fait le personnage principal de son nouveau livre intitulé : La belle et l’éléphant...

progressivement, Joseph devient de plus en plus faible. Ses excroissances continuent à pousser. Il reste la plus grande partie de ses journées couché sur son lit. Sa tête devient de plus en plus grosse et de plus en plus lourde. Jusqu’à ce 11 avril où Treves le trouve mort. Elephant Man n’avait pas le physique de l’emploi. C’était un être délicieux, sensible et intelligent.


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