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26 novembre 1933. Le shérif de San José ne peut empêcher la foule furieuse de lyncher deux kidnappeurs

mercredi 26 novembre 2014

Les habitants de la cité californienne prennent d’assaut la prison pour extirper les deux assassins et les pendre manu militari

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Bien qu’il ne le montre pas, le shérif Emig de San José (Californie) a la peur au ventre. Depuis son bureau de la prison, il entend la rumeur enfler. Quand il jette un regard par la fenêtre, il voit des hommes grimacer de colère, hurler des menaces. Des pierres volent. Cette nuit du 26 novembre 1933 promet d’être un enfer. Il est clair que les habitants de San José ne repartiront pas avant d’avoir lynché les deux salopards emprisonnés au second étage. En un sens, le shérif comprend la colère de la foule car ces deux ordures ont kidnappé et assassiné froidement le jeune Brooke Hart, fils d’un commerçant de la ville. Pour cela, ils méritent mille fois la mort, mais une mort légale, pas un lynchage.

Cela fait dix jours que les deux assassins, Thomas Harold Thurmond, 27 ans, et John Holmes, 29 ans, sont sous les verrous, mais si de nombreux habitants de la ville cernent la prison ce matin-là, c’est que le corps de leur victime vient d’être repêché. Ils ne sont animés que par une seul désir : faire justice immédiatement. Vers 18 heures, ils sont déjà des centaines à faire le siège de l’établissement, hurlant : "À mort ! Qu’ils soient lynchés !" Le feu est mis à plusieurs poubelles. Les plus excités se mettent à balancer des pierres et des bouteilles contre la façade de la prison où le shérif Emig et ses hommes se barricadent. "Donnez-les-nous, shérif ! hurle la foule hystérique. Nous en prendrons soin !" Dans leurs cellules, les deux assassins ressemblent à des bêtes traquées. "Ça ne sent pas bon !" marmonne Holmes. Ils envoient sur les roses Christiane Taubira qui leur offre la liberté surveillée...

Les portes de la prison cèdent

Vers 20 heures, un policier balance une grenade lacrymogène pour faire reculer la foule, mais celle-ci n’en devient que plus enragée. Les briques et les cailloux pleuvent sur la façade. Des hommes arrachent les carreaux de la façade de la prison pour les balancer sur les véhicules de police garés à proximité. Les flics répondent par une nouvelle salve de gaz lacrymogène, faisant éparpiller la foule dans St Jame’s Park. Au téléphone, le shérif Emig hurle : "Non, ne m’envoyez surtout pas le GIGN, ils vont encore provoquer un massacre. Je me débrouille." À 21 heures, ce sont maintenant 5 000 personnes qui cernent la prison. Des feux sont allumés dans le parc situé de l’autre côté de la rue, les fils téléphoniques sont arrachés.

À l’intérieur, le shérif fait cacher les armes au cas où la prison serait envahie. Il donne aussi la consigne à ses hommes de ne pas tirer pour éviter un bain de sang. Vers 23 heures, des manifestants chauds bouillants entreprennent de défoncer les deux portes d’acier de la prison avec de longs tubes métalliques trouvés sur un chantier voisin. En moins de cinq minutes, ils parviennent à leurs fins. Des centaines d’hommes surexcités se ruent dans le bâtiment, renversant les policiers incapables de faire front. Le shérif se fracture le crâne en tombant sur le sol. La foule grimpe jusqu’au deuxième étage, où les deux prisonniers sont recroquevillés dans leurs cellules, paralysés par la peur. Le gardien porte-clefs est vite assommé. Holmes est entraîné sans ménagement dans les escaliers. Baraqué, il parvient à repousser plusieurs adversaires à coups de poing, mais il succombe finalement sous le nombre. Quant à Thurmond, il bénéficie d’un répit, car la foule s’empare d’un autre prisonnier, le confondant avec lui. On se rend compte de l’erreur. On retourne le chercher.

"Assassins ! Tueurs !"

Les deux assassins ont beau demander pitié, nul ne les écoute. Au contraire, ils sont roués de coups, au point que Thurmond, complètement sonné, devient désormais indifférent à tout ce qui l’entoure. Tous deux sont traînés sans ménagement par les pieds dans le parc. Il y a peut-être maintenant dix mille personnes qui hurlent : "Assassins ! Tueurs !" Les policiers, en nombre bien inférieur, se gardent bien d’intervenir. Autant vouloir balancer des grenades offensives sur une bande d’écolos... Un jeune homme tient une corde à la main, il la jette par-dessus la branche d’un orme. D’autres ont déjà saisi la deuxième extrémité pour faire un noeud et l’enfiler autour de la tête de Holmes qui lutte toujours. Des bras le saisissent pour le frapper encore et remettre la corde en place. D’autres en font autant avec un Thurmond toujours sans réaction, avant de le hisser à trois mètres du sol. Comme Holmes continue à résister, il faut lui casser les deux bras pour enfin lui enfiler la corde autour du cou. Furieux, ses agresseurs lui arrachent ses vêtements avant de le hisser à son tour. Voyant les deux hommes pendus, les applaudissements crépitent dans la foule. Spectacle obscène de la mort. Doublement obscène, car des mains arrachent les pantalons des deux criminels.

Holmes était le fils d’un tailleur aisé de San José. Après des études, il décroche un job correct dans une boutique d’électronique. Quatre ans après son mariage, il a déjà deux gosses. Une vie normale, pas celle d’un criminel. Elle commence à basculer le jour où Holmes prend un job dans une station-service où il rencontre de petits voyous qui le fascinent. Peu à peu, il devient obsédé par l’idée de commettre le crime parfait. En 1932, il fait la connaissance de Thomas Thurmond, né dans une ferme et qui enchaîne les petits métiers mal payés. Ils sont toujours fourrés ensemble. Leur obsession : trouver un moyen de se faire un bon paquet de pognon sans se fatiguer. Les journaux sont encore pleins du kidnapping du fils de Lindbergh. Pourquoi ne pas se lancer dans cette nouvelle industrie ?

Un révolver dans le flanc

Le 25 septembre 1933, ils enlèvent un employé de la Union Oil Company, qu’ils relâchent après avoir perçu une rançon de 716 dollars. Une sacrée somme à l’époque. Un mois plus tard, ils récidivent avec un employé de Shell, dont ils retirent 700 dollars. Ces deux succès leur donnent l’impression d’être des caïds contrôlant parfaitement leur job. Ils décident de passer à la vitesse supérieure. Comme nouvelle victime, ils choisissent Brooke Hart, 22 ans, qui travaille avec son père Alexander Hart, propriétaire du plus grand magasin de San José. Une grosse affaire qui emploie plusieurs centaines de salariés. Les Hart sont riches. Tous les habitants de San José sont clients chez eux et apprécient cette sympathique famille juive arrivée au siècle précédent en Amérique.

Cette fois-ci, ce n’est plus quelques centaines de dollars que Holmes et Thurmond envisagent de réclamer, mais 40 000 ! Une fortune. Ils guettent le jeune Brooke, attendant le meilleur moment pour passer à l’action. Le 9 novembre 1933, le jeune homme propose à son père Alexander de le conduire en voiture à un rendez-vous. À 17 h 55, Brooke dit à son père de l’attendre devant le magasin pendant qu’il va chercher la voiture au parking. Celui-ci patiente cinq minutes, dix minutes. Une demi-heure passe sans que son fils soit de retour. Bien qu’inquiet, il décide de se rendre à son rendez-vous à pied. Jamais il ne reverra son fils vivant.

Voilà ce qui s’est passé. En quittant son père, Brooke se dirige droit vers le parking, où il monte dans sa Studebaker. Au moment de sortir du parking, Holmes, qui l’a suivi, saute à ses côtés en lui enfonçant un révolver dans le flanc. Il lui ordonne d’emprunter la route de Milpitas. Thurmond les suit dans sa bagnole. Dans un coin discret, les deux voitures s’arrêtent, Holmes et Brooke montent dans celle de Thurmond, qui prend la direction du pont San Mateo traversant la baie de San Francisco. À chaque fois que Brooke tente de demander des explications, il est salement rembarré.

Son corps bascule dans le vide

Quand la voiture s’arrête sur le pont, il fait déjà sombre. Il n’y a personne en vue. Le jeune Hart est tiré sans ménagement hors du véhicule. Il ne comprend toujours pas ce que lui veulent les deux hommes. Mais il n’a pas le temps de s’interroger plus longtemps. Holmes le frappe violemment derrière la tête avec une brique ramassée sur le sol. Le malheureux tombe à genoux, groggy. Les deux autres en profitent pour le ligoter et lui attacher deux blocs de ciment aux pieds. Mais, oui, ils le hissent sur la rambarde du pont ! Pourquoi s’encombrer de ce gros porc de juif ?

Brooke se débat, mais son corps a déjà basculé dans le vide. Dans l’eau, il parvient à se libérer de ses liens. Il hurle au secours, s’agrippe à un pied du pont. Thurmond s’empare du pistolet de Holmes, descend sur la berge et tire à plusieurs reprises sur l’ombre qui se débat. Jusqu’à ce qu’elle se taise... Les deux hommes sont soulagés, personne ne les a entendus. Ils peuvent retourner en ville pour faire leur demande de rançon. Tandis que Holmes emmène sa femme au cinéma voir Les trois petits cochons de Walt Disney, Thurmond téléphone aux Hart d’une cabine publique.

Pendant ce temps, Alexander Hart, qui est revenu de son dîner, s’inquiète sérieusement de la disparition de son fils. Il avertit aussitôt la police. On fouille le quartier, on interroge ses amis. À 21 h 45, sa fille Aleese, 18 ans, décroche le téléphone qui sonne. Un inconnu lui dit avoir enlevé Brooke, réclame une rançon de 40 000 dollars, lui ordonne de ne pas prévenir les flics, précise que des instructions suivront ultérieurement et raccroche. C’est, bien sûr, Thurmond. Le lendemain, aucune nouvelle, sinon que la Studebaker est retrouvée. Le surlendemain, toujours aucune nouvelle des ravisseurs. Alexander Hart lance un appel dans les journaux. Le soir même, le portefeuille de Brooke est retrouvé sur la passerelle d’un navire-citerne ayant ravitaillé le paquebot Lurline en route pour Los Angeles. Celui-ci est intercepté en pleine mer pour être fouillé de fond en comble. En vain, bien évidemment.

Thurmond tombe dans le panneau

Le lundi 13 novembre, enfin, Hart reçoit une lettre des kidnappeurs, postée le 11. "Un mot de plus à la police et c’est fini. Vous avez braillé une fois, une seconde fois serait fatale. Nous voulons 40 000 dollars... mettez-les dans une sacoche (noire), soyez prêt à partir pour une balade d’une semaine sans préavis, prévoyez une radio dans la Studebaker. Quand on vous dira de partir, les instructions suivront sur RPO (une radio locale) et vous ferez mieux de faire comme on vous dira."

Le mercredi 15 novembre, nouveau coup de téléphone des kidnappeurs. L’interlocuteur ordonne au père de se tenir prêt à partir en voiture pour rouler en direction de Los Angeles avec 40 000 dollars en cash. Avant de raccrocher, il ordonne à Hart de disposer dans un coin de la vitrine de son magasin un carton avec un grand "2" pour dire qu’il est d’accord avec la procédure. Gros problème, Alexander ne sait pas conduire. Il n’a pas pensé à le dire au téléphone. Comment le faire savoir aux kidnappeurs ? Les agents du FBI lui conseillent d’écrire sur le carton, à côté du "2" : "Je ne sais pas conduire."

Vers 20 heures, nouveau coup de fil de Thurmond. Hart a pour instruction de tenir son interlocuteur le plus longtemps possible en ligne pour avoir le temps d’identifier l’origine de l’appel. Pour cela, il fait l’imbécile, expliquant et répétant qu’il ne sait pas conduire. À l’autre bout du fil, Thurmond insiste, ne se méfiant pas. Enfin, la compagnie du téléphone localise la cabine publique, c’est celle d’un garage de San José. Le shérif Emig et ses hommes s’y précipitent. Ils aperçoivent immédiatement la cabine téléphonique avec un homme leur tournant le dos. Celui-ci ne les a pas entendus, trop absorbé par sa conversation.

L’abdomen dévoré

Au moment où Emig ouvre la porte, l’homme est en train de raccrocher. "Quel est votre nom ?" hurle le flic. "Harold Thurmond", répond-il, tétanisé. Embarqué à la prison du comté, il commence par nier toute implication dans l’enlèvement, mais craque quand on le menace de lui mettre un disque de Carla en boucle dans sa cellule... Autour de minuit, il lâche le nom de Holmes et l’adresse de son hôtel. Celui-ci est cueilli dans son sommeil à 4 heures du matin. Il ne met pas longtemps, lui non plus, à cracher le morceau.

Dès le lendemain, l’arrestation fait la une de toute la presse, qui multiplie les révélations sur la façon dont Brooke a été tué par les deux hommes, chauffant à blanc les habitants de San José. La police recherche activement le corps du jeune homme dans la baie. Ce n’est finalement qu’à l’aube du 26 novembre que le corps est aperçu par deux chasseurs de canards. À 1,5 kilomètre en aval du pont San Mateo, ils voient un paquet flotter dans l’eau. Ils s’approchent, intrigués, et reconnaissent avec horreur un corps. Ils le hissent malgré tout dans leur embarcation avant d’aller prévenir le médecin légiste du comté d’Alameda. C’est bien le cadavre de Brooke. Mais dans quel état ! Les crabes et les anguilles lui ont dévoré le visage, les mains et les pieds. L’abdomen a disparu. Les vêtements, intacts, permettent de l’identifier. La nouvelle de la découverte du corps fait rapidement le tour de la région.

Dans l’après-midi, les premières pierres sont jetées contre la prison du comté. Le sort de Holmes et de Thurmond est scellé. Ce soir, ils se balanceront au bout d’une corde. Un lynchage comme au bon vieux temps. Dans la nuit, leurs deux corps rejoindront celui de leur victime à la morgue du comté
.
C’est également arrivé un 26 novembre
1989 - Départ du premier Vendée Globe des Sables-d’Olonne.

1986 - Début du procès de Jean-Bedel Bokassa.

1980 - Sortie du film-culte The Blues Brothers de John Landis.

1965 - La France lance sa première fusée de type Diamant A pour mettre en orbite le satellite Astérix.

1941 - Franklin Delano Roosevelt décrète jour férié l’Action de grâce, Thanksgiving Day.

1922 - Howard Carter et Lord Carnarvon pénètrent pour la première fois dans la tombe de Toutankhamon.

1918 - Le Monténégro proclame la déchéance du roi Nicolas Ier et intègre la Serbie.

1862 - Lewis Carroll fait cadeau à Alice Liddell d’une version écrite à la main des Aventures d’Alice au pays des merveilles.

1764 - La compagnie de Jésus - les Jésuites - est chassée de France.

1680 - Louis XIV déclare la guerre à la Hollande


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