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5 août 1392. Charles VI devient dément, tuant ses proches et chiant sur les autres.

vendredi 7 août 2015

À 23 ans, le roi de France entame une longue série de crises de démence qui ne cessera qu’avec sa mort.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 5 août, le roi de France Charles VI chevauche en tête de ses hommes, à la recherche de Pierre de Craon qui a tenté d’assassiner son connétable, Olivier de Clisson, quelques jours auparavant. Le fugitif aurait trouvé asile chez le duc de Bretagne. La troupe armée traverse la forêt du Mans où il fait une chaleur à crever. Charles VI est vêtu d’un habit de velours noir et coiffé d’un chaperon de panne rouge. Il a 23 ans et gouverne la France depuis l’âge de 12 ans. Jusque-là son comportement a toujours été parfaitement normal.

Lorsque la troupe royale passe à proximité d’une léproserie, un vieillard en haillons surgissant d’un buisson, attrape la bride du cheval du roi, en criant : "Ne va pas plus loin, noble roi ! Tu es trahi !" Durant une demi-heure, le pauvre illuminé le poursuit de ses mises en garde. On l’écarte enfin. Le roi ne dit rien. Bientôt, l’ost royal sort de la forêt pour s’engager dans une plaine surchauffée. Dans les rangs de l’armée, on entend Claude Allègre murmurer : "Mais puisque je vous répète que le réchauffement climatique n’existe pas !" C’est alors qu’un page, cédant à la somnolence, lâche sa lance, laquelle vient frapper avec fracas le casque d’un cavalier voisin.

Coma profond

Tiré en sursaut de sa léthargie, Charles VI est pris de panique, puis de fureur. Il tourne bride, extrait son épée de son fourreau et tranche en deux le page maladroit. Loin de se calmer, il éperonne son cheval en hurlant : "On veut me livrer à mes ennemis !" Sous les yeux incrédules de son escorte, il pique droit sur son frère le duc d’Orléans, une lueur meurtrière dans le regard. Des écuyers s’interposent juste à temps pour éviter un drame. Mué en véritable démon, le roi taille quatre de ses cavaliers en carpaccio. Enfin, le chambellan Guillaume Martel parvient à sauter à califourchon derrière le dément pour le désarmer. Ligoté sur le sol, puis étendu dans un chariot, Charles VI ne bouge plus, son visage est rouge, il peine à respirer, seuls ses yeux roulent dans ses orbites. Un homme le ventile. Il n’est plus question d’aller chercher Pierre de Craon chez le duc de Bretagne. La troupe fait demi-tour au petit pas pour regagner Le Mans.

Durant trois jours, le roi gît, sans connaissance, sur son lit. Il est plongé dans un coma profond qui déroute les médecins venus à son chevet. L’un d’eux propose de le transporter au CHU de Grenoble.. Alors que chacun pronostique une mort prochaine, le jeune roi reprend connaissance, se confesse, demande pardon et promet des pèlerinages. Histoire de ne pas paraître idiots, les médecins évoquent un épanchement de bile noire échauffée ou encore un empoisonnement, voire un maléfice. À Creil, on fait venir un médecin nonagénaire de grande réputation pour examiner Charles VI. Guillaume de Harcigny est instruit des médecines hébraïques et arabes. Durant six ans, il a veillé sur Ariel Sharon... Pour lui, le roi "tient trop de la moiteur de sa mère". Il se contente de prescrire de la tranquillité. Sage conseil, car le souverain retrouve son entière raison après quelques semaines. En guise de récompense, le noble vieillard touche une véritable fortune : mille couronnes d’or. C’est le début du trou de la Sécu...

Par la suite, la vie de Charles VI est constamment émaillée de crises de démence qui s’étalent entre quelques jours et plusieurs mois. Elles sont plus ou moins intenses. Plus ou moins meurtrières. La première se serait produite six mois après l’épisode manceau, lorsqu’il participe en son palais de Saint-Paul, à Paris, au bal des Ardents donné pour le remariage d’une dame d’atour de la reine. Alors que la cérémonie bat son plein, plusieurs seigneurs, dont le roi, se livrent à un charivari. À l’époque, lorsqu’une veuve "trahissait" son premier époux mort en se remariant, ses proches s’amusaient à troubler la cérémonie du mariage par un charivari !

Rechute

Grimé en sauvage et portant un habit couvert de poix et de poils, le roi surgit au milieu de la noce avec ses proches déguisés comme lui. Mais voilà que ce maladroit de duc d’Orléans met le feu avec sa torche à l’un des personnages. Celui-ci se propage, Charles VI commence à flamber comme un feu de Bengale. Heureusement, sa tante parvient à étouffer les flammes avec son lourd manteau. Trois des "sauvages" périssent brûlés. On a donc prétendu que cet effrayant incident aurait fait basculer la raison du roi une deuxième fois. Mais rien ne le prouve vraiment.

En fait, la première rechute avérée se produit quelques mois plus tard à Abbeville. Le religieux de Saint-Denis parle qui en a laissée un récit, parle "d’extravagances indignes de la majesté royale". Charles VI prétend s’appeler Georges, ne reconnaît ni son épouse Isabeau de Bavière ni ses enfants. Quand la reine se présente devant lui, il la repousse, demandant : "Quelle est cette femme dont la vue m’obsède ? Délivrez-moi de son importunité." En revanche, il recherche la présence de sa belle-soeur, l’Italienne Valentine Visconti, qu’il nomme sa "bien-aimée". Il refuse d’être appelé roi et gratte furieusement ses armoiries sur la vaisselle. Il brise les cadeaux de son frère le duc d’Orléans. Il alterne des périodes d’intense activité et de prostration. Il danse souvent d’une façon obscène, court dans tous les sens au point qu’il faut murer les fenêtres pour lui éviter de passer au travers. Complètement maboul, il prend au sérieux Montebourg quand celui-ci promet de réformer les professions réglementées...

À d’autres moments, il déclare souffrir "comme s’il était percé de mille pointes". Durant ses crises, il refuse toute toilette. "La crasse produite par la sueur fait venir des pustules sur plusieurs parties du corps. Il était rongé de vermines et de poux qui auraient fini par pénétrer dans les chairs." Peu à peu, il retrouve sa raison et se remet à gouverner, mais les crises se succèdent.

Le peuple se sent proche du roi

On a retrouvé le nom de soixante-quatorze des médecins appelés à son chevet. Des chrétiens comme des juifs. En désespoir de cause, on fait venir en consultation des magiciens et des sorciers. Tel Guyenne Arnaud Guillaume, qui prétend être capable de guérir le roi d’un seul mot. Tels encore deux frères augustins qui préconisent de mélanger des perles en poudre aux aliments. Mal leur en prend, car ils sont bientôt arrêtés pour débauche. Ils avouent invoquer les démons, ce qui leur vaut de perdre la tête à leur tour, mais par décapitation. Leurs membres sont exposés aux portes de la ville.

Leur sort ne décourage pas des illuminés prétendant connaître le remède miracle. Les sorciers Briquet et Poinsot proposent d’enchaîner douze hommes à des colonnes de fer portant un cercle métallique, puis de se livrer à des incantations. Pourquoi ne pas essayer ? Mais le roi reste fou comme un lapin tandis que les deux imposteurs sont brûlés vifs. En 1399, des moines du couvent de Cîteaux apportent au souverain un suaire qui aurait appartenu à Jésus. Le roi prie durant neuf jours devant la relique, sans aucun résultat.

Alors, les autorités imposent des mesures purificatoires à l’ensemble du pays : interdiction de la prostitution et des jeux de hasard, répression accrue des blasphèmes. Rien n’y fait. N’est pas pire sourd que Dieu. Même l’expulsion des juifs n’amène pas le roi sur le chemin de la raison. C’est à désespérer. Curieusement, au lieu d’accabler le roi pour sa folie, le peuple se sent plus proche de lui, et même l’en respecte davantage. Pour lui, cette maladie est l’expression d’une punition divine contre le luxe scandaleux régnant parmi la classe dirigeante.

42 ans de règne

Durant les absences de Charles VI, la régence est exercée par son frère le duc d’Orléans. Mais les trois oncles du roi et de son frère, les ducs de Bourgogne, d’Anjou et du Berry, en profitent pour grignoter du pouvoir avec la complicité de la reine. C’est une guerre civile larvée qui se superpose à la guerre de Cent Ans. Entre deux crises, le roi est tout à fait capable d’assurer ses devoirs conjugaux comme gouvernementaux. Ainsi Isabeau accouche-t-elle en 1403 du futur Charles VII. Charles VI chevauche même en tête de son ost durant les guerres. Pourtant, il n’est pas à Azincourt quand son armée se fait étriller par les troupes d’Henri V d’Angleterre.

Durant les ultimes années de sa vie, les crises deviennent moins fréquentes et moins fortes. Charles semble plus apaisé. Délaissant de plus en plus le gouvernement de la France, il mène une vie simple au milieu de ses serviteurs. Il chasse, joue aux échecs et aux cartes. Écartant Isabeau, il se contente de sa "petite reine", la jeune et douce Odette de Champdivers. En 1422, après 42 ans de règne, Charles VI s’éteint paisiblement. Son autopsie ne révèle aucune lésion organique.


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