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6 juillet 1885. Le petit Joseph Meister débarque chez Pasteur après avoir été mordu par un chien

dimanche 5 juillet 2015

Le chien ayant mordu le jeune Alsacien, était—il réellement enragé ? Le doute subsiste.

Le lundi 6 juillet 1885, Pasteur voit débarquer dans son labo un jeune berger alsacien, Joseph Meister, accompagné de sa mère Angélique et de l’épicier Théodore Vonné, le propriétaire du chien supposé enragé qui aurait mordu l’enfant. Ils sont envoyés par le médecin de famille des Meister, le docteur Weber. Ils ont mis longtemps pour trouver l’adresse de Pasteur à Paris car personne ne voulait la leur indiquer, craignant de remettre la vie d’un enfant entre les mains de ce physicien-chimiste-biologiste qui joue à l’apprenti sorcier. Finalement, devant l’insistance de la mère, quelqu’un finit par lâcher l’adresse de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm.

Quatorze blessures aux jambes

Pasteur écoute leur histoire. Deux jours plus tôt, le père du petit Joseph, qui est boulanger à Steige, en Alsace, l’envoie chercher de la levure à la brasserie de Meissengott. En chemin, l’enfant est attaqué par le chien de l’épicier Théodore Vonné. Aussi furieux qu’un Sarkozy privé de Présidentielles, le clébard déchire l’enfant à pleines dents. Il lui inflige quatorze blessures aux jambes avant de lâcher prise. L’épicier parvient à boucler le monstre, nettoie les plaies du garçon et lui file une pièce pour s’acheter des bonbons avant de le renvoyer chez lui. Allez, ouste ! Le gosse tient à peine debout. Le chien ne se calmant pas, l’épicier l’amène chez le vétérinaire. En route, il croise la maréchaussée qui, trouvant le chien trop agressif, lui colle une balle dans le buffet. Et que BB ne vienne pas faire chier ! C’est alors que le brave épicier commence à se faire du mauvais sang : et si son chien avait la rage ? Car, lui aussi a été mordu. Le véto autopsie l’animal et, trouvant de la paille et du bois dans son estomac, en conclut rapidement qu’il est bel et bien enragé !

La mère de Joseph a montré son fils au docteur Weber qui lui conseille de se rendre à Paris pour consulter Pasteur dont les travaux sur la rage font du bruit. Inquiet pour sa personne, l’épicier les suit, mais Pasteur a tôt fait de le renvoyer chez lui car il n’a pas de plaie vive. En revanche, il fait installer Meister et sa mère dans une remise du collège Rollin, rue Vauquelin, à deux pas de son laboratoire. Le chimiste hésite avant de vacciner Joseph. Jusqu’ici, il n’a utilisé que des animaux pour ses expériences. Un môme, c’est autrement plus délicat. Pasteur l’explique à la mère, qui insiste. Elle croit son fils condamné, qu’il serve de cobaye. C’est sa dernière chance de survivre.

N’étant pas médecin, Pasteur demande au docteur Vulpian, membre de la commission ministérielle de la rage, et au docteur Grancher, pédiatre de renom, de l’assister. Sinon, il pourrait être accusé de pratique illégale de la médecine. Pourquoi n’est-ce pas le docteur Roux, avec qui Pasteur mène ses recherches, qui est présent à ses côtés ce jour-là ? Paraît qu’il aurait refusé de cautionner la vaccination, jugeant le risque couru par le jeune Meister trop grand. Au contraire, Vulpian et Grancher sont enthousiastes, ils achèvent de convaincre Pasteur de passer à l’action. Au pire, un gamin y perdra la vie, une broutille à côté de la gloire promise si le vaccin se révèle efficace.

Durant les dix jours qui suivent, Joseph reçoit treize injections de vaccins de plus en plus virulents. Le petit Meister réagit bien. Les semaines s’écoulent sans qu’il développe les symptômes de la rage. Victoire ! Pasteur devient un héros. Pour la première fois, une personne contaminée par la rage ne succombe pas, un enfant en prime ! Dans la foulée, le "prince de la science" ouvre l’institut qui porte son nom. C’est la gloire !

Doutes

Pour autant, la Faculté de médecine reste enragée contre ce simple chimiste qui revendique un vaccin contre la rage ! Beaucoup de ses membres sont persuadés d’une supercherie. En fait, ce n’est pas la première fois que Pasteur teste son vaccin anti-rabique sur des personnes. La première aurait été un certain Girard, vacciné le 5 mai 1885, dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’il aurait guéri. Mais avait-il réellement la rage ? Ensuite, il y a eu Julie-Antoinette Poughon, 11 ans, vaccinée le 22 juin 1885 et morte le lendemain... Personne n’a retenu son nom.

Mais, surtout, aucune preuve tangible n’a été fournie prouvant que le chien ayant mordu Joseph Meister ait vraiment été enragé. La présence de bois et de paille dans l’estomac de l’animal n’en constitue pas une. Absolument pas. Mais il y a bien pire à reprocher à Pasteur qu’un cas de fausse-guérison. Après les treize injections de vaccins, il en effectue une quatorzième. Pour vérifier l’efficacité de son jeune patient, il lui injecte une souche virale extrêmement virulente, à filer la rage à un mammouth ! Imagine-t-on, aujourd’hui, une telle prise de risque ? Par bonheur, Meister survit à l’injection ! Le vaccin est bel et bien efficace.

Durant le reste de l’année, l’équipe de Pasteur pratique plus de 350 vaccinations. Joseph Meister, lui, devint le petit protégé du chimiste, qui en fait le gardien de son institut. En 1940, Joseph se suicide, parce qu’il ne parvient pas à empêcher les soldats allemands de souiller de leur présence la crypte où le corps de Pasteur repose. C’était bien la peine de le sauver. À noter, enfin, que le vaccin antirabique de Pasteur ne survivra pas longtemps. Sa méthode est vite tombée en désuétude dans le monde entier. Pas suffisamment sûre ! On enrage.


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