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7 novembre 1928. Le soir même de leur rencontre à la Coupole, Aragon et Elsa font l’amour

samedi 8 novembre 2014

Amoureuse du beau poète depuis longtemps, la jeune russe passe à l’attaque avant de porter l’estocade le soir même.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le mercredi 7 novembre 1928, Louis Aragon et Elsa Triolet se réveillent pour la première fois dans les bras l’un de l’autre. Elle se pelotonne amoureusement contre lui. Il serre dans ses bras ce minuscule corps dont il a tiré tant de plaisir. Les deux amants se regardent, encore étonnés de la passion de la nuit. Voilà douze heures, ils ne se connaissaient pas. Et maintenant, ils ont fait l’amour comme des bêtes. Dans la chambre d’à côté, ils entendent qu’Aurélie et Arnaud sont également réveillés...

Travaux d’approche

La chambre est minuscule, hideusement rayée de violet et de jaune. C’est celle occupée depuis quatre ans par Elsa Triolet à l’hôtel d’Istria, en plein Montparnasse. Il est près de midi. Les deux amants ont faim. Après une toilette de chat, les voilà prêts à dégringoler les marches pour sortir se restaurer. Ils tombent nez à nez avec le grand poète russe Vladimir Maïakovski de passage à Paris. Cette rencontre est si soudaine que tous trois éclatent de rire. Il faut dire qu’Elsa avait perdu sa virginité avec Vladimir quinze ans plus tôt, avant qu’il ne lui préfère sa soeur, Lili Brik. Pourtant, ils sont restés amis, elle lui sert d’interprète à chaque fois qu’il vient à Paris. Quant à Aragon, il avait fait la connaissance du poète russe l’avant-veille, à la Coupole.

Par une étrange coïncidence, c’est également dans cette célèbre brasserie de Montparnasse que Louis et Elsa se sont rencontrés la veille. Plusieurs jours auparavant, la jeune Russe avait demandé au surréaliste Roland Tual de lui arranger un rendez-vous avec Aragon qu’elle admire depuis plusieurs années sans jamais oser l’aborder. Depuis son installation à Paris en 1924, Elsa a croisé à plusieurs reprises l’écrivain surréaliste dans le Montparno de l’entre-deux-guerres, colonisé par des peintres, des écrivains et des poètes accourus du monde entier. Elle le remarque la première fois en 1925 lors du fameux banquet agité de La Closerie des Lilas où les surréalistes dénoncent le nationalisme et la guerre du Rif au Maroc. L’observant depuis le trottoir, elle est fascinée par l’exaltation de cet homme d’une trentaine d’années habillé comme un dandy. ("Très beau. Trop beau. Un danseur d’établissement", écrit-elle) Elle le regarde avec les yeux de Lady Gaga dévorant Mireille Mathieu... Au cours des années suivantes, elle continue à s’intéresser à la carrière de Louis. Ce n’est qu’en novembre 1928 qu’elle trouve enfin le courage de le rencontrer.

"Vivre est trop douloureux"

Quand elle arrive à la Coupole, Aragon est au bar, plongé dans une conversation animée avec Jamesben et des amis. Elle s’approche, timide. Quarante ans plus tard, Louis se rappelle cette jeune femme menue, portant une fourrure "brune et blonde, comme rayée, s’ouvrant sur une robe-chemisier noire. J’ai tout de suite regardé ses jambes." L’auteur du Con d’Irène se dit que celui d’Elsa mérite largement une visite. Alors il sort le grand jeu pour la séduire. Mais il n’a pas trop à se fatiguer, car elle ne demande que ça ! Ils se dévorent des yeux. Ils oublient leurs voisins. Ils parlent, n’arrêtent pas de parler. Et dire qu’une heure plus tôt ces deux êtres mâchonnaient tristement leur vie. Aragon se remet d’une tentative de suicide à Venise après avoir été trompé par la richissime poétesse anglaise Nancy Cunard avec un pianiste noir, un comte italien et un serveur anonyme. Quant à Elsa, déprimée par sa vie d’exilée, elle enchaîne machinalement les amants. La veille de sa rencontre avec Aragon, elle note dans son journal intime : "Je pense que je dois acheter du Véronal... Vivre est trop douloureux. C’est comme de marcher sur du verre pilé." Loana approuve vivement.

Une nuit d’amour à l’hôtel Istria suffit à les guérir de leur mal de vivre. "Du jour au lendemain nous nous sommes retrouvés heureux comme deux chiens dans le même panier", écrit-elle. Mais cela ne dure pas. Après quelques semaines d’amour fou et de plaisirs débridés, Aragon commence à se lasser de la jeune femme. Il confie à des amis qu’il adore faire l’amour à Elsa, mais que sa conversation l’ennuie. Aussi renoue-t-il avec une ex, Léna Amsel, se mettant à éviter la pauvre Elsa. Mais que pèse un poète face à une femme amoureuse, russe de surcroît ? Pas grand-chose. La bagarreuse Elsa n’hésite pas à demander à Léna de lui rendre Aragon. Elle sait se montrer si convaincante qu’elle récupère son bien et s’impose chez lui, d’abord au 54, rue du Château, puis au 5, rue Campagne-Première.

"Je n’ose même plus penser quand il est près de moi"

À partir de 1929, la romancière russe ne lâche plus son poète français, l’accompagnant même aux réunions biquotidiennes du groupe surréaliste, si bien qu’André Breton la soupçonne d’espionnage au profit de Moscou. À la date du 8 avril, Elsa note dans son journal : "Je n’ose même plus penser quand il est près de moi, de crainte qu’il ne devine ce que je pense. Bref, il m’empêche de penser. Et quelle que soit la façon, la force dont il m’aime, ce n’est pas assez, ce n’est pas comme je voudrais... Je suis une ordure, un être solitaire."

Quant à Aragon, il ignore tout de ces affres. Il poursuit ses escapades amoureuses, notamment avec l’extravagante Nancy Cunard qui revient l’aguicher. Mais plus Aragon la fuit, plus Elsa lui court après. Pour se l’attacher définitivement, elle a une idée de génie, celle de lui proposer de découvrir cette Russie des Soviets qui le fascine tant. Pour réunir l’argent des billets, elle confectionne des colliers exotiques qu’elle vend aux grands couturiers de l’époque. Enfin, en septembre 1930, ils embarquent tous les deux pour Moscou. Ils y retournent en 1932. La grande immersion dans le Parti communiste soudera définitivement leur couple, jusqu’à la mort d’Elsa, en 1970.

C’est également arrivé un 7 novembre

1991 - Le basketteur Magic Johnson annonce sa séropositivité.

1987 - Destitution d’Habib Bourguiba, 84 ans, de la présidence tunisienne pour incapacité physique et mentale.

1951 - Ava Gardner épouse Frank Sinatra.

1946 - Première de La Belle et la Bête de Jean Cocteau, avec Jean Marais et Josette Day.

1933 - Le premier gagnant de la Loterie nationale, coiffeur à Tarascon, touche 5 millions de francs.

1921 - Ouverture du procès de Landru accusé du meurtre d’une dizaine de femmes.

1913 - Naissance d’Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957.

1910 - Décès, à 82 ans, de Léon Tolstoï, auteur de Guerre et paix, Anna Karenine, Résurrection…

1908 - Mort de Butch Cassidy et de Sundance Kid, en Bolivie.

1801 - Alessandro Volta présente à l’Institut de France la première pile produisant du courant électrique continu.

1733 - La France et l’Espagne s’allient contre l’Angleterre par le traité de l’Escurial.

1665 - Première parution de la London Gazette, le plus ancien journal encore existant


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