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Alain Juppé : « Oui, j’ai envie d’être aimé »

mercredi 26 août 2015

Un an après son annonce de candidature à la primaire à droite pour la présidentielle de 2017, Alain Juppé publie, le 26 août, le premier de ses quatre livres programmatiques, Mes chemins pour l’école (JC Lattès, 306 pages, 12 euros). A cette occasion, l’ancien premier ministre s’exprime sur l’actualité européenne, sa trajectoire politique et ses idées pour réformer l’éducation nationale.

Que préconisez-vous pour remédier à la crise des migrants ?

C’est un problème majeur, qui fait partie des quatre grands défis à relever sur le long terme : le réchauffement climatique, la maîtrise des nouvelles technologies, la manière de nourrir 10 milliards d’êtres humains et la gestion des flux migratoires. La solution est surtout géopolitique. Il faut notamment accroître l’aide au développement en Afrique. Dans l’immédiat, il faut mettre un terme à notre politique d’ouverture complète. L’Europe doit dire qu’elle ne peut pas accueillir toute la misère du monde et arrêter les flux migratoires à la source. Or, aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de mener une telle politique à cause de deux lacunes fondamentales : il n’y a pas suffisamment de contrôles aux frontières extérieures de l’Europe et pas assez de négociations avec les pays sources.

Sur l’éducation, vous affichez une volonté réformatrice mais votre expérience à Matignon s’est soldée par un blocage de la France. Avez-vous changé depuis l’époque où vous étiez le premier ministre « droit dans ses bottes » de 1995 ?

Oui, j’ai changé. J’ai appris avec l’expérience que j’en ai trop fait à cette époque. Je n’avais pas écouté les mises en garde de Nicole Notat, alors secrétaire générale de la CFDT, et André Bergeron, ex-secrétaire général de la CGT-FO, qui considéraient que je n’étais pas prêt à réformer les retraites et m’avaient conseillé de ne pas en parler. Dans mon ardeur réformatrice, je n’avais pas tenu compte de leur remarque et j’avais évoqué ce sujet en une phrase. Cela avait suffi pour mettre le feu aux poudres… J’ai appris la doctrine de la goutte d’eau : il ne faut pas faire déborder le vase en voulant trop en faire. Autre enseignement : il faut annoncer clairement la couleur. L’erreur, en 1995, était de ne pas avoir annoncé la réforme des retraites avant l’élection. Pour la prochaine présidentielle, je ne ferai pas cent dix propositions mais une dizaine ou une vingtaine de grandes réformes. Je dirai clairement aux Français ce que je veux faire et pourquoi je leur demande mandat. S’ils me font confiance, je me sentirai les mains libres pour appliquer mon programme car je n’aurai pas la préoccupation de me faire réélire

Avez-vous l’impression que les Français vous connaissent vraiment ?

Je ne sais pas s’ils connaissent l’homme que je suis. C’est pourtant nécessaire. L’élection d’un président de la République, c’est le choix d’un homme et d’une personne. En qui les Français vont-ils placer leur confiance pendant cinq ans ? C’est là-dessus que cela va se jouer. Pas sur le physique… En 2017, ce sera une alchimie entre un projet clair, convaincant et une personnalité rassurante. Les Français ont une certaine image de moi : ils me voient – à tort – comme quelqu’un d’un peu froid. C’est parce que j’estime que la fonction de président de la République mérite une certaine dignité. Les Français savent aussi d’une façon générale que je tiens mes engagements et que j’ai le sens de la fidélité. Cela explique leur indulgence à mon égard car ils savent que j’ai parfois payé pour d’autres.

N’êtes-vous pas en décalage avec la réalité de la société française, lorsque vous évoquez son « identité heureuse » ?

J’exprime un espoir. Il y a évidemment des tensions dans le pays. mais globalement, les Français ne se déchirent pas et ils sont heureux de vivre ensemble. Je n’ai pas une vision idyllique de notre pays. Je veux simplement éviter les amalgames car je suis préoccupé par la globalisation du rejet de l’islam. Il faut lutter pied à pied. Et je l’ai souvent dit à nos amis musulmans : ils doivent monter au créneau, dire que le djihadisme n’est pas leur religion, que l’islam, ce n’est pas la mort. Certains le disent mais pas assez.

En adoptant un ton modéré sur l’immigration et l’islam, avez-vous fait le deuil des électeurs FN ? Nicolas Sarkozy, lui, les cible ouvertement…

Ce que je dis ne laisse pas indifférent, même les sympathisants FN. Je ne néglige ni ma droite ni ces sujets. Je publierai d’ailleurs un livre sur les questions régaliennes en janvier 2016. Je suis un homme de droite non sectaire qui veut éviter les clivages inutiles, les polémiques qui s’embrasent et créent beaucoup de dégâts dans un flot d’informations en continu. Je veux me consacrer à l’essentiel et rechercher ce qui rassemble plutôt que ce qui divise.

Menacez-vous toujours de vous présenter directement au premier tour en 2017 si l’organisation de la primaire ne vous convenait pas ?

Bien sûr. Si la primaire apparaissait « bidonnée », elle n’aurait pas de légitimité. Mais je ne me place pas pour le moment dans cette perspective. Les premières décisions me conviennent parfaitement mais je reste vigilant.

Etes-vous convaincu que votre popularité se transformera en bulletins de vote ?

Si je n’en étais pas convaincu, je fermerais boutique ! Les études d’opinion convergent et sont encourageantes. Je suis aussi conscient que tout cela est très volatil, que le contexte peut changer. Mais il vaut mieux être là où je suis. Quand j’ai lancé ma candidature il y a un an, tout le monde a prédit que je ne tiendrais pas lorsque Nicolas Sarkozy rentrerait dans le jeu, que je serais balayé. Ce n’est pas ce qui s’est passé.

Vous sentirez-vous lié au programme de votre parti qui sera voté en juin ?

Si le parti s’engageait dans la définition d’un programme extrêmement contraignant qu’il prétendrait imposer à tous les candidats à la primaire, ce serait une erreur. Il faut un socle de valeurs communes. A partir de ça, chacun fera preuve de sa capacité d’innovation.

Etes-vous touché par les critiques sur votre âge ?

On peut changer beaucoup de choses, sauf son état civil. Il vaut mieux être un septuagénaire actif et imaginatif qu’un quinquagénaire plan-plan. Hillary Clinton a, par exemple, seulement deux ans de moins que moi. Le président tunisien en a même dix-neuf de plus, ce qui me laisse des perspectives…

A droite, certains disent que vous n’avez pas envie d’être président mais que vous voulez enfin être aimé et prendre une revanche sur le passé…

Oui, j’ai envie d’être aimé, n’est-ce pas le cas de tout le monde ? Pourquoi un homme politique n’aurait-il pas envie d’emporter l’adhésion de ses concitoyens ? Mais je n’ai aucune revanche à prendre.

Matthieu Goar
Journaliste au Monde


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