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« Après cette guerre, la situation est désespérée à Gaza »

mardi 5 août 2014

Christophe Ayad, chef du service international du Monde, a répondu aux questions des internautes sur le retrait des troupes israéliennes de Gaza.

David : peut-on (faut-il) espérer que le Fatah reprenne la main à Gaza ? Israël et Abbas sont-ils plus enclins à négocier la paix aujourd’hui qu’hier ?

Christophe Ayad : si le Hamas est affaibli par la guerre, cela ne veut pas dire pour autant que le Fatah va reprendre pied à Gaza. L’intérêt du Fatah est de se poser en intermédiaire entre Israël et le Hamas. C’est d’ailleurs lui qui préside la délégation des factions palestiniennes au Caire.

RJ : pouvons-nous nous attendre à des sanctions de la communauté internationale contre l’Etat d’Israël, à la suite de l’indignation suscitée ?

Non. Il y a très peu de chances qu’Israël fasse l’objet de sanctions. Ses relais diplomatiques et médiatiques restent très puissants et, face au Hamas, il ne peut pas apparaître comme le seul responsable des violences.

SAM : est-ce que l’opinion internationale ou les manifs à l’étranger peuvent changer (ou ont changé) quelque chose à la politique israélienne ?

Ces dernières années, Israël a montré que la pression de l’opinion internationale n’avait aucun effet sur ses politiques. L’opinion israélienne, au contraire, a tendance à faire bloc avec les dirigeants lorsqu’elle se sent l’objet de critiques à l’étranger. Mais il n’est pas exclu qu’à moyen terme l’opinion israélienne finisse un jour par être lassée de l’isolement croissant de son pays et de la réprobation de plus en plus grande dont il fait l’objet. Mais pour cela, il faudrait qu’émerge un parti de gauche fort et restructuré, ce qui n’est pas du tout le cas en ce moment.

Benoit T. : estimant que l’armée israélienne est bien renseignée et compétente, quel choix stratégique peut justifier de bombarder des écoles et bâtiments sous protection de l’ONU et donc s’exposer à de fortes critiques de la communauté internationale ?

Aussi renseignée soit-elle, une armée peut commettre des bavures, comme cela a été le cas à plusieurs reprises pendant le mois écoulé à Gaza. L’objectif principal de l’armée israélienne est de détruire ses ennemis. Si jamais cela occasionne des pertes civiles, c’est regrettable mais secondaire à ses yeux.
Fayçal : les Israéliens ont-ils des preuves solides que le Hamas utilise des boucliers humains ?

Il y a eu plusieurs cas avérés de tirs de roquettes effectués depuis les environs immédiats de bâtiments publics, comme des écoles ou des hôpitaux. Mais la rhétorique israélienne sur les boucliers humains utilisés par le Hamas relève aussi d’une mauvaise foi certaine lorsqu’on connaît Gaza, qui est l’un des territoires les plus densément peuplés au monde.

Fønskar : le retrait israélien de Gaza engage-t-il une cessation des combats des deux côtés ?

En fait, c’est le contraire : l’acceptation du cessez-le-feu par le Hamas a permis le retrait total israélien, qui était déjà engagé sans être officiel, depuis dimanche. Israël attendait d’une certaine façon que le Hamas reconnaisse sa « défaite » en acceptant le cessez-le-feu proposé par l’Egypte.

Jibril : pensez-vous qu’à la fin de cette trêve il y aura une reprise des hostilités de la part du Hamas ?

Cela me semble difficile politiquement de la part du Hamas d’engager un nouveau round d’hostilités alors que la population palestinienne panse ses plaies et découvre l’ampleur des destructions. D’autant que l’arsenal du Hamas a été largement entamé par cette guerre. Selon l’armée israélienne, le mouvement palestinien a tiré un tiers de ses 9 000 roquettes et un autre tiers a été détruit par Israël.

Fønskar : quelle est la situation économique à Gaza ?

La situation économique était déjà catastrophique, avec un chômage supérieur à 40 %, et une population complètement dépendante des salaires des fonctionnaires payés par l’Autorité palestinienne et financés par la communauté internationale. Après cette guerre, la situation est désespérée. Beaucoup d’infrastructures ont été détruites ou gravement endommagées : des écoles, des bâtiments administratifs, des entreprises, certains quartiers entiers ont été rasés. Et la centrale électrique a une nouvelle fois été frappée, elle ne fonctionne plus qu’à 50 %.

Lire aussi le reportage de notre envoyée spéciale à Gaza : Désastre humanitaire dans les ruines de Gaza

Wedge : il semble que les Palestiniens aient l’intention de poursuivre certains dirigeants israéliens suspectés de crime de guerre. Pensez-vous qu’une telle démarche à des chances d’aboutir ? L’ONU semble avoir des présomptions qui vont également dans ce sens.

Tout le problème pour les Palestiniens est de parvenir à saisir la Cour pénale internationale alors qu’ils ne disposent pas d’un Etat internationalement reconnu. Il y a des moyens, détaillés par plusieurs juristes, mais cela va prendre du temps, et des démarches extrêmement compliquées. Une saisine par le Conseil de sécurité est totalement exclue, car dans ce cas les Etats-Unis opposeraient leur veto.

Kozanowki : dans quelle mesure la population israélienne soutient-elle l’opération militaire à Gaza ?

Tout au long de l’opération « Bordure protectrice », la population israélienne a témoigné d’un soutien massif aux dirigeants politiques et militaires. C’est probablement dû à l’allongement de la portée des tirs de roquettes, qui visent désormais Tel-Aviv, Jérusalem, et même Haïfa, dans le nord du pays. Autre facteur : le traumatisme laissé par l’enlèvement, puis la libération, du soldat Gilad Shalit après plusieurs années de détention, qu’il a fallu échanger contre plus d’un millier de prisonniers palestiniens. Les Israéliens ne veulent plus se retrouver face à un tel « chantage », d’où la popularité du thème de la destruction des tunnels du Hamas reliant la bande de Gaza et le territoire israélien.

Walid : on entend, chaque fois qu’il s’agit des tunnels de Gaza, dont la destruction sert à justifier la mort de tant de civils, que leur raison d’être est de terroriser et d’assasiner les civils israéliens. Depuis la construction des premiers tunnels, combien de civils israéliens ont-ils servis à tuer ?

Je n’ai pas tenu le décompte d’une telle menace, mais ce chiffre ne dépasse probablement pas la dizaine. C’est la menace qui a mobilisé l’opinion plus que la réalité du danger, et surtout le risque d’un nouvel enlèvement menant à de longues et douloureuses tractations avec le Hamas.

Visiteur : l’Etat israélien a justifié le début de l’intervention par le kidnapping et l’assassinat de trois jeunes civils qu’elle a immédiatement attribués au Hamas. Il semblerait que l’enquête ait démontré que le Hamas n’ait rien avoir avec cette affaire. Comment ces évolutions de l’enquête sont perçues par l’opinion israélienne ?

Pour l’instant, l’opinion israélienne ne semble pas accorder beaucoup d’importance à ces révélations. Mais il est vrai que ce n’est pas le Hamas comme organisation mais bien plus une cellule, semble-t-il indépendante, qui a enlevé et tué les trois jeunes étudiants.

JMPAPA : pensez-vous que le Hamas est un parti politique tel que nous l’entendons dans nos démocraties, ou un groupe terroriste ?

Tout comme le Hezbollah libanais, le Hamas est les deux à la fois : un parti politique qui a remporté les élections législatives palestiniennes de 2006 à la régulière ; mais aussi une milice dont le credo est la résistance armée. Cela dit, ce parti, qui s’est prêté au jeu démocratique et a été privé de sa victoire, n’a jamais caché son projet qui est, au final, la destruction de l’Etat d’Israël.

Constance : pourquoi les Israéliens ont-ils cherché à détruire les tunnels en s’intéressant à leurs entrées, dans Gaza ? Pourquoi ne pas détruire ces tunnels depuis leurs sorties situées en territoire israélien ?

Je ne suis pas un expert de la question. Je suppose que ces tunnels avaient des entrées et des sorties multiples. Maintenant, il ne faut pas se leurrer : si l’objectif n’avait été que la destruction des tunnels, on n’aurait pas assisté à de telles destructions, notamment dans le quartier de Chadjaiya, dans l’est de la ville de Gaza, qui est connu pour être un bastion du Hamas.

Cédric : après la fin des hostilités, y a-t-il toujours des chances de voir le blocus levé sur Gaza ?

Je crois très peu à une levée du blocus. C’était l’objectif du Hamas et Israël ne lui fera sûrement pas ce cadeau. Bien sûr, la question sera sur la table lors des négociations à venir en Egypte entre Israéliens et Palestiniens. Mais Israël va probablement demander de telles garanties sur le contrôle des entrées et des sorties et sur l’usage qui sera fait des produits entrant à Gaza qu’il sera très difficile de parvenir à un compromis. L’Union européenne a laissé entendre à plusieurs reprises qu’elle pourrait aider à contrôler la frontière, mais elle l’a déjà fait par le passé et cela s’est soldé par un échec.

Voir aussi les images de Gaza, avant et après les bombardements

Fabrice : pourquoi les Palestiniens de Gaza soutiennent le Hamas dont la stratégie (cf. sa charte) est suicidaire pour la région ?

Les Palestiniens de la bande de Gaza n’ont pas une vision forcément stratégique et régionale de leur situation. Ce qu’ils voient au jour le jour, c’est l’état de siège et de misère dans lequel ils vivent. Pour eux, le Hamas est certes synonyme de blocus, mais il est aussi la seule force palestinienne qui n’a jamais cessé la lutte armée et qui affirme avoir obtenu le retrait israélien de Gaza en 2005 grâce à son action. Le Fatah, qui a choisi la voie de la négociation et de l’action pacifique, a été bien mal payé en retour. Il n’a jamais pu obtenir la reconnaissance d’un Etat et voit de mois en mois les colonies israéliennes s’agrandir et se multiplier en Cisjordanie.

Emmanuel : est-il vrai que le Hamas essayait de convaincre les habitants de rester chez eux malgré les avertissements de l’armée israélienne dans un but de maximiser le nombre de victimes et ainsi d’ameuter l’opinion internationale ?

Cela ne me paraît pas crédible. Si certains Palestiniens sont restés chez eux au risque de se faire tuer, c’est qu’ils n’avaient pas de lieu sûr où aller. N’oubliez pas non plus que les Palestiniens sont traumatisés depuis 1948 par le syndrome du réfugié : beaucoup se sont promis de ne pas quitter une deuxième fois leur domicile et leur terre.

Eva : quels sont les termes du cessez-le-feu finalement accepté par le Hamas ? En quoi diffèrent-ils des propositions précédentes ?

C’est un cessez-le-feu sans conditions de soixante-douze heures, et renouvelable. Les précédents cessez-le-feu débouchaient sur des négociations où le Hamas était légitimé par la présence d’alliés comme la Turquie et le Qatar. Là, ce n’est plus le cas. Palestiniens et Israéliens négocieront seuls à seuls par l’intermédiaire de diplomates égyptiens (qui d’ailleurs sont plutôt hostiles au Hamas).

J-F : pourquoi Israël bénéficie d’une totale impunité de la part de la communauté internationale ?

C’est une question très juste mais qui nécessite de se pencher sur l’histoire récente pour en comprendre tous les tenants et aboutissants. L’Etat d’Israël est né à la suite de la Shoah, il a été conçu comme le refuge de tous les juifs ayant échappé au génocide commis par les nazis. Cette origine en fait un Etat à part, du moins aux yeux des pays occidentaux qui portent une lourde part dans l’avènement d’un Etat juif. Quant aux pays arabes et aux Palestiniens, ils n’ont jamais compris ni accepté, à raison, de faire les frais d’une injustice qu’ils n’avaient pas commise.

Mais ils ont souvent commis l’erreur de recourir à une rhétorique qui pouvait faire penser que le peuple juif, rassemblé en Israël, était à nouveau menacé dans son existence alors que ce n’était pas forcément le cas. Cela a porté un lourd préjudice à la cause palestinienne sur la scène internationale même si, aujourd’hui, la nécessité et le droit de disposer d’un Etat pour les Palestiniens ne font plus débat.

Crimmers : y a-t-il aujourd’hui une solution politique ?

Laurent Fabius l’a dit assez clairement hier dans son communiqué : la solution politique est connue de tous, il s’agit de deux Etats, palestinien et israélien, vivant côte à côte. Seulement il y a deux problèmes majeurs. Le premier est l’incapacité des principaux acteurs à s’entendre sur une solution, doublée d’un manque de volonté de la communauté internationale d’imposer cette solution. Le second est la multiplication des faits accomplis israéliens sur le terrain rendant quasiment impossible l’existence d’un Etat palestinien viable et disposant d’une continuité territoriale.

L’accélération de la colonisation ces dernières années rend presque illusoire désormais la solution des deux Etats. Je ne sais pas qui aura le courage de finir par le dire à haute voix, car cela implique qu’Israël en tire les conséquences et traite à terme sur un pied d’égalité tous les citoyens vivant dans les territoires qu’il revendique.


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