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Ces duvaliéristes qui n’honorent pas la mémoire des Duvalier

mardi 21 octobre 2014

La vie était bien meilleure pendant sa présidence », a déclaré l’ex-colonel Joseph Baguidy lors des funérailles de l’ancien dictateur Jean-Claude Duvalier le samedi 11 octobre 2014 (1). L’ancien militaire voulait rappeler le bon côté du tyran auquel il est resté fidèle jusqu’à sa mort.

Cet argument est le plus populaire de ceux avancés par les duvaliéristes qui font l’apologie du duvaliérisme. Paradoxalement, les lavalassiens disent, eux-aussi, exactement la même chose pour le règne de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide. Cela devient une ennuyeuse chanson.

Cette formule aussi creuse que lapidaire traduit deux réalités. Premièrement, quel que soit le régime, la vie sera toujours meilleure pour certains de ses fidèles partisans. Deuxièmement, le pays ne cesse de s’enliser dans le sous-développement.

En fait, l’une des façons de déshonorer la mémoire d’un ancien dirigeant d’un pays est de dire que la vie était meilleure sous son règne. Cela veut dire qu’il n’a pas été assez visionnaire pour éviter la débâcle à son pays. À moins qu’il y ait eu entre-temps des catastrophes diverses pouvant justifier un tel écart. À l’inverse, l’un des plus grands hommages que l’on puisse rendre à un ancien président est de dire que le niveau de vie courant de la majorité de la population est meilleur que celui enregistré sous sa présidence. Et ce grâce aux politiques publiques qu’il a mises en œuvre.

Aujourd’hui, on admet que le Canada ne pourrait pas maintenir ses programmes sociaux en dehors des réformes du Premier ministre Brian Mulroney. 20 ans après son passage, le Canada se porte beaucoup mieux qu’avant, en grande partie, grâce aux mesures prises par son administration. Il a instauré la Taxe nationale sur les produits et services (TPS) qui représente une grande part des recettes publiques. L’accord de libre-échange qu’il a signé avec les Etats-Unis a bien profité au Canada. Mais comme personne n’aime payer des taxes additionnelles, il en a fait les frais, avec un fort déclin de sa popularité. Comme pour prouver leur justesse, ses grandes décisions ont été largement suivies par ses successeurs.

Les Québécois gardent en mémoire l’ex-Premier ministre Jean Lesage souvent considéré comme le père de la Révolution tranquille. Il a profité d’une forte croissance économique pour refonder l’État québécois, lancer des projets d’investissements d’envergure et initier une grande réforme de l’enseignement public en créant notamment le ministère de l’Éducation nationale. Il a aussi instauré la Caisse de dépôt et placement du Québec, la carte d’assurance maladie et la Régie des rentes, ces institutions qui font aujourd’hui partie du patrimoine québécois et qui ont grandement contribué au développement de la province francophone canadienne. La vie du Québécois moyen est bien meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était sous Jean Lesage. Voilà une bonne façon de reconnaître l’efficacité d’un dirigeant politique.

Que seraient les Etats-Unis d’Amérique aujourd’hui sans les contributions de Georgs Washington et d’Abraham Lincoln ? Il n’y a aucune comparaison entre le niveau de vie de l’Américain moyen aujourd’hui et ce qu’il représentait sous leur présidence. Ils ont construit les bases du développement durable de leur pays. Un grand président doit s’assurer que le pays qu’il dirige se portera mieux quand il quittera son poste et non l’inverse. C’est pourquoi il doit, en tout premier lieu,renforcer les institutions.

Si le père fondateur de la nation, Jean-Jacques Dessalines, avait eu le temps de mettre en œuvre sa vision d’un État socialement juste et équitable, on aurait eu une bien meilleure Haïti Thomas aujourd’hui.

Mais hélas ! Beaucoup de dirigeants haïtiens ont fait le raisonnement inverse. Au lieu de poser les bases du développement pour les gouvernements et les générations futurs, ils ont tout fait pour laisser en héritage, à leur départ, une cigarette allumée aux deux extrémités. Ce qui justifie que la situation soit pire après leur départ. C’est leur choix. Très cynique, bien entendu.

La chasse aux intellectuels constitue l’une des illustrations des méfaits du duvaliérisme sur le marasme économique actuel. Québec en a d’ailleurs largement profité pour asseoir les bases de son développement économique en promouvant une éducation de qualité pour tous. Jérôme Métellus, un de ces illustres professeurs qui ont formé plusieurs générations de Québécois, m’a raconté son histoire personnelle.

Au début des années 60, il étudiait à New York quand il avait tissé des liens avec un consul africain dont la mission principale était de recruter des Haïtiens qualifiés pour faire fonctionner les administrations de son pays, nouvellement indépendant. C’était la stratégie gagnante de l’époque.

M. Métellus offrait sa collaboration au consul africain en vue d’accueillir ses compatriotes à l’aéroport de New York et faciliter leur transbordement vers le continent noir. Malgré le témoignage de ces passagers qui fuyaient les dérives dictatoriales du régime de François Duvalier, il caressait le rêve de retourner au pays à la fin de ses études.Mais le nombre d’exilés augmentait d’année en année, dissuadant ainsi tous les jeunes compatriotes qui étudiaient à l’étranger de retourner au pays. Ils fuyaient tous la répression duvaliériste. Les terres d’accueil étaient principalement les Etats-Unis, le Canada (en particulier le Québec), la France, la République dominicaine et les Antilles.

M. Métellus était venu à Montréal accompagner ses enfants qui allaient poursuivre leurs études quand un de ses amis sur place lui conseillait de déposer un CV à un Collège d’enseignement général et professionnel (Cégep). Le lendemain, il a été appelé pour signer son contrat. Il a attendu plusieurs décennies avant de revisiter sa terre natale.

Feu Georges Anglade se montrait plus brave en débarquant à Port-au-Prince avec sa femme et sa fille Dominique après avoir obtenu son doctorat au Centre de géographie appliquée de Strasbourg. Il a été vite refoulé. Il s’est, lui aussi, réfugié au Québec et fut l’un des membres fondateurs du département de géographie de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM). Henri Bazin, pourtant boursier de l’État haïtien, n’a même pas pris la chance de revenir après son doctorat en économie en France. Il a été plutôt offrir son expertise en Afrique.

Toute une génération dorée de compatriotes à la tête bien faite et bien pleine a dû fuir le pays qui, pour cause, souffre aujourd’hui d’un manque cruel de ressources humaines qualifiées, susceptibles de promouvoir son développement économique. Et ce manque ne peut être comblé par les dons des organisations internationales, ni les prêts des pays amis et des institutions financières étrangères. Comme pour signifier l’ampleur de la perte engendrée par cette fuite massive de cerveaux, les enfants de cette génération d’exilés politiques ont fait le bonheur des pays d’accueil à l’image de Michaëlle Jean, ex-gouverneure générale du Canada, dont les parents ont dû fuir les tontons macoutes.

Si les colons avaient pillé les ressources naturelles d’Haïti, les Duvalier ont chassé une bonne partie de ses ressources humaines en plus de vider le Trésor public. Cependant, il est plus facile de combler le vide créé par le pillage des biens que de remplir celui engendré par la traque des hommes et des femmes compétents. Les pouvoirs post-86 n’ont pas su renverser la courbe de la fuite de cerveaux. Or, nous disait l’économiste et politologue français Jean Bodin : « Il n’y a de richesse que d’hommes. » Une façon de prouver qu’un dirigeant qui déclare la guerre à son intelligentsia enfonce son pays dans le sous-développement. Et quand un pays s’embourbe dans ce cercle vicieux, la génération future sera toujours plus pauvre que l’ancienne.

La responsabilité de cette descente aux enfers incombe en grande partie aux anciens dirigeants. En ce sens, s’enorgueillir du fait que les conditions socioé-conomiques sont pires aujourd’hui me paraît assez bizarre et déraisonnable. Le président Michel Martelly dira probablement la même chose dix ans plus tard après avoir lourdement endetté le pays, laissant ainsi un lourd héritage actuariel qui dégradera le bien-être des enfants de demain.

Tant que le pays restera sur la trajectoire du sous-développement actuel, les dirigeants d’aujourd’hui pourront continuer à déclarer que la vie était meilleure sous leur régime. Et ce ne sera pas à leur honneur.

(1)  : Roberson Alphonse. Jean-Claude Duvalier à son dernier rendez-vous. Le Nouvelliste du 13 octobre 2014. Disponible surhttp://lenouvelliste.com/lenouvelliste/article/136887/Jean-Claude-Duvalier-a-son-dernier-rendez-vous.html

Thomas Lalime thomaslalime@yahoo.fr


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