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Cuba : "Il ne faut pas s’attendre à une ouverture du régime"

jeudi 18 décembre 2014

Pour l’écrivain cubain exilé Jacobo Machover, Obama qui, comme Raúl Castro, a à coeur de rester dans l’histoire, a fait trop de concessions au dictateur.

Propos recueillis par Yves Cornu

Le Point.fr : Pourquoi la détente américano-cubaine intervient-elle maintenant alors que rien n’annonçait pareille accélération ?

Jacobo Machover* : Cela faisait quand même un certain temps qu’il y avait des signes annonciateurs. Côté cubain, il y avait une volonté d’ouverture de la part de Raúl Castro : il a aujourd’hui 83 ans et il veut entrer dans l’histoire. Du côté américain, les signaux ont été plus diffus : une série d’articles parus récemment dans le New York Times et réclamant une levée de l’embargo, un hommage rendu par les autorités américaines au travail des médecins cubains pour lutter contre le virus Ebola en Afrique ...

Ce qui est surprenant en revanche, c’est la forme grotesque de ce dégel : le président élu de la première puissance mondiale et un dictateur qui s’expriment au même moment et selon les mêmes modalités, c’est dévalorisant pour Obama.

Une exigence de la partie cubaine, selon vous ?

Je ne sais pas, mais Obama connaît mal Cuba. Il est né en 1961 et n’a donc pas vécu les moments de crises liés à la guerre froide dans cette région du monde. Cela dit, les plus grosses concessions sont clairement faites par la partie américaine. Ainsi, je trouve l’échange de prisonniers particulièrement choquant. Cuba a libéré deux ressortissants américains dont l’un avait commis le "crime" d’apporter du matériel informatique à destination de la petite communauté juive de l’île ! Les États-Unis, eux, ont renvoyé trois espions avérés dont deux avaient du sang sur les mains. Ce genre de troc n’honore ni les droits de l’homme ni la démocratie

Cette reprise des relations bilatérales aura-t-elle une incidence sur la pérennité du régime castriste ?

Malheureusement, oui. Malgré son âge, Raúl n’a aucune intention de passer la main. Et le jour venu, tout porte à croire que la transition se fera en bon ordre, au bénéfice d’un de ses deux enfants, sa fille Mariela ou, plus vraisemblablement encore, son fils Alejandro.

En quoi cette détente va-t-elle changer la vie des Cubains ?

Dans un premier temps, les effets seront limités puisque l’embargo américain n’est pas formellement levé. Et il ne faut pas s’attendre à une ouverture du régime. D’autant moins que, curieusement, Barack Obama n’a pas fait pression en ce sens.

Quelle est la prochaine étape ?

Barack Obama va devoir soumettre la levée de l’embargo au Congrès. Or, celui-ci y est hostile : les Républicains dans leur ensemble, bien sûr, mais aussi un certain nombre d’élus démocrates. C’est bien son problème, car s’il faut trouver un point commun entre Castro et Obama, c’est cette volonté de laisser une trace dans l’histoire alors que le temps leur est compté. Le Cubain parce qu’il est octogénaire, l’Américain parce qu’il ne lui reste plus que deux ans de mandat et qu’il ne peut se prévaloir d’aucun autre succès majeur en politique étrangère, ni dans sa tentative de rapprochement avec l’Iran, ni sur le processus de paix au Proche-Orient.

* Dernier ouvrage publié : Raul et Fidel, la tyrannie des frères ennemi, Bourin éditeur


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