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État palestinien : ce que change le vote des députés

mardi 2 décembre 2014

Le vote symbolique de l’Assemblée en faveur de la Palestine ne modifie rien à la situation sur le terrain. Mais il met Israël sous pression.

Par Armin Arefi
La reconnaissance d’un État palestinien par la France serait une grave erreur (...) C’est ce qu’ils ont à faire en ce moment en France quand on décapite des gens à travers le Proche-Orient, y compris un citoyen français ?" La reconnaissance par l’Assemblée nationale de l’État palestinien (393 députés pour, 151 contre) a beau être purement symbolique, les propos peu amènes du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à cet égard traduisaient, une semaine avant le vote, son profond agacement.

Pourtant, comme le rappellent les députés de droite, qui ont majoritairement rejeté le texte, rien ne changera la situation sur le terrain. Pour preuve, l’accession de le Palestine au rang d’État observateur non membre de l’ONU en 2012 n’a strictement rien apporté sur le terrain, hormis une joie populaire de courte durée. Au contraire, la colonisation israélienne - pourtant illégale - à Jérusalem-Est et en Cisjordanie n’a fait que s’intensifier, ruinant dans les faits toute possibilité d’avoir un jour un État palestinien viable.

Vaste mouvement européen

Pour Israël, seules des négociations de paix peuvent aboutir in fine à la création d’un État palestinien indépendant, et sa reconnaissance ne peut en aucun cas être une condition préalable. Problème, cela fait vingt et un ans que les deux parties "négocient" sans aucun résultat concret. Et la dernière tentative de neuf mois, menée tambour battant par l’infatigable secrétaire d’État américain John Kerry, s’est à nouveau soldée en avril par un cuisant échec. "La poursuite de la colonisation donne l’impression qu’Israël ne négocie pas sérieusement", avait-il déclaré dès novembre 2013, rompant avec la traditionnelle langue de bois diplomatique.

"Israël veut-il une troisième Intifada ? [...] Si la paix reste introuvable, Israël sera de plus en plus isolé. Il y aura un renforcement de la campagne de délégitimation au niveau international", avait-il ajouté. Des paroles d’une étonnante liberté qui avaient provoqué les foudres de la droite israélienne au pouvoir. Mais qui se sont révélées prophétiques. Car si, au premier abord, la reconnaissance unilatérale d’un État palestinien en France risque de se retourner contre l’Autorité palestinienne - Israël pouvant par exemple bloquer comme de coutume les taxes collectées au nom de Ramallah ou annoncer en représailles de nouveaux projets de construction -, la décision des députés français n’est que la dernière illustration en date d’un vaste mouvement européen de reconnaissance de la Palestine.

Bénédiction du Quai d’Orsay

Initiée cet automne par le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, la stratégie vise à rééquilibrer la position palestinienne dans le cadre de futures négociations avec Israël. Après la Suède - premier pays majeur de l’Union européenne et 135e pays au monde à avoir reconnu la Palestine - fin octobre, ce sont les Parlements britannique, irlandais et espagnol qui ont dit symboliquement "oui", enjoignant à leur tour à leur gouvernement de faire de même.

Si l’exécutif français est aujourd’hui favorable sur le fond à la reconnaissance de l’État palestinien, une telle décision n’est pas à l’ordre du jour. Néanmoins, il est à noter que le texte socialiste voté à l’Assemblée a été rédigé avec la bénédiction du Quai d’Orsay, alors qu’un vote similaire doit avoir lieu au Sénat le 11 décembre prochain. "Le processus de paix n’avance pas", confie une source diplomatique. "Depuis cet été et la crise de Gaza, le discours et la logique ont donc été renversés. Si, dans un monde idéal, l’État palestinien doit être le fruit de négociations, il serait possible d’utiliser la reconnaissance comme un outil pour accélérer le processus de paix."

La France reprend la main

Vendredi, lors des débats précédant le vote à l’Assemblée, Laurent Fabius a de nouveau répété que "la France reconnaîtra[it] l’État palestinien", sans cependant s’engager sur un délai. Relativement absente du dossier au cours des dernières années, comme l’ont montré les multiples hésitations de François Hollande pendant la guerre de Gaza cet été, Paris semble aujourd’hui vouloir reprendre la main. À l’initiative du Quai d’Orsay, un projet de résolution doit être présenté au Conseil de sécurité de l’ONU d’ici la mi-décembre. Il prévoit la relance des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens en vue d’un accord final sous deux ans. En parallèle, le ministère des Affaires étrangères a annoncé sa volonté d’organiser une conférence internationale sur le Proche-Orient.

"Nous assistons aujourd’hui à une nouvelle donne", souligne Yves Aubin de La Messuzière, ancien directeur Afrique-Moyen-Orient au Quai d’Orsay et expert du dossier. "La volonté est de changer l’enceinte des négociations - pour rejoindre le cadre multilatéral de l’ONU - afin d’imposer la paix, avec un retour aux frontières de 1967 et des aménagements à négocier." Et le diplomate de préciser qu’en cas d’échec de l’initiative, au bout de deux, la France pourrait reconnaître unilatéralement l’État palestinien. "La France possède un effet entraînant, et beaucoup d’autres pays européens pourraient suivre. Voilà pourquoi les réactions israéliennes sont si nerveuses", explique-t-il.

Une inquiétude confirmée il y a quelques semaines par les propos au Point.fr du ministre israélien du Renseignement, Yuval Steinitz : "Si Paris, sous la pression de l’extrême gauche ou de sa communauté musulmane, se livrait à un tel vote anti-israélien, ce serait vraiment dommageable, car d’autres pays suivraient."
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