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Haïti- Biodiversité

« Extinction en cours » : une course contre la montre pour les grenouilles en Haïti

mardi 8 décembre 2015

Alors qu’Haïti est proche d’une extinction de masse de sa biodiversité, avec seulement 1 % restant de ses forêts primaires, des scientifiques américains explorant le reste des forêts vierges du pays ont non seulement trouvé une abondance de grenouilles, mais également six espèces qu’ils croyaient disparues depuis près de deux décennies. Découverte de notre étonnante biodiversité

Selon le Dr Carlos Martinez, biologiste des amphibiens au zoo de Philadelphie, sur Hispaniola, l’île partagée par Haïti et la République dominicaine, plus de 60 des 82 espèces d’amphibiens reconnus par la science sont menacées d’extinction. La déforestation et la dégradation de l’habitat sont les principaux facteurs de cette crise, ce qui signifie que toute l’île risque aussi de perdre la totalité de son patrimoine naturel. « En Haïti, il y a 54 espèces indigènes d’amphibiens, 31 sont classées en danger critique et 9 sont en voie de disparition. Quoi de plus décourageant ? Il y a plusieurs nouvelles espèces d’amphibiens que nous venons de découvrir, dont l’habitat est menacé en Haïti et qui seront bientôt très probablement classées comme étant en danger », avertit-il dans une interview qu’il nous a accordée hier.,
La plupart de ces espèces se trouvent dans le massif de la Hotte et le massif de la Selle, en Haïti, où, grâce à un partenariat entre l’université Penn State de Pennsylvanie, la Société Audubon Haïti (SAH) et le zoo de Philadelphie, les scientifiques américains ont concentré leurs efforts de conservation. Ces scientifiques, que le public haïtien découvrira le 9 décembre prochain à 19h au Karibe lors de la projection du film « Extinction en cours », présenté par la Société Audubon Haïti, (SAH), ont commencé leur travail en Haïti en octobre 2010, dix mois après le séisme dévastateur. À l’époque, ils craignaient que les personnes déplacées, victimes directes du séisme, tentent de fuir la dévastation dans la ville de Port-au-Prince et se déplacent dans les forêts. Si cela devait se produire, le 1% de forêt restante aurait pu disparaître. Ainsi, ils ont entrepris une mission de sauvetage pour les espèces de grenouilles en danger critique d’extinction et ont pu sauver 157 spécimens de 10 espèces différentes des massifs de la Hotte et de la Selle. À l’origine, ils cherchaient aussi la grenouille rousse de la Selle, qui a disparu depuis 1985. Malheureusement, ils ne l’ont pas trouvée. « Le projet est d’étudier toutes les espèces, mais cette grenouille en particulier est très rare ; nous n’avons pas encore trouvé une population de ce spécimen depuis 1985. Elle est probablement un exemple du début de l’extinction de masse sur le point de se produire. Je suis certain qu’il y a d’autres espèces qui ont disparu avant même qu’elles aient été découvertes, comme sur les montagnes qui ont été complètement déboisées ; comme Morne Bœuf par exemple », nous a révélé le Dr Blair Hedges de l’université Temple en Pennsylvanie, chef de file de ce projet et coproducteur, avec le cinéaste Jürgen Hoppe, du film « Extinction en cours ». Comment se fait-il, qu’avec un tel environnement dévasté, Haïti ait encore 56 espèces de grenouilles nommées et que de nouvelles espèces continuent d’être découvertes à un taux élevé ? Comment le Dr Blair Hedges explique-t-il cela ? « Avec un hélicoptère, nous avons atteint des zones auparavant inaccessibles, ce qui nous a permis de trouver de nouvelles espèces récemment. La biodiversité d’Haïti comprend, en gros, plus de 25 000 espèces de plantes, d’animaux, de champignons et de microbes. La moitié de ces espèces se trouve uniquement en Haïti et non pas en République dominicaine, qui est pourtant mieux conservée. Comment j’explique ce phénomène ? Haïti est un pays très montagneux, d’où son nom d’ailleurs qui signifie « haute montagne », ce qui provoque l’isolement des espèces limitées à Haïti », explique le biologiste. Ayant travaillé par intermittence en Haïti depuis 1984, le Dr Blair Hedges savait qu’une extinction de masse était en cours et c’est ainsi qu’il y a environ six ans, en 2009, il a commencé à redoubler d’efforts pour enquêter et découvrir ce qui existe actuellement dans le pays. Peu de temps après, en 2011, « j’ai commencé à utiliser un hélicoptère, ce qui a considérablement augmenté le taux de mes découvertes. L’objectif était de localiser les points chauds de la biodiversité afin qu’ils puissent être ciblés pour leur protection », nous a déclaré le biologiste. Un point chaud ou « hotspot » de biodiversité est une zone géographique contenant au moins 1 500 espèces végétales endémiques, mais qui a déjà perdu au moins 70 % des espèces présentes dans leur état originel. Ainsi, douze « points chauds » de la biodiversité en Haïti ont été répertoriés et seront dévoilés à la première du film « Extinction en cours », mercredi 9 décembre, en présence du biologiste qui a fait le voyage pour cette occasion. « La communauté internationale s’est surtout penchée sur les problèmes non environnementaux en Haïti, donc nous espérons que ce film va attirer plus d’attention sur l’environnement et la biodiversité. À l’échelle internationale, il y a de l’intérêt parce que ce qui se passe en Haïti est peut-être l’une des premières de ces extinctions de masse à se produire dans un pays de cette taille. Je pense que les Haïtiens sont également préoccupés parce qu’ils sont fiers de leur pays et de ses espèces uniques et je ne veux pas voir disparaître cette richesse. La perte d’espèces et la dégradation de l’environnement va également affecter la vie quotidienne des Haïtiens parce que les ressources en eau deviendront plus rares, les inondations et la désertification seront pires et l’énergie pour la cuisson sera plus coûteuse et plus difficile à trouver », avertit le scientifique. Au cours des cinq dernières années, le Dr Blair Hedges et le zoo de Philadelphie ont été en mesure d’élever cinq de ces espèces. Selon le Dr Carlos Martinez, le but de leur travail in situ de conservation dans l’île d’Hispaniola est de fournir un meilleur aperçu de la façon critique dont les amphibiens sont menacés dans des paysages dégradés et fragmentés ; déterminer si ces amphibiens sont capables de maintenir des populations fonctionnelles et apprendre comment ces pressions environnementales influent sur leur survie à long terme. Grâce à la précieuse collaboration du Dr Martinez, nous faisons découvrir aujourd’hui en exclusivité à nos lecteurs certaines des grenouilles les plus rares de l’île d’Hispaniola et, surtout, d’Haïti. La grenouille épineuse verte d’Hispaniola Eleutherodactylus nortoni Cette grenouille est unique parmi les espèces des Caraïbes. Comme son nom l’indique, elle est très épineuse et la plupart du temps de couleur verte. Lorsque les petits naissent, ils sont très vifs et ressemblent à de petits bouquets de mousse hérissée. Lorsqu’ils grandissent, la couleur passe au vert vif telle une couleur de camouflage. Les adultes peuvent être verts, bruns ou même rougeâtres. Les adultes sont les plus grandes et les plus puissantes grenouilles dans les Caraïbes, avec une apparence imposante et des yeux couleur acajou. Pour se défendre, ils respirent de grandes goulées d’air et se gonflent pour paraître plus grands et difficiles à manger. Cette grenouille est importante parce qu’elle a besoin d’un environnement forestier de grande qualité pour survivre. On la trouve dans le Sud d’Haïti et certaines parties de la République dominicaine. La grenouille jaune des grottes Eleutherodactylus counouspeus Une grenouille de couleur frappante, les petits peuvent être d’un vert clair ou d’un jaune vif avec de grandes taches sombres et de grands yeux rouges. Lorsque la grenouille se développe, elle se transforme en couleur jaune moutarde pâle et la peau prend un aspect de cuir. Elle a de longs doigts, de grandes ventouses, des yeux impressionnants avec des jambes puissantes. Elle vit sur les affleurements rocheux et des grottes des forêts karstiques du massif de la Hotte en Haïti. La grenouille à taches de Macaya (Eleutherodactylus thorectes) La grenouille tachée de Macaya est une des plus petites grenouilles dans le monde. Une grenouille adulte peut s’asseoir confortablement dans un dollar haïtien (5 gourdes) et laisser encore de la place pour trois autres grenouilles. Elle ne se trouve que dans les forêts de nuages de haute altitude et les forêts de pins du massif de la Hotte et dépend des habitats vierges. Elle est si petite que son croassement ressemble au gazouillement faible et lointain d’un oiseau ou d’un grillon. La grenouille télégraphe du Sud (Eleutherodactylus audanti) La grenouille télégraphe du Sud est l’une des grenouilles d’Haïti qui montre une variation extrême de la couleur et la texture de la peau. Il est possible de trouver des grenouilles qui sont vertes, bronzes, rouges, bordeau pâle, avec des lignes, sans lignes, avec des marques fanées sur les côtés. Elle est également une grenouille qui s’adapte aux environnements dégradés et est parfois la seule espèce qui puisse être trouvée dans les zones d’extrême déforestation. La rainette arboricole géante d’Hispaniola (Osteopilus vastus) Considérée comme la plus grande grenouille arboricole dans le monde, elle est géante et peuple les ruisseaux de montagne et remonte jusqu’au lit des rivières pour se reproduire. Elle se caractérise par sa taille en cisaillement, mais aussi par son camouflage de mousse et sa peau verruqueuse. Ses pattes sont extrêmement larges avec de grandes ventouses et des membranes qui l’aident à grimper sur la canopée des arbres où elle vit et cette caractéristique lui donne un aspect encore plus étrange. La rainette verte géante d’Hispaniola (Hypsiboas heilprini) Elle est sans doute la plus belle grenouille de l’île d’Haïti et des Caraïbes. Sa couleur vert vif représente la grenouille par excellence mais la rainette verte géante d’Hispaniola a souvent des « gants » orange sur ses pattes et peut avoir des doigts bleus. De plus, elle a la vertu de toujours sembler nous sourire. Sa vie dépend de ruisseaux qui coulent rapidement dans les habitats des montagnes et on la trouve uniquement dans les zones où les arbres matures sont encore présents. Cela signifie que la présence de ces grenouilles dans la forêt indique non seulement qu’il y a une forêt de qualité, mais qu’il y a aussi de l’eau propre dans ladite forêt. Il est encore temps… Selon le biologiste Carlos Martinez du zoo de Philadelphie, la conservation de l’habitat et la préservation de la biodiversité devraient être une priorité pour toutes les nations, que ce soit à la maison ou dans une localité éloignée. Pour lui, la Déclaration de New York sur les forêts, signée au Sommet sur le climat de l’ONU en 2014, est un document politique juridiquement non contraignant qui favorise la responsabilité internationale pour la protection des forêts, il fournit un calendrier mondial pour aider les nations à réduire la perte des forêts naturelles de moitié d’ici 2020 et s’efforcer d’y mettre fin en 2030. À l’échelle nationale, le biologiste pense que « les Haïtiens ont besoin de se responsabiliser et d’aider à arrêter la perte de la biodiversité, non seulement par la préservation des forêts, mais aussi en fournissant au peuple haïtien d’autres sources de combustibles, des matériaux de construction et des possibilités d’avoir des revenus. » Plusieurs organisations de la société civile, comme la Société Audubon Haïti (SAH), commencent à informer et sensibiliser le public sur la riche biodiversité d’Haïti et l’urgente nécessité de la protéger. Cette dynamique ne peut pas disparaître et il faut la poursuivre sans relâche. En effet, pour le biologiste Carlos Martinez, « certaines personnes pourraient considérer les objectifs de la SAH comme un exploit utopique ou un objectif inatteignable, mais c’est votre seule option. Personnellement, j’ai vu des changements au niveau local, où les paysans haïtiens se soucient de plus en plus de la biodiversité. J’ai également assisté à des changements de perspective au sein des agences gouvernementales qui sont responsables de la protection des forêts d’Haïti. » Si beaucoup d’Haïtiens pensent que la lutte contre le déboisement et pour protéger la biodiversité de leur pays est peine perdue, Carlos Martinez pense qu’il est encore temps de mettre fin à la crise de la biodiversité d’Haïti pour aider le pays et ses forêts à se remettre sur pied et aller de l’avant. « Nous pouvons voir de petits changements clés dans la société et l’économie haïtiennes qui profitent à la conservation comme, par exemple, une plus grande prise de conscience et de connaissance de la biodiversité dans l’île et nous sommes confiants que ces changements signifieront que la biodiversité d’Haïti sera protégée. Des projets comme le film « Extinction en cours » et le travail que nous effectuons tous en Haïti sont la clé, non seulement pour protéger les espèces et les forêts, mais aussi pour créer une dynamique et permettre aux autres de se joindre à cet effort et de créer une masse critique qui nous permettra d’atteindre concrètement les changements dont Haïti a vraiment besoin. »


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