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Haïti : « Dépenser 100 millions de dollars pour des élections qui ne conduisent pas à la stabilité, c’est du gaspillage »

mardi 26 janvier 2016

Jocelerme Privert, le président du Sénat haïtien, est au cœur des négociations pour trouver une solution à la crise politique, accompagnée de violences, qui secoue Haïti après le renvoi sine die du second tour de l’élection présidentielle et des législatives partielles, initialement prévus dimanche 24 janvier. En octobre 2015, les résultats du premier tour, entachés de nombreuses irrégularités, avaient placé en première position le candidat du président sortant, Michel Martelly. Ancien ministre de l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, M. Privert a été un proche conseiller de son successeur René Préval. Avez-vous rencontré le président Michel Martelly ? Oui, j’ai eu une rencontre dimanche soir avec le président à sa demande. Il a clairement notifié sa décision irrévocable de partir le 7 février. Les élections, qui devaient aboutir à l’élection d’un nouveau président, ont été reportées, il y aura donc forcément un vide présidentiel le 7 février. Ce cas de figure n’est malheureusement pas prévu par la Constitution. Il nous faut donc trouver une solution politique qui soit inspirée de la Constitution. L’Assemblée nationale, codépositaire de la souveraineté nationale avec l’exécutif, devra trouver une solution au vide qui va se présenter dans les jours qui viennent. C’était l’objet de notre rencontre. Que pensez-vous des propositions de sortie de crise qui circulent à Port-au-Prince ? A l’initiative de différentes personnalités du monde des affaires, religieuses et politiques, des propositions ont été élaborées. J’ai pris connaissance de toutes ces propositions. Il va falloir inclure tout le monde si l’on veut que la solution aboutisse et soit génératrice de stabilité et de paix sociale. Les jours qui viennent vont être intenses en réunions et consultations pour permettre de dégager un accord consensuel entre les différents acteurs politiques et les partis représentés au Parlement. Le gouvernement en fonction n’avait malheureusement pas été ratifié par le Parlement. La transition exige que le gouvernement jouisse de la confiance du Parlement. Sa seule mission sera la conduite du processus électoral et la continuité des affaires de l’Etat. Un accord sera-t-il trouvé suffisamment vite pour désamorcer les violences et les affrontements dans les rues ? La meilleure façon de faire est d’offrir à toutes les sensibilités la possibilité de s’exprimer, d’inclure tout le monde dans le processus de dialogue. Il est évident qu’il y aura des gens en désaccord, qui vont refuser de participer. J’ai dit au cardinal Chibly Langlois, à propos des rencontres qu’il a conduites récemment, qu’il y avait une faiblesse concernant le nombre d’acteurs concernés. Je lui ai dit : « Pourquoi ne pas former une commission de médiation avec l’Eglise catholique, la fédération protestante, l’Eglise anglicane et le secteur vaudou ? » La solution qui va émerger ne fera pas l’unanimité, mais pour réussir, il faut qu’il y ait une masse critique de gens qui y adhèrent. Va-t-on reprendre le processus électoral sur la base des résultats du premier tour ou va-t-on tout recommencer ? C’est là tout le débat. S’agit-il de reprendre les élections ou de poursuivre le processus initié en 2015 ? Le temps de la transition dépendra du choix que l’on fera. Je vois difficilement une remise en question de tout ce qui a été fait. Pour moi, la décision, pour être sereine, doit s’inspirer des recommandations de la commission indépendante d’évaluation [qui a dénoncé de multiples irrégularités]. Je crois que les prochaines autorités, qui vont intervenir après le 7 février, ne pourront nullement faire abstraction des recommandations de la commission. C’est un indicateur puissant, qui peut nous permettre de voir clair, et de nous faire cheminer le plus rapidement possible vers la conclusion du processus initié en 2015. La communauté internationale a été très critiquée pour son ingérence, mais elle finance une grande partie du processus. Êtes-vous en contact avec ses représentants ? Lorsque tous les représentants du corps diplomatique défendaient la date du 24 janvier, je n’ai jamais raté une occasion de leur dire qu’une élection avec un seul acteur, critiquée par tous, ne pourrait conduire le pays à la stabilité politique. Haïti a besoin de stabilité politique. Regardez les hôtels, ils ont fait des investissements énormes et ils sont quasiment vides. Regardez la pauvreté, la détérioration de la situation économique, la chute de la monnaie nationale, la remontée de l’inflation, à 12 %. Aucun changement dans les conditions de vie de la population ne pourra se faire sans investissements, et les investisseurs ont besoin de stabilité politique. Investir 100 millions de dollars [92 milliards d’euros] pour des élections qui ne conduisent pas à la stabilité politique, c’est du gaspillage. Dommage que les représentants de la communauté internationale l’aient compris trop tard, on aurait pu éviter de nombreux actes de violence.
- Jean-Michel Caroit Le Monde


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