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Haïti : Que dire de l’hommage de Martelly à Toussaint Louverture ?

dimanche 2 novembre 2014

Le président d’Haïti, Michel Martelly, a rendu hommage samedi au Fort de Joux (Doubs) au héros de l’indépendance haïtienne, Toussaint Louverture, qui y fut incarcéré sur ordre de Napoléon, et où il mourut en 1803, juste avant l’indépendance de son pays.

“Je viens ici ému, la gorge nouée, mesurer le prix du courage, des convictions, des déterminations d’un homme“, a lancé le chef de l’Etat haïtien.

“La Patrie haïtienne vous est à jamais reconnaissante, Général !”, a-t-il ajouté en s’adressant directement au père de la nation, qu’il a qualifié de “Spartacus noir”. Martelly est le premier chef d’État en exercice à se rendre en visite officielle au Château de Joux pour rendre hommage à Toussaint Louverture. Le président français François Mitterrand y était venu, mais à titre privé.

Toussaint Louverture “a muri le grand rêve de la liberté”

Né esclave en 1743 dans ce qui était alors l’île française de Saint-Domingue, Toussaint Louverture mena la révolte contre l’esclavage et devint, après l’abolition de la traite par la République en 1793, le premier général noir de l’armée française.

Devenu gouverneur de la colonie en 1801, il reprit les armes lorsque Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage en mai 1802. Arrêté, il fut transféré en France, au Fort de Joux, où il périt le 7 avril 1803, quelques mois avant l’accession à l’indépendance d’Haïti.

Toussaint Louverture “a muri le grand rêve de la liberté” et “a compris que l’avenir des peuples réside dans leur capacité à se libérer mentalement par l’éducation et à dialoguer pour se comprendre”, a souligné M. Martelly.

“Il est mort loin de nous, il nous a créés, il nous a laissé une patrie, nous lui devions de venir“, a ajouté le président, en marge de cette cérémonie d’hommage, marquée par l’interprétation des deux hymnes nationaux, “La Dessalinienne” et “La Marseillaise”.

La ministre des Outre-Mer George Pau-Langevin, présente aux côtés de M. Martelly, a évoqué de son côté une “figure qui unit la France et Haïti”. Toussaint Louverture, a-t-elle souligné, s’est “battu pour la liberté” et pour les “valeurs universelles” de la Déclaration des droits de l’homme.

Du fait de son combat, “on a dû reconnaître que tous les hommes avaient des droits et étaient égaux“, a ajouté la ministre.

Du tape à l’oeil ?

Alors que beaucoup de fanatiques haïtiens s’enflamment sur le Web pour saluer ce geste du président haïtien, d’autres ne s’y trompent pas et pensent que cet hommage n’est que ” du tape à l’œil”, pratique inhérente de l’administration Martelly/Lamothe.

En effet, le président Martelly avait admis ouvertement sur une vidéo : ” les livres, je ne les supporte pas. Je déteste tellement les livres, mais j’adore tellement les femmes” ; aussi, des observateurs se demandent s’il connait même l’histoire de Toussaint Louverture, déjà mal écrite par les Français qui l’avaient surnommé ”Fatras-Bâton, en raison de son physique ingrat”.

”Le président Martelly connait-il même l’histoire de Toussaint Louverture ? ”,a questionné un professeur sous couvert d’anonymat. ”Je pense que cette visite répond simplement à l’article de la Société haïtienne d’histoire paru récemment dans Le Nouvelliste”, a-t-il dit.

Profanation de l’histoire
En effet, dans un communiqué de presse, publié le 28 octobre dernier, la Société haïtienne d’histoire, de géographie et de géologie (SHHGG) dit observer ‘’avec une très grande inquiétude la tendance manifeste, dans certains milieux, à s’approprier abusivement, dans un sens ou l’autre de leur combat, l’image des Pères Fondateurs de notre patrie commune dans des perspectives de justification et de consolidation de leurs choix politiques du moment.’’

On se rappellera que le 17 octobre écoulé, à l’occasion du 208ème anniversaire de la mort tragique du principal Père Fondateur de la nation haïtienne, Jean-Jacques Dessalines, la Présidence et le gouvernement ont choisi de ‘’célébrer la vie’’ de Dessalines en festoyant avec plusieurs groupes de compas. Le président Martelly a choqué la nation et sa diaspora en dansant et en faisant des démonstrations de ‘’grouillades’’ sur scène, sous les applaudissements de son jumeau politique, le premier ministre Laurent Lamothe, toutes dents dehors en cette occasion.

La SHHGG a vivement déploré ce qu’elle a qualifié de ‘’profanation de la mémoire de l’assassinat du Père Fondateur, l’immarcescible Jean-Jacques Dessalines, lors des cérémonies officielles’’. Pour la SHHGG, l’évocation du crime odieux contre Dessalines, ”ne saurait, en aucun cas et sous aucun prétexte, donner lieu à des expressions collectives de joyeuses festivités organisées par les sommets de l’État.’’

La SHHGG a souligné avec force que, ‘’ c’est bien la première fois que cet anniversaire a été commémoré dans des conditions si contraires au recueillement, à la réflexion et au débat entre les citoyens, notamment sur l’étroite imbrication entre le passé historique et l’action dans le présent en vue de l’amélioration constante de la vie collective et de la construction d’un futur plus assuré à l’échelle de toute la communauté nationale.’’

Ainsi, lorsque le site propagandiste et pro-gouvernemental, Haïti Libre , titre ” Hommage émouvant du Président Martelly à Toussaint Louverture”, pour rapporter cette visite, de quoi parle-t-on ? Du tape à l’œil en vérité. On se moque de l’intelligence des citoyens car, le respect des Pères de la nation doit faire preuve de constance dans la dignité et être plus que jamais cultivé, ”afin d’enrichir et de renforcer constamment notre identité collective, si indispensable en cette période de souveraineté fortement fragilisée et de globalisation incontournable”, comme le souligne la SHHGG.

Si, dans la forme, la visite du président Martelly au Fort de Joux, était une très bonne chose, dans le fond, on se demande- surtout après ce qui s’est passé le 17 octobre dernier- comment croire en un hommage sincère à Toussaint Louverture. Le président n’a-t-il pas plutôt saisi cette occasion pour devenir le premier chef d’État Haïtien à venir s’y recueillir ? Ne cultive-t-il pas le paraître, surtout quand il peut s’en servir pour sa propre image alors que son pays bascule dans l’incertitude et enregistre de nombreuses manifestations ?

Une sortie infâmeAu moment où nous terminons cet article, nous apprenons que le ministre de l’Information du gouvernement Martelly/Lamothe a qualifié la lettre de quatre organisations appelant le président de la France, Francois Hollande, à inclure la question des droits humains dans ces échanges avec Martelly, de ”campagne pernicieuse de dénigrement malsain et bête”.

Rudy Heriveaux, dans une sortie infâme, a taxé ce qu’il appelle ”les soi-disant organisations de défense des droits humains” de ” sadiques, qui vivent seulement de crises, s’emploient à faire honte au pays”. Hériveaux a prédit que le président français, François Hollande, ” rira des malades et psychopathes”, auteurs de ladite lettre.

Connu pour ses sorties incongrues et son arrogance sans égale, ce ministre anti-communication et propagandiste zélé, a déjà accusé les journalistes haïtiens ”d’ordures” sur radio Caraïbes FM.

Si Toussaint Louverture, s’est “battu pour la liberté” et pour les “valeurs universelles” de la Déclaration des droits de l’homme, Rudy Hériveaux apparaît comme un épouvantail qui doit faire Toussaint se retourner dans sa tombe. Ce ministre zélé et arrogant défenseur de l’ex-président Aristide et du Parti Lavalas, a retourné sa veste sans retenue pour défendre, de façon aussi zélée, le gouvernement Martelly/Lamothe, réputé pour son aversion de Lavalas.

François Hollande ne rira certainement pas de la lettre de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, du Réseau national de défense de droits humains (Rnddh), du Centre œcuménique des droits humains (Cedh) et de la Ligue des droits humains (Lidh) qui lui demandent de se pencher sur certaines menaces aux libertés publiques, enregistrées en Haïti. Au contraire, s’il a vent de la sortie d’Hériveaux, cette lettre devrait avoir davantage de poids au pays des droits de l’Homme.

Quant aux envolées schizophréniques d’Hériveaux, dans tout pays normal, ce ministre aurait été démis de ses fonctions ipso-facto après une telle sortie. Mais, à l’écouter, on a l’impression qu’Haïti est redevenue une république bananière, dirigée par une petite ploutocratie autoritaire.Le ministre de l’Information se trompe d’époque et devrait suivre l’actualité africaine, notamment au Burkina Faso, afin de mettre ses pendules à l’heure
Dans une lettre à Etienne Laveaux, Général en chef et Gouverneur de Saint Domingue, Toussaint Louverture avait déclaré, le 12 mai 1796 : ” Les scélérats se démasquent et leur audace s’accroît journellement… Je suis assez fort pour [leur] tenir tête et les réduire, soyez-en bien persuadé.” Seulement voilà : les scélérats sont encore là, alors que Toussaint est décédé et Haïti ne produit plus, depuis longtemps, des hommes de sa trempe..

Nancy Roc

Sources : AFP, Le Nouvelliste Haïti et Signal FM

PHOTOS : AFP, capture YouTube et FB Laurent Lamothe


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