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Irak : les sunnites, antidote contre l’État islamique

vendredi 12 septembre 2014

Seule une implication militaire et politique des sunnites pourrait venir à bout des djihadistes, après avoir permis leur ascension.

Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas en agresseurs mais en "libérateurs" que les combattants de l’État islamique (EI) ont tout d’abord été accueillis par les populations sunnites d’Irak. "Les djihadistes n’auraient pas pu s’emparer d’un tel territoire en si peu de temps s’ils ne bénéficiaient pas du soutien massif de la population", prévient d’emblée Romain Caillet, chercheur et consultant sur les questions islamistes au cabinet NGC Consulting. Ouvertement discriminés par l’ex-Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, les sunnites d’Irak, qui constituent 20 % de la population, mais qui ont dirigé le pays pendant des siècles, sont devenus après la chute de Saddam Hussein des citoyens de seconde zone. Une politique sectaire qui les a "poussés dans les bras des djihadistes", affirme Myriam Benraad, chercheuse à Sciences Po et analyste au Conseil européen des affaires étrangères (ECFR).

Les prémices de cette "alliance" datent de décembre 2012. À l’époque, des milliers de sunnites manifestent pacifiquement dans le nord de l’Irak pour réclamer le départ de Nouri al-Maliki. Pour seule réponse, l’autoritaire chef du gouvernement envoie l’armée. En avril 2013, près de 240 manifestants périssent à Houweijah. Un "massacre" qui fera date. La contestation se radicalise. "L’État islamique a alors infiltré les manifestations et les a détournées à son profit", explique Myriam Benraad. Contrairement aux manifestants, les djihadistes souhaitent se débarrasser de Maliki pour établir un califat islamique à cheval sur l’Irak et la Syrie.


Une organisation riche

Cette tentative de détournement de la contestation est vivement critiquée. "De nombreux acteurs nationalistes, mais aussi modérés, ont dénoncé la récupération djihadiste", rappelle la chercheuse Myriam Benraad. "Mais l’EI y a répondu en organisant une campagne d’assassinats ciblés contre les chefs tribaux et les imams qui lui étaient opposés." Rendus riches grâce aux fonds privés versés par le Golfe, mais aussi grâce aux puits de pétrole conquis en Syrie, les djihadistes attirent dans leurs rangs de nombreux combattants, payés plusieurs centaines de dollars pour chaque mission.

Et parviennent à conclure de précieuses alliances. Avec d’influentes tribus sunnites, qui n’ont pas été intégrées à l’appareil d’État irakien, mais également avec d’anciens officiers baasistes de Saddam Hussein, en soif de revanche, dix ans après l’invasion américaine. "Dès la chute de l’ancien raïs, son armée a été dissoute par les États-Unis", rappelle Karim Pakzad, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). "À Mossoul [seconde ville d’Irak, NDLR], les anciens officiers de l’armée se sont retrouvés vendeurs de tomates du jour au lendemain. Pour eux, l’arrivée de l’État islamique a sonné comme une bénédiction."

Certains anciens hauts gradés baasistes sont en effet devenus des cadres militaires de l’EI. "Ils se sont radicalisés en prison et ont rejoint l’EI pour se venger", explique Romain Caillet. "Mais la majorité des baasistes n’adhèrent pas à leur idéologie", précise Myriam Benraad. "Ils instrumentalisent l’État islamique pour mieux revenir au pouvoir à Bagdad."

Une organisation caritative

Si les djihadistes sont parvenus à s’emparer en juin dernier de Mossoul en un temps record, c’est qu’ils bénéficient également de soutiens au coeur de l’appareil sécuritaire irakien. "Il existe depuis des années un État dans l’État à Mossoul au profit de l’EI", indique Romain Caillet. "L’organisation a tout de même réussi à récolter près de 100 millions de dollars d’impôts par an auprès de la population, ajoute l’expert. Elle a bénéficié de complicités à tous les étages. L’armée irakienne s’est effondrée, car elle était infiltrée".

Après chaque conquête, l’État islamique administre le nouveau territoire, à la tête duquel il nomme un gouverneur militaire, un juge islamique ainsi qu’un chef de police. L’organisation développe également tout un attirail de services sociaux en direction de la population : organisations caritatives, distribution de nourriture, d’eau et d’essence, et même création de maisons de retraite. "Il s’agit clairement d’un processus de captation de la population par le versement d’argent", estime Myriam Benraad.


Régime de terreur

Mais cette opération séduction a ses limites, notamment avec la charia rigoriste imposée par les djihadistes. "Quiconque déroge à leurs principes signe son arrêt de mort", souligne la spécialiste de l’Irak. "Les populations civiles sous l’État islamique vivent dans un enfer à ciel ouvert et sont totalement soumises à son régime de terreur." Outre les minorités chrétienne et yazidie, nombre de "frondeurs" sunnites auraient également été victimes d’exactions au cours des derniers mois.

Preuve du soutien populaire relatif dont bénéficie l’État islamique, le spectaculaire revirement d’importantes tribus sunnites de la province d’al-Anbar après la démission du Premier ministre Nouri al-Maliki en août. "L’État islamique achetait le soutien de ces tribus, qui l’appuyaient par souci de vengeance contre le pouvoir chiite", explique Karim Pakzad. "En outre, la détermination des États-Unis à frapper l’EI [depuis le 8 août, NDLR] a beaucoup pesé dans ce retournement de veste."

Guerre "sunnite contre sunnite"

À en croire les experts, les populations sunnites ne seraient pas hostiles à l’idée d’une vaste intervention internationale contre les djihadistes, lancée par Barack Obama. "Nous assistons à un retournement de l’opinion publique irakienne en faveur d’une intervention américaine pour la débarrasser de l’État islamique", assure Myriam Benraad. Un soutien que relativise toutefois l’expert Romain Caillet : "Ces populations ne soutiendront des frappes que si de solides garanties sont apportées aux sunnites".

Sur le plan militaire, il paraît indispensable que ce soient exclusivement des sunnites (soldats irakiens, miliciens) qui libèrent les territoires du joug de l’État islamique, avec l’appui des bombardements américains, pour ne pas être perçus par la population comme des agresseurs. En somme, une nouvelle confrontation "sunnite contre sunnite" comme celle qui avait opposé en 2006-2007 les milices sunnites pro-américaines Sahwa ("réveil", NDLR) à al-Qaida.

Toutefois, seule la nomination d’un gouvernement représentatif de toutes les confessions irakiennes pourra apporter une solution durable aux problèmes qui secouent le pays. Or, le nouvel exécutif, présenté lundi, ne répond clairement pas aux attentes des sunnites. "Le problème de fond en Irak est l’absence de réconciliation entre chiites et sunnites", pointe Myriam Benraad. "Or, au sein du nouveau gouvernement ne résident que des élites corrompues opposées à tout renouvellement politique. Ils n’ont fait qu’interchanger leurs postes."


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