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Jean-Claude Duvalier à son dernier rendez-vous

mardi 14 octobre 2014

11 octobre, 7 heures 49 a.m. Avant le crépuscule, l’ex 9e président à vie de la République, Jean-Claude Duvalier, a deux rendez-vous. Ses derniers sur terre. L’un à la chapelle de l’Institution St-Louis de Gonzague, à Delmas 33, l’autre au crématorium de Pax Villa, avenue Maïs Gaté. L’ex-dictateur est bien là, au pied de l’autel, entre des orchidées fraîches et l’immense crucifix sculpté dans du bois précieux, sourd aux pleurs comme aux cantiques. Sa bière, non ouverte, drapée aux couleurs nationales, est à moins de deux mètres des siens.

Son fils, François Nicolas Duvalier, debout, reçoit des condoléances d’un vieux monsieur porté à bout de bras. Sur les talons de cet homme écouté avec attention, d’autres personnes, des duvaliéristes, des amis, des particuliers de toutes origines sociales, sont venus présenter leurs sympathies, dire adieu au fils du tigre François Duvalier foudroyé par une crise cardiaque. Sa fille Michèle Anya, ses tantes, Michèle Bennett, son ex-femme, au premier rang, à gauche, ont le visage fermé. Sans son éclat d’antan, sans ce sourire feu d’artifice, comme celui de son mariage le 27 mai 1980, l’ex-première dame, divorcée après la chute de la dynastie le 7 février 1986, fond parfois en larmes.

La concubine française de Jean-Claude Duvalier, Véronique Roy, grosses lunettes de soleil, semble un peu dépaysée. Entre elle et la famille de Baby Doc, il y a un abysse et une indifférence réciproque. Ave Maria, ave Maria, ave Maria …résonne entre les murs de la petite chapelle bondée. Comme d’autres, l’ex-président Boniface Alexandre fait le « parcours des condoléances » avant de rejoindre un autre président d’après 1986, Prosper Avril, et d’anciens dignitaires du régime ayant régné 29 ans sur un pays pacifié à la pointe du fusil, par la torture à Fort-Dimanche et par l’exil des opposants, de ceux qui disaient non. Des ministres de l’ère Jean-Claude, comme Théodore Achile, Alix Cinéas, Jean Marie Chanoine, Jean-Robert Estimé, sont là. Des anciens officiers de la promotion JCD de 1971 aussi.

« Bon voyage mon roi ! »

9h05. Les officiants prennent place. Le célébrant principal, le père Occide Jean (père Sicot ), donne le ton en annonçant qu’il célèbre « les funérailles d’un ami, d’un frère ». Il demande à Dieu, à son Dieu, d’accorder le « pardon », la « miséricorde » et de recevoir le défunt dans son éternité. Par moments, dans son homélie, ce prêtre, s’inspirant de son vécu avec JCD, rapporte que celui-ci, après avoir compris qu’il a été accusé à tort d’être communiste à cause de son action en faveur des paysans de Kenscoff, s’était engagé à le soutenir. « Père Sicot, si c’est ça dont on vous accuse, je suis un parfait communiste », aurait dit l’ex-homme fort à l’époque, cité par le père Sicot qui met sans trembler ses mots sur le soulèvement populaire ayant chassé le dictateur du pouvoir le 7 février 1986.

Pour cet homme d’Église, 1986 a « balayé » tout ce que les paysans ont fait en termes de progrès. C’était « une revanche contre l’émancipation » des paysans, a-t-il affirmé, avant son bouquet final. Au Bénin, quand un roi est mort, on dit qu’il a voyagé. « Bon voyage à Son Excellence ! », a dit le père Sicot, qui a fait déferler des applaudissements et des « vive Duvalier ».

JCD, dédouané, attend le jugement de l’histoire

Le docteur Fritz Cinéas, ex-secrétaire particulier de François Duvalier, actuel ambassadeur d’Haïti en République dominicaine, dans son oraison funèbre, a fait le portrait d’un homme au « destin exceptionnel », « froid », « calme », « civilisé », « incapable d’impolitesse », devenu, selon le vœu de la Constitution en vigueur à l’époque, le neuvième président à vie d’Haïti à 19 ans, sans le désirer.

Du berceau au linceul, JCD est rendu par Fritz Cinéas. Il dit avoir vu la « beauté de la sagesse sur le visage » de son président, encore plus avant sa mort. Le passif du gouvernement du « sage » Jean-Claude Duvalier, Fritz Cinéas, diplomate, le décline avec des interrogations. Au pouvoir, a-t-il manqué d’énergie ? S’est-il laissé mener, entraîner par des thuriféraires ? S’est-il laissé prendre aux pièges par des collaborateurs sournois ? A-t-il été un tolérant ? A-t-il été faible face aux exactions commises par certains de ses amis et partisans ? S’est-il parfois préoccupé, à cause de son jeune âgé, davantage des plaisirs de la vie que des affaires de l’État ? Aurait-il placé trop de confiance en certains collaborateurs ? Aurait-il laissé trop d’autorité aux forces de l’ordre ?, s’est demandé Fritz Cinéas, qui souligne que JCD, parce que le « chef est toujours responsable des erreurs de son administration », n’a jamais renié publiquement ses subordonnés. « Sur ses épaules sont tombées de nombreuses charges, de nombreuses fautes qu’il n’avait pas commises et dont la responsabilité correspond aux maîtres de la flatterie et de l’intrigue qui profitèrent de sa jeunesse et de sa bonne foi, jouant sur les passions naturelles d’un jeune homme qui aimait intensément les joies de la vie », a ssuré Fritz Cinéas.

L’ambassadeur Cinéas, dans l’exaltation de son discours, a confondu tristesse et excuse. Selon lui, l’ex-président à vie, a présenté ses excuses au peuple haïtien, citant JCD, dans son allocution du 21 janvier 2011, quelques jours après son retour d’exil : « Je saisis aussi cette occasion pour exprimer, une fois de plus, ma profonde tristesse à l’endroit de mes compatriotes qui se reconnaissent, à juste titre, d’avoir été victimes sous mon gouvernement. » L’ambassadeur Fritz Cinéas a souligné que la vérité sur le duvaliérisme a jusqu’ici été « étouffée par la haine ou par l’admiration ». « Il est encore trop tôt pour que le jugement de l’histoire fasse la part des responsabilités », a estimé Cinéas, pour qui JCD est entré « dans l’inconnu et dans l’immortalité ».

Baguidy, sans diplomatie

Le colonel Baguidy ne s’embarrasse pas des nuances du diplomate. De nombreuses voix ont diabolisé cet homme et son passage au pouvoir, a dit Baguidy avant de souligner que les sans-voix sont plus nombreux à apprécier, à exprimer leur gratitude envers Jean-Claude Duvalier. « La vie était bien meilleure pendant sa présidence », a expliqué ce fidèle chez qui l’ex-dictateur est mort sur une chaise dans la salle à manger. « Cet homme qui s’est tant dévoué finira par bénéficier du jugement favorable de l’histoire », a affirmé Baguidy, qui a harangué les sympathisants du PUN avant la fin de cette cérémonie à 10 heures 05.

Difficilement, le cercueil a été acheminé au corbillard. Entre les sifflets et les critiques des duvaliéristes contre ceux qui ont succédé à JCD au pouvoir pour « avoir tout dilapidé », certains se sont confiés. Pour Daniel Supplice, ami de JCD et ex-secrétaire d’État, la mort de l’ex-président « est la mort d’un cycle ». « Il faudra à ce pays du renouveau », a plaidé Daniel Supplice, sociologue et ex-ministre sous Martelly. « Je pense que le signal que nous devons donner est que Jean-Claude Duvalier a été, lui aussi, peut-être bourreau mais certainement victime », a dit Supplice, qui appelle le pays à s’entendre, à se dire la vérité afin d’avancer.

Non au révionnisme, au négationnisme

Au moment des funérailles et pendant que le convoi funèbre conduisait le fils de François Duvalier à son ultime rendez-vous terrestre au crématorium de Pax-Villa, une trentaine de personnes manifestaient à Lalue, en face de l’Office de la protection du citoyen (OPC), avec des pancartes montrant des mains ensanglantées. « Nous sommes des victimes indirectes du régime des Duvalier », a confié Christophe Denis, l’un des porte-parole d’Action citoyenne responsable (ACIRE), qui a appelé à manifester. Il a qualifié de « honteux » les discours « révisionnistes » et « négationnistes » d’anciens pontes du régime des Duvalier. Les racines macabres du duvaliérisme, les effets pervers du régime nuisent à la société, a dit Christophe Denis, qui croit, contrairement à Baguidy, que JCD n’aura jamais un « jugement bénéfique de l’histoire ». Là, aujourd’hui, il faut que la justice suive son cours pour tracer des exemples, en finir avec l’impunité, a dit Christophe Denis conscient que 30 ans de « démocratie entre guillemets » ne permettront pas de combattre les effets de cette dictature féroce.

Les ratés de la gauche

« Il y a une boulimie de l’amnésie. Les gens veulent », a déploré l’ingénieur Henry Claude Innocent le même samedi lors d’un débat sur Magik9. Il affirme que « le duvaliérisme n’est pas un régime, mais un système ». Il a regretté que la gauche haïtienne n’ait pas cassé les thèses du duvaliérisme. À la limite, JCD, un symbole, n’avait pas le contrôle du système répressif, a-t-il dit en questionnant la responsabilité de certains morts, dont Roger Lafontant, et de vivants comme Prosper Avril dans le fonctionnement du régime. Henry Claude Innocent, après des critiques contre Jean-Bertrand Aristide et d’autres éléments de la gauche, a appelé à l’implication de l’intellectualité haïtienne dans l’effort de sauvetage national.

De l’eau coule sous les ponts, la salive n’est pas économisée sur la nécessité que se tienne le procès des bourreaux du régime alors que l’urne renfermant les cendres du dictateur finira quelque part dans la nature ou chez un des siens. Sans répondre devant un tribunal des crimes contre l’humanité et financiers dont il a été accusé.

Roberson Alphonse
robersonalphonse@lenouvelliste.com


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