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"L’île aux singes" au Liberia, asile en danger

dimanche 12 juillet 2015

Les cris de joie et cabrioles caractéristiques qui accueillent l’arrivée du hors-bord chargé de papayes, bananes, ananas et mangues ne laissent aucun doute : Monkey Island, "L’île aux singes", refuge désormais menacé d’anciens chimpanzés de laboratoire au Liberia, mérite bien son surnom.

John Abayomi Zoneyuway est un des volontaires de l’Institut de recherche biomédicale du Liberia (LBRI) qui se consacrent à ces 66 chimpanzés dans leur sanctuaire, en réalité un chapelet de six îlots de jungle sur le fleuve Saint-John, au sud-est de Monrovia, la capitale.

Il rend visite tous les jours à ces grands singes, "mis à la retraite" en 2005 par le New York Blood Center (NYBC), un des plus importants établissements américains du sang, inaptes à un retour à la vie sauvage en raison de leurs années de confinement et désormais condamnés à attendre leur pitance des humains.

Après 25 minutes de traversée, l’arrivée du hors-bord en vue du premier îlot, "L’îlot 5" - environ 9 km2 - suscite cris, cabrioles, sauts... "C’est leur manière d’alerter les autres chimpanzés qui sont encore dans la forêt, pour leur dire que le repas est servi", explique John Abayomi Zoneyuway à des journalistes de l’AFP qui l’accompagnent.

Il nourrit les primates et s’assure aussi qu’aucun n’est manquant ni malade. "Je ne vois pas Samanta. Bullet est ici, il a déjà mangé", lance-t-il à son équipe, alors que d’autres grands singes apparaissent pour le festin.

Cap ensuite sur le deuxième îlot, "L’îlot 4", 15 minutes plus loin, où sont visibles une dizaine de chimpanzés incluant quatre bébés, nés à la surprise générale car le régime de soins des animaux inclut le contrôle des naissances.
A chaque escale, la même scène se répète : accueil enthousiaste des animaux, qui préviennent leurs congénères.

Mais les soins et l’alimentation des chimpanzés, dont le coût mensuel d’environ 30.000 dollars (27.000 euros) était assuré par le NYBC, sont aujourd’hui en péril faute de financements.

Le NYBC, impliqué dans la collecte, la distribution sanguine et la recherche scientifique, avait conclu un accord avec le LBRI pour créer en 1974 un laboratoire utilisant ces primates, capturés dans la nature ou achetés à des propriétaires animaliers. Les chimpanzés avaient alors été enrôlés notamment dans des recherches sur les infections virales, dont l’hépatite B.

- ’Dette morale’ -

Mais il y a dix ans, le NYBC a arrêté le projet de recherche et a mis à la retraite les chimpanzés de laboratoire, qui se sont retrouvés à Monkey Island, les dirigeants du centre américain s’engageant toutefois publiquement à prendre en charge à vie ce sanctuaire, "par devoir moral".

Le NYBC a pourtant suspendu en mars son financement. Sollicité à plusieurs reprises par l’AFP par téléphone et par e-mail en vue d’une explication, le centre n’a pas réagi.

Cette décision de l’établissement américain a suscité un tollé parmi les ONG de protection de la nature et des sommités scientifiques, qui ont appelé le NYBC à rétablir la prise en charge.

Depuis mars, c’est l’ONG Humane Society of United States (HSUS) qui paie pour la nourriture des singes avec un fonds d’urgence complété par des financements d’autres sources, ce qui a sauvé les chimpanzés d’une mort par déshydratation ou inanition, selon le chef du LBRI, Fatorma Bolay.

"Le gouvernement libérien n’a pas les moyens financiers de s’occuper des chimpanzés sur le long terme, d’autant que le pays se remet de la crise d’Ebola", affirme à l’AFP M. Bolay.
Le HSUS a tenté de contacter le NYBC mais n’a reçu aucune réponse, selon Kathleen Conlee, l’une des responsables de cette ONG.

"Le NYBC s’imagine peut-être que les gens vont oublier et que cette histoire va s’effacer, mais je peux vous assurer du contraire. Ils sont absolument responsables de la prise en charge de ces chimpanzés sur le long terme", a déclaré Mme Conlee dans un courrier électronique à l’AFP.

Le coût ne représente qu’"une goutte d’eau" pour un centre qui réalise "chaque année un chiffre d’affaires de centaines de millions" de dollars, souligne-t-elle.

La célèbre primatologue britannique Jane Goodall a rejoint cette cause et adressé une lettre ouverte au NYBC l’exhortant à reprendre son appui financier aux chimpanzés libériens.

Quoi qu’il arrive, John Abayomi Zoneyuway, lui, ne compte pas abandonner les grands singes.

"Je me suis attaché aux chimpanzés parce que je les vois tous les jours. Ils ne sont pas tellement différents des humains, ils se battent, se réconcilient, ont besoin d’aide, d’attention", dit-il. "Nous ne pouvons pas les laisser mourir de faim et de maladie".


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