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La formation de planètes dans un jeune système stellaire multiple

lundi 3 novembre 2014

par Guillaume Cannat
Des observations récentes montrent comment des planètes pourraient se former autour des étoiles doubles ou multiples, ce qui multiplierait significativement le nombre potentiel d’exoplanètes dans notre galaxie

Vue d’artiste du système stellaire multiple GG Tau-A, qui se situe à 450 années-lumière de nous dans la constellation du Taureau. Il est composé d’une étoile double – GG Tau-Aa et GG Tau-Ab – dont l’une des composantes est également double – GG Tau-Ab1 et Ab2. Le système stellaire GG Tau-A est ceint d’un vaste disque de gaz et de poussière dans lequel des planètes pourraient, à terme, se former. Des observations récentes réalisées avec les antennes d’ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array, ESO, Chili) montrent que de la matière provenant de ce disque externe tombe vers les étoiles et alimente un disque protoplanétaire autour de GG Tau-Aa. D’autres observations, dans d’autres longueurs d’onde, révèlent qu’il existerait également des disques autour des étoiles GG Tau-Ab1 et Ab2, mais ils seraient trop petits pour être représentés ici. Ces découvertes pourraient avoir des conséquences majeures pour la recherche des exoplanètes dans notre galaxie.
© ESO/L. Calçada

La recherche de planètes en orbite autour d’autres étoiles que le Soleil est une activité encore récente qui, dans un premier temps, s’est focalisée sur les étoiles simples. Découvrir des exoplanètes autour d’étoiles doubles ou multiples semblait plus aléatoire, car on estimait que les interactions gravitationnelles des astres pouvaient empêcher la formation des disques protoplanétaires ou perturber le lent processus d’accrétion qui permet la formation des planètes en leur sein. Puis des exoplanètes géantes ont été découvertes autour de systèmes stellaires binaires et des chercheurs ont suggéré que, dans le cas de systèmes stellaires doubles ou multiples, il était envisageable qu’un disque protoplanétaire se forme autour de l’ensemble du système, mais également autour de chaque étoile. Le problème était cependant que les mouvements des étoiles créent un vide autour d’elles et que la quantité de matière disponible dans le disque ceignant chaque étoile semble insuffisante pour former des planètes.

Image à grand champ de la région du ciel où se situe le système stellaire multiple GG Tau-A, dans la constellation du Taureau. GG Tau-A est pratiquement au centre du champ.
© ESO/Digitized Sky Survey 2. Remerciement : Davide De Martin

Un article publié aujourd’hui dans la revue Nature par une équipe internationale dirigée par Anne Dutrey (université de Bordeaux & CNRS UMR 5804) expose les derniers résultats des observations du système stellaire GG Tau-A avec les antennes d’ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) au Chili. Ces chercheurs montrent que, dans le cas de ce système multiple, de la matière provenant d’un vaste disque externe alimente au moins un disque interne. Il faut préciser que GG Tau-A appartient à un système stellaire complexe baptisé GG Tau, qui rassemble deux paires d’étoiles, et que des observations récentes ont permis de découvrir que l’une des deux étoiles de GG Tau-A est, elle aussi, une étoile double ; ainsi, dans l’état actuel de nos connaissances, GG Tau est un système stellaire quintuple. Ces étoiles sont toutes moins massives que notre Soleil et elles se situent à près de 450 années-lumière de nous, dans la constellation du Taureau, ce qui est relativement proche à l’échelle de notre environnement galactique. Ce sont des étoiles très jeunes, à peine 1 million d’années probablement, qui viennent de se former et qui sont encore entourées par les restes de la nébuleuse qui leur a donné naissance. Dans le cas de GG Tau-A, ces restes ont formé un disque qui entoure les trois étoiles en interaction gravitationnelle. Des planètes sont peut-être en cours de formation dans ce disque, mais la durée du processus d’accrétion d’une planète étant estimée à quelques millions d’années, il est encore trop tôt pour avoir le résultat des courses, même si des observations récentes semblent plaider en faveur de l’existence d’une planète géante, plusieurs fois la masse de Jupiter, à près de 250 ua du trio !

Quelques chiffres pour se représenter l’ensemble de la scène
L’étoile principale GG Tau-Aa se situe à près de 35 unités astronomiques (ua) de la paire GG Tau-Ab1 et Ab2 ; 1 ua représente la distance moyenne de la Terre au Soleil – soit 150 millions de kilomètres environ – et, dans le Système solaire, Pluton circule à quelque 39 ua du Soleil. La distance entre les étoiles Ab1 et Ab2 a récemment été estimée à 4,5 ua, cela signifie que si l’on plaçait Ab1 au centre du Système solaire, Ab2 serait un peu plus proche que Jupiter. Le bord interne de l’anneau se situe à près de 180 ua du trio stellaire. Sa portion la plus dense mesure 80 ua de largeur et elle contient 80 % de la masse totale ; les 20 % qui restent sont dispersés jusqu’à plus de 800 ua.

Anne Dutrey observe le système stellaire GG Tau-A depuis plusieurs décennies : « À l’origine, depuis les années 1990, les premières observations qui avaient été réalisées avec l’interféromètre de l’IRAM, au plateau de Bure, montraient qu’il y avait un "trou" au centre du disque qui entourait GG Tau-A et ce trou s’expliquait par effet de marée dynamique. L’étoile binaire, en tournant sur elle-même, nettoyait une zone, qui était une zone gravitationnellement instable. » Profitant des améliorations successives de la résolution de l’interféromètre de l’IRAM, Anne Dutrey et ses collègues ont publié de nombreux articles au fil des années pour présenter des données de plus en plus précises et ils attendaient avec impatience la mise en service d’ALMA : « À partir des années 1995, nous commencions à penser à ALMA et, bien sûr, l’un des moteurs du projet ALMA était d’essayer de voir la formation des exoplanètes ! Dans le cas de GG Tau-A, notre idée était de parvenir à voir le gaz qui transite de l’anneau vers les étoiles centrales. » En attendant ALMA, ces chercheurs ont poursuivi leurs observations à l’IRAM dans les années 2000-2006 et ils ont détecté du gaz dans la zone qui apparaissait vide auparavant entre l’anneau externe et les étoiles. « Nous observions l’isotope principal du monoxyde de carbone et nous commencions enfin à voir du gaz dans la cavité, mais ces observations seules ne nous permettaient pas d’analyser en détail les mouvements du gaz. Nous voyions bien que cela transitait, mais nous n’avions pas assez de résolution angulaire, ni de sensibilité. »

Parallèlement, Anne Dutrey et Emmanuel Di Folco (université de Bordeaux), astronome spécialiste de l’infrarouge co-signataire de l’article de Nature, ont cherché à comprendre l’astrométrie du système GG Tau-A et ils ont décidé de réaliser des observations en infrarouge pour voir comment les étoiles bougeaient l’une par rapport à l’autre. Jusque-là, il s’agissait toujours à leurs yeux d’un système binaire, mais leurs observations ont montré que GG Tau-Ab était une étoile double très serrée, moins de 4,5 ua de séparation, ce qui permettait de comprendre certaines irrégularités dans la répartition du gaz dans la cavité. Le mouvement des deux étoiles explique notamment, pourquoi GG Tau-Ab ne possède pas un disque protoplanétaire comme GG Tau-Aa. D’autres observations en infrarouge révèlent cependant des poussières autour de ces deux petites étoiles et, pour Anne Dutrey, cela signifie « qu’elles sont sans doute entourées de petits disques d’accrétion qui ne doivent pas dépasser 4 ua de diamètre. »
<iLes antennes paraboliques d’ALMA ont été installées par l’ESO (European Southern Observatory) sur le plateau de Chajnantor, à 5 000 m d’altitude dans la cordillère des Andes chilienne.
© ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)/W. Garnier (ALMA)

Autour de GG Tau-Aa, en revanche, le disque d’accrétion mesure près de 20 à 25 ua de diamètre. Un disque de cette dimension peut très bien permettre la formation de planètes s’il se maintient pendant les quelques millions d’années nécessaires. Dans l’article de Nature, Anne Dutrey et ses collègues précisent que le fait que l’on observe toujours un tel disque autour de cette étoile prouve qu’il est alimenté par le disque externe, sans cela, il aurait été éliminé par l’étoile en quelques milliers d’années seulement. Les premières observations réalisées avec ALMA vont dans ce sens, mais il faudra encore plus de résolution angulaire pour parvenir à suivre la dynamique du gaz à l’intérieur de la cavité et à mesurer précisément la quantité de gaz en jeu. « D’ici 1 à 2 ans, précise Anne Dutrey, nous espérons obtenir de nouvelles données et pouvoir faire des simulations numériques pour modéliser l’ensemble du système GG Tau-A. Que l’étoile Aa et le couple Ab1/b2 soient séparés de 35 ua, et que l’anneau externe possède un rayon intérieur de 180 ua en fait, en quelque sorte, un "système planétaire en formation géant". Cela permet vraiment de comprendre des processus physiques que nous aurions du mal à saisir aujourd’hui si tout se situait dans une échelle de l’ordre de 10 à 20 ua. Par la suite, tout ce que nous aurons compris, en plus de l’intérêt que cela représente pour les mécanismes de formation des planètes dans les systèmes binaires ou multiples, pourra améliorer notre compréhension de l’origine des systèmes stellaires simples similaires au nôtre. »

Sources
◾Planet formation in the young, low-mass multiple stellar system GGTau-A, A. Dutrey et al., Nature, 30 octobre 2014.
◾GG Tauri: the fifth element, Emmanuel Di Folco et al., Astronomy & Astrophysics (565, L2 2014).
◾À la recherche des origines de l'Univers : première étape pour NOEMA, IRAM.
◾ALMA, ESO.

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