MosaikHub Magazine

La poésie pour oublier les « Panamas papers »

vendredi 15 avril 2016

Par Abdourahman Waberi (chroniqueur Le Monde Afrique)

A l’heure où la mère de toutes les affaires, « Panama papers », vient d’éclater à la face du monde en risquant d’assécher le petit filet d’innocence qui nous reste encore, il nous faut éviter de tomber dans le piège de la colère, du cynisme et de l’impuissance. Comment ? En nous tournant vers quelque chose de gratuit, de disponible, tout à la fois sublime et inutile. Il nous faut croire à la poésie.

Car cette dernière n’est pas que récitations scolaires et citations édifiantes imprimées sur cartes postales. C’est d’abord un moyen de communication et de connaissance à nul autre égal. La poésie nous ouvre grand les yeux, nous habitue à l’étonnement. Dans le régime du langage courant, la poésie fait exception et sa lecture a des bienfaits reconnus. Elle nous pousse à donner du temps au temps, à quitter la surface pour rejoindre la profondeur. Et ça, c’est très précieux à l’ère de Twitter et d’Instagram ! Accueillons le souffle du poète congolais Gabriel Okoundji :

« … C’était l’espoir, c’était l’instant

c’était toi et moi

mais l’amour consume les étoiles

et les étoiles qui meurent

dans les yeux des amants

emportent avec elles la flamme du rêve.

Adieu !

Aucun mortel n’a de force à vaincre l’éloignement cosmique. »

« Sur les genoux d’une fourmi »

Davantage que le journaliste et le raconteur d’histoires, le poète est un artisan de la parole qui souvent nous offre sa vision et ses rêves d’un monde autrement différent. En Afrique, la poésie attire tous ceux qui entreprennent le voyage vers l’intérieur et s’engagent, pour le dire avec Birago Diop, dans un chemin mystérieux, jamais atteint par les mirages concoctés par nos dictateurs :

« Les Morts ne sont pas sous la Terre :

Ils sont dans l’Arbre qui frémit

Ils sont dans le Bois qui gémit,

Ils sont dans l’Eau qui coule »

A notre époque où la question du bouleversement climatique se révèle dans toute son ampleur, où les humains de la Terre transformés en consommateurs frénétiques courent après le « toujours plus » (toujours plus de produits, plus d’ego, plus de bruits !), n’est-il pas temps de faire silence, de creuser en soi pour retrouver du sens et de l’espérance ? Justement le recours à la poésie permet d’inverser la tendance en affirmant que la Terre n’appartient pas à l’homme, c’est l’homme qui appartient à la Terre. C’est l’homme qui va retourner dans le giron terrestre, quelle que que soit la masse de sa fortune confiée à un spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore. Et c’est encore un poète, Léopold Sédar Senghor, qui nous donne en partage cette intuition à la fin de sa célèbre ode « Femme noire » :

« Femme nue, femme noire

Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’Eternel

Avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie »

Loin de nous inquiéter, cette image de retour à la glèbe est rappel et initiation. Jadis, les enfants d’Afrique perçaient les mystères de l’existence en prenant connaissance des secrets immémoriaux. Vaccinés pour le restant de leurs jours, ils savaient que nous ne sommes pas sur cette Terre pour dominer la nature comme on l’a cru et on le croit encore mais parce que nous sommes les enfants de cette nature, nous sommes la nature. Nous sommes poussières d’étoiles et brins d’herbe. Ceux qui, tel Gabriel Okoundji, ont reçu de leur grand-mère le lait de l’initiation savent que « le monde entier repose sur les genoux d’une fourmi. Elle m’a appris qu’un arbre sans écorce est un arbre blessé, que toute racine n’a qu’un tronc. Je n’aurai jamais assez de mots pour lui rendre hommage ».

Notre courroux

Dans le monde d’Okoundji, il n’est pas question de circuit financier, d’ardoise ou de dette à repayer, car tout est don, célébration et communion. Dès mon premier recueil de poésie, Les nomades, mes frères, vont boire à la Grande Ourse, j’ai tenté comme mon collègue de suivre le chemin de liberté et de courage que mes ancêtres nomades de la Corne de l’Afrique ont tracé depuis des siècles. De m’inspirer de leur vie plus naturelle et frugale sans s’abîmer pour autant dans la nostalgie.

Si la poésie est parfaitement inutile selon les critères de la Bourse, elle redonne aux mots usés de tous les jours leur éclat d’avant et, partant, leur force magique. A cette aune, nul ne peut plus s’engager dans un « paradis fiscal » sans essuyer le courroux de la nature – le nôtre.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti, il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à George-Washington University. Auteur, entre autres, de Aux Etats-Unis d’Afrique (JC Lattès, 2006), il a publié en 2015 La Divine Chanson (Zulma).

Abdourahman Waberi

chroniqueur Le Monde Afrique


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie