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Le carnaval de Rio rend un hommage à une dictature

jeudi 19 février 2015

Et à la fin, c’est le dictateur qui gagne. L’école de samba Beija-Flor (« Baise-fleur », nom donné par les Brésiliens au colibri), sponsorisée cette année par Teodoro Obiang Nguema, l’indéboulonnable président de Guinée équatoriale, a été sacrée, mercredi 18 février, championne des défilés du carnaval de Rio des écoles de samba. Un titre qui a immédiatement suscité de vives critiques dans les médias et les réseaux sociaux. Plus sarcastiques, certains internautes sont allés jusqu’à prédire le thème de Beija-Flor en 2016 : la Corée du Nord ou l’Etat islamique.

Sur la piste du Sambodrome, l’école – dont le berceau est Nilopolis, une ville de la banlieue nord et difficile de la cité carioca – avait exalté avec ses 4 000 danseurs, lundi soir, une Afrique « forte et joyeuse », dans une chorégraphie luxuriante, débordante de couleurs féeriques et de chars allégoriques monumentaux. Une esthétique et une technique qui a eu l’heur de plaire à un jury, moins concerné semble-t-il par les aspects éthiques et financiers du défilé.

Dès la semaine dernière, l’annonce d’un parrainage par le président Obiang avait suscité de nombreux commentaires et engagé une belle polémique. M. Obiang – qui fait l’objet avec son fils Teodorin Obiang d’une enquête pour corruption et blanchiment d’argent – aurait donné près de 10 millions de reais (3 millions d’euros) à Beija-Flor pour parrainer le défilé, selon le quotidien O Globo. Interrogé, le service de presse de Beija-Flor avait par la suite affirmé à l’AFP n’avoir reçu « qu’un soutien culturel et des tissus importés » de Guinée équatoriale. D’autres sources avancent désormais que l’argent aurait été versé par l’intermédiaire d’entreprises brésiliennes opérant sur le sol guinéen (Queiroz Galvão et Odebrecht). Une information non encore confirmée.

Les bienfaiteurs traditionnels du carnaval sont les banquiers du bicho, le jeu de la bête, la loterie clandestine dont les billets représentent des animaux et les points de vente se trouvent quasiment à chaque coin de rue. Les bicheiros financent la samba, en échange d’une respectabilité de façade. Mais depuis plus d’une décennie, les mécènes et sponsors privés se sont invités à la fête. On ne compte plus les grands groupes investis dans les défilés. Huit des douze plus grandes écoles de samba du carnaval étaient financées par des donateurs en 2014. Toutefois, jamais un tel montant n’avait été évoqué.

Le président Obiang fréquente depuis près de dix ans, en toute discrétion, les défilés du Sambodrome. Chaque année, il loue soit un appartement de luxe dans le quartier d’Ipanema ou réserve la suite la plus chère du Copacabana Palace (la même occupée par la FIFA pendant la dernière Coupe du monde de football). M. Obiang voyage en famille, notamment avec son fils Teodorin.

Exaltations de la dictature militaire

C’est lui qui poussa son dictateur de père à payer, en 2014, un show de musiciens de Beija-Flor dans leur loge. L’école venait d’essuyer quelques critiques pour l’hommage rendu à un ancien directeur de télévision. L’idée d’apparaître comme un mécène providentiel était née.

Beija-Flor est l’école la plus titrée depuis la création du Sambodrome, construit en 1984 par l’architecte Oscar Niemeyer. Son image colle aux parades les plus inventives. D’un autre côté, Beija-Flor a connu des présentations moins reluisantes. Dans les années 1970, l’école a exalté à plusieurs reprises les réalisations de la dictature militaire (1964-1985).


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