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Le Japon lance une nouvelle stratégie militaire

jeudi 23 avril 2015

Jusqu’alors très pacifiste, la Constitution japonaise autorisera bientôt les forces d’autodéfense à s’engager dans des opérations à l’étranger. Explications.

De notre envoyé spécial à Tokyo, Jean Guisnel

Sur la scène militaire, c’est le grand retour du Japon. Déjà supérieur à celui de la France, son budget de la défense augmente ; il modernise sa marine, symbolisée par le grand porte-hélicoptères Izumo, renforce son aviation et veut entrer de plain-pied dans les opérations internationales. Militairement parlant, on avait un peu oublié le Japon. Sur les ruines de sa défaite de 1945, l’empire du Soleil levant, écrasé par les bombes atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki, s’était doté en 1947 d’une Constitution pacifiste, le faisant "pour toujours renoncer à la guerre".

Ses armées n’avaient pour vocation que de défendre le territoire national, prenant de ce fait le nom de "forces d’autodéfense". Et le principe même d’une entrée en guerre était proscrit. Pour autant, le Japon a autorisé en 1992 l’envoi de forces non combattantes à l’étranger, ce qu’il a déjà fait au Cambodge et en Irak, entre autres. Il participe depuis plusieurs années à la lutte contre la piraterie dans l’océan Indien, avec des avions de patrouille maritime basés à Djibouti, et cofinance plusieurs écoles de formation militaire sur le sol africain, dont l’École de maintien de la paix de Bamako (Mali). Mais tout ceci va changer d’échelle...

Légitime défense collective

Le 1er juillet 2014, le Premier ministre nationaliste Shinzo Abe annonçait que la Constitution allait changer, et qu’elle permettrait, une fois amendée, aux forces armées de recourir à la force, et pas seulement dans le cas de l’autodéfense du pays. Le Japon pourra ainsi exprimer sa solidarité avec la communauté internationale, dans le cadre d’une "légitime défense collective", selon trois "nouvelles conditions" bien précises.

La première est remplie "lorsqu’une attaque armée se produit contre un pays étranger en étroite relation avec le Japon et que cela a pour résultat de menacer la survie du Japon et de représenter un danger évident qui remet en cause fondamentalement le droit de la population à la vie, à la liberté et à la poursuite du bonheur". La deuxième condition exige qu’il n’y ait pas d’autre moyen que le recours à la force pour aider le pays ami menacé. Troisième condition : que l’emploi des armes se situe "au minimum requis".

Protection de civils menacés

Ces évolutions permettraient notamment aux troupes japonaises de protéger les très nombreuses installations américaines sur leur sol, y compris en période "grise", quand les hostilités ne sont pas ouvertes. Cette aide pourrait toutefois s’étendre aux forces australiennes. Concrètement, ainsi qu’on le confirme au ministère des Affaires étrangères à Tokyo, les soldats japonais pourront contribuer - y compris les armes à la main et avec le droit d’ouvrir le feu, c’est la nouveauté - à des opérations internationales de maintien de la paix, sous l’égide ou pas de l’ONU.

Il s’agirait moins de s’engager dans des combats directs que d’assurer la protection de civils menacés. Ils pourront également assurer, au profit de forces alliées engagées dans ces opérations, des fournitures de matériel, du transport logistique et des services médicaux. Quand on demande précisément à un expert japonais proche du ministère des Affaires étrangères si l’on pourrait envisager que des troupes de son pays viennent combattre avec les troupes françaises de l’opération Barkhane en Afrique, la réponse est claire : "Pour lutter contre le terrorisme, ce serait permis !" On n’en est bien sûr très loin...

Tractations en cours

La mise en place de la nouvelle posture militaire japonaise prendra encore un peu de temps. Les tractations se poursuivent au sein de la coalition gouvernementale entre le parti libéral démocrate de Shinzo Abe et son partenaire, le Komeito. Ce dernier réclamait par exemple que l’approbation du Parlement (Diète) soit indispensable avant tout déploiement de troupes à l’étranger.

Finalement, un accord ne sera nécessaire qu’une semaine après le début des opérations. Mais les tractations sont loin d’être terminées. La nouvelle version de la Constitution ne sera sans doute pas prête avant le 15 mai, comme le souhaitait initialement le gouvernement, et une prolongation de la session ordinaire sera sans doute nécessaire


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