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Les émeutes de Ferguson confrontent Obama à la question raciale aux États-Unis’’’

mardi 19 août 2014

Le président avance à pas comptés sur ce sujet délicat, appelant au calme mais restant au-dessus de la mêlée.

Correspondante à Washington

« Qu’arrive-t-il à un rêve qui est différé… Explose-t-il ? » s’interrogeait en 1951 Langston Hughes dans son poème Harlem. La question paraît toujours d’une brûlante actualité : une petite ville du Missouri se retrouve plongée dans des émeutes raciales rappelant les embrasements des années 1960, après le meurtre de Michael Brown, jeune Noir de 18 ans, abattu par un policier de six balles dans le corps dans des circonstances encore très troubles.

L’explosion de rage et de violence qui a déferlé sur Ferguson depuis plus d’une semaine - forçant les autorités à envoyer la garde nationale à l’appui des forces de police - a ravivé les blessures qui divisent la société américaine depuis ses origines. Elle anéantit les espoirs de ceux qui avaient cru naïvement que l’élection du premier président métis de l’histoire des États-Unis ferait entrer le pays dans une ère « postraciale ». Cinq ans et demi après son élection à la Maison-Blanche, Barack Obama est rattrapé par la question noire.

« Héritage brutal »

C’est un sujet qu’il a toujours manié avec la plus grande précaution, pris entre le désir de répondre aux souffrances de la communauté afro-américaine et celui d’être le président de tous les Américains, au-dessus de la mêlée. « La question des inégalités raciales est un vaste projet, notre pays y travaille depuis deux siècles », a-t-il averti lundi, comme s’il voulait repousser toute notion d’homme providentiel. Beaucoup d’observateurs, notamment dans la communauté noire, l’accusent d’être aujourd’hui trop détaché et trop clinique dans son évaluation des événements de Ferguson, trop délibérément équilibré dans sa dénonciation des excès de la répression policière, comme des pillages et des violences perpétrés par une partie des manifestants. « Il doit faire plus, je ne pense pas que l’on puisse dépasser ces fossés à vif sans le leadership de Barack Obama », a déclaré à Politico le président de la Ligue nationale urbaine, Marc Morial. « Venez maintenant, s’il vous plaît », peut-on lire sur une photo de Barack Obama brandie à Ferguson.

Pour comprendre la position à la fois complexe et clairvoyante d’Obama sur la question raciale, il faut relire son discours marquant « Sur la race », prononcé à Philadelphie en mars 2008. À ce tournant crucial de sa première campagne présidentielle, il répond à ceux qui profitent de son amitié passée avec le révérend Jeremiah Wright, pasteur radical de Chicago proche du Black Power, pour l’accuser d’être un extrémiste anti-blanc. Rappelant sa double origine noire et blanche, Obama rend hommage à la passion de Wright - une partie de « sa famille » - mais affirme être en total désaccord avec « sa vision profondément erronée selon laquelle le racisme des Blancs est endémique ». Il parle aussi de sa grand-mère blanche, qu’il adorait mais qui lui avait avoué « qu’elle avait peur des Noirs qu’elle croisait dans la rue », évoquant aussi ses « fréquentes remarques racistes » qui « l’écœuraient ». Parce qu’il n’a, personnellement, pas souffert du racisme - ayant été élevé par des grands-parents blancs dans le milieu protégé d’une école catholique de Hawaï - il peut, mieux qu’aucun autre, utiliser sa propre dualité pour renvoyer l’Amérique à la sienne et l’appeler à se « réconcilier ».

Barack Obama reconnaît « la persistance des disparités sociales et raciales, produit de l’héritage brutal de l’esclavage »

Refusant d’être piégé par une approche communautariste, Obama reconnaît « la persistance des disparités sociales et raciales, produit de l’héritage brutal de l’esclavage », mais appelle les Noirs à ne pas se laisser enfermer « dans une colère qui nous empêche d’affronter honnêtement notre part de responsabilité ». Il évoque aussi « la colère », selon lui compréhensible, des Blancs qui se débattent dans la crise et « n’ont pas eu le sentiment d’avoir été favorisés par leur appartenance raciale. » « Parler du racisme comme si rien n’avait changé est une erreur », avertit-il, appelant les pères afro-américains à mieux jouer leur rôle paternel pour sortir leurs enfants du cycle vicieux de l’échec.

Malgré la déferlante de haine et de menaces racistes venue de la frange extrême de la droite américaine après son élection, Barack Obama n’a jamais abandonné cette posture de réconciliateur. « Il n’avait pas le choix, il devait être le président de tous les Américains », confiait en 2012 au Figarole sénateur noir de Richmond, Henri Marsh. Le plan d’Obama est alors que son engagement en faveur du droit à la santé sera la meilleure manière d’aider la communauté noire. Ses interventions sur le sujet racial sont rares, ses relations avec les élus du Black Caucus du Congrès - resté, selon lui, trop figé sur le passé -, distantes. À tel point que pendant sa campagne de réélection, certains analystes prédisent que les Noirs, déçus, ne se mobiliseront pas, pronostic qui se révélera erroné.
« Grande prudence »

Depuis 2012, Barack Obama s’est investi davantage dans le « rattrapage social » de la communauté, lançant notamment l’initiative « Être le gardien de mon frère ». Quand Trayvon Martin - un jeune Noir de 17 ans - est abattu en Floride par un vigile, qui l’interpelle alors qu’il se promène sans armes dans le lotissement paternel, le président sort même de sa réserve pour déclarer, très ému, que « s’il avait eu un fils, ce dernier aurait ressemblé à Trayvon ». Un an plus tard, après enquête, il s’avère que le meurtrier s’est battu avec Trayvon, après l’avoir accosté, et il est acquitté au motif de la légitime défense. « J’aurais pu être Trayvon Martin », répète toutefois le président.

Un an plus tard, Obama s’est bien gardé de parler dans des termes aussi émotionnels à propos de la mort de Michael Brown à Ferguson, note Politico. Est-ce parce que, les ailes brûlées par une affaire Martin plus compliquée qu’il n’y paraissait, il redoute de s’avancer trop vite ? Interrogé sur une implication plus « personnelle » face au drame, voire une visite sur place, le président a mis en avant lundi son désir de « grande prudence » à ce stade de l’enquête. Clairement, le président sait qu’il doit peser l’effet que pourrait avoir son intervention précipitée sur le reste du pays, notamment la frange de la population blanche qui guette tout faux pas de sa part pour lui faire un procès en communautarisme. Alors, il avance à pas comptés, tel un équilibriste, inquiet des violences persistantes et redoutant aussi sans doute que d’autres Ferguson ne s’embrasent. « Le passé n’est pas mort et enterré, il n’est même pas passé », avertissait-il dans son discours de Philadelphie, citant William Faulkner.


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