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Les professeurs googlent aussi leurs élèves

dimanche 14 septembre 2014

Des élèves qui cherchent des informations sur leurs professeurs sur Facebook ou sur Twitter, on connaissait un peu. En 2011, déjà, des professeurs nous expliquaient comment ils géraient leurs relations avec leurs élèves sur leurs réseaux sociaux. A l’époque, Olivier expliquait ainsi :

« Quand vous êtes professeur, les élèves cherchent vos traces sur Internet : ils sont curieux de votre vie privée. »

Mais Internet fonctionne dans les deux sens... Des enseignants nous ont expliqué comment – et pourquoi – ils utilisaient eux aussi Google, Facebook et Twitter pour se renseigner sur leurs élèves.

Cette pratique n’est cependant pas généralisée. Pour certains, elle est d’ailleurs totalement exclue. Une des professeurs qui a souhaité témoigner explique ainsi qu’une des ses collègues avait cherché des informations sur elle avant qu’elle arrive dans son nouvel établissement : « Ça m’a profondément déplu, et je n’ai pas du tout envie de le faire à mes élèves. »


Contacté par LeMonde.fr pour savoir si des consignes avaient été données aux professeurs concernant ces pratiques, le ministère de l’éducation nationale explique vouloir « protéger l’espace personnel des élèves », sans en dire plus.

« Leur profil Facebook est souvent révélateur »

Mais s’il existe, ce rejet semble loin d’être majoritaire parmi les professeurs. Plusieurs d’entre eux nous ont ainsi expliqué qu’ils agissaient régulièrement ainsi. Marie « regarde si ce sont des ados heureux, quel style de posts ils font : romantiques, rebelles, inquiétants , sataniques… Je suis souvent inquiète d’avoir des adolescents très mal dans leur peau, et leur profil Facebook est souvent révélateur ».

William, un autre professeur, très actif sur Twitter, dit suivre les élèves qu’il trouve « via des listes afin qu’ils ne soient pas au courant. Je n’ai rien appris de spécial au cours de l’année, si ce n’est leur amour des One Direction » (un boy band britannique).

Souvent, le point de départ est de protéger les élèves, comme l’explique Cécile, qui enseigne l’espagnol. « L’accès au premier compte Twitter était dû à des menaces contre un élève. » C’est ensuite que cela devient addictif.

« On veut savoir qui a pensé quoi du dernier devoir, si l’élève absent a séché, quelle image ont-ils de nous, quelles sont leurs impressions de rentrée… Je n’ai pas le sentiment d’être dans le voyeurisme, ces comptes sont publics et ça me permet d’avoir un autre regard sur ces adolescents que je côtoie dans un cadre très normé. La consultation de ces profils reste occasionnelle. Sauf dans le premier cas, je n’ai jamais utilisé les captures d’écran dans le cadre de sanctions scolaires. »

Faire de la pédagogie

Cette intrusion, expliquent-ils, permet donc également de montrer à leurs élèves tout ce qu’on peut trouver sur eux en quelques clics. « Concernant Facebook, j’ai fait un cours sur les réseaux sociaux, et pour leur montrer les dangers, écrit William, qui enseigne l’anglais depuis quatre ans. J’ai raconté à une classe ce qu’ils avaient fait pendant le week-end, d’après ce que j’ai pu glaner sur leurs profil. Très efficace, ils ont tout barricadé ensuite ! »

Alors qu’on loue leur capacité à se servir des nouvelles techniques et des réseaux sociaux, beaucoup de ces élèves, notent leurs professeurs, ont du mal à gérer leurs paramètres de confidentialité. Et comme l’a constaté Marie, ce qui était il y a encore quelques années du domaine privée vient de passer dans le domaine public.

« Les insultes et diffamations ont toujours existé et sont placardées sur n’importe quelles portes de toilettes de collège, mais la diffusion sur la Toile me paraît plus néfaste. Les photos volées d’enseignants ou même de camarade, j’y suis attentive. En fonction de la gravité, je soumets la copie d’écran à ma hiérarchie, qui prend ses responsabilité et prévient collègues ou famille de l’élève. Je trouve cela important pour leur éducation à la citoyenneté ! Ils sont au courant et une loi doit s’appliquer. C’est aussi une façon de les protéger en les mettant en garde. »

« Désarçonnés par ma connaissance de faits privés »

Une mise en garde d’autant plus importante que toutes ces publications en ligne peuvent aussi avoir un impact sur l’avenir, et notamment sur l’inscription dans des grandes écoles. C’est ce qu’a fait Gaétan, qui enseigne les sciences économiques et sociales, et qui aide ses élèves à préparer les concours et entretiens d’admission à Sciences Po.

« J’ai pu les interroger de façon précise sur leurs relations sentimentales ou amicales, leurs opinions politiques, leur comportement face au cannabis ou à l’alcool. Ils ont été complètement désarçonnés par ma connaissance de faits privés qui les pénalisaient à ce moment crucial de leur parcours scolaire. A l’occasion de ces oraux, je leur ai révélé qu’eux-mêmes avaient rendu ces informations disponibles à tous, y compris aux membres d’un jury de recrutement. »


Sans compter que ces informations personnelles, qui peuvent se révéler très difficiles à faire supprimer après coup, peuvent aussi intéresser… de futurs employeurs.


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