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Obama en Éthiopie : l’ombre de Meles Zenawi plane encore

mardi 28 juillet 2015

Lors de sa visite en Ethiopie, le président américain Barack Obama découvrira un pays qui tarde à tourner la page Meles Zenawi, décédé en 2012.

Programmes économiques et moeurs politiques portent encore la marque Zenawi. Beaucoup disaient de lui qu’il était le "dernier empereur" d’Éthiopie. Arrivé au pouvoir par les armes après la chute du régime communiste, Meles Zenawi a régné d’une main de fer vingt et une années durant. Deux ans après son décès le 20 août 2012, dans les rues d’Addis Abeba, sur les murs des écoles, derrière les bureaux des fonctionnaires, son portrait est partout.

Un parcours peu ordinaire

À 20 ans à peine, l’étudiant en médecine abandonne l’université et rejoint les rangs du Front de libération du peuple du Tigré (FLPT). Il prend les armes et mène une guérilla contre le gouvernement marxiste de Mengistu Haile Mariam. En 1989, il devient le président du FLPT et du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). Deux ans plus tard, la junte militaire du DERG est balayée et c’est naturellement que Meles Zenawi prend le pouvoir de l’État. Un pouvoir qu’il conservera pendant vingt et un ans. En Éthiopie, il est l’homme qui a sorti le pays de la famine. Il a boosté l’industrie jusqu’à atteindre une croissance à deux chiffres dans les années 2000. Cerise sur le gâteau : il a réussi à porter l’habit de leader de la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique. À l’époque, le président américain Bill Clinton voyait en Meles Zenawi l’un des "dirigeants de la renaissance africaine". Demandez à un Éthiopien le nom de son Premier ministre, jamais il ne répondra Haile Mariam Dessalegn, pourtant en poste depuis deux ans.

Un vrai sens de l’anticipation

Meles Zenawi avait tout prévu. Il avait fait de Haile Mariam Dessalegn son dauphin depuis 2010. L’article 75 de la Constitution éthiopienne prévoit que le vice-premier ministre "agit au nom du Premier ministre en son absence". Sans consulter l’opposition, l’EPRDF, la plus importante composante de la coalition au pouvoir, projette Haile Mariam Dessalegn à la fonction suprême de l’État. À première vue, tout l’oppose à son mentor. Dessalegn est un technocrate, un homme du Sud, discret et de confession protestante, contrairement aux dirigeants du parti, tous Tigréens (ethnie du nord du pays). Mais les analystes doutent que l’élite renonce à diriger le pays. Certains voient en Dessalegn une marionnette du parti.

Le GTP, son testament économique, est suivi à la lettre

Meles Zenawi avait tout prévu en effet. Car en 2010 aussi, il lance le GTP - Growth and Transformation Plan. Un plan quinquennal qui jette les grandes lignes politiques. Un legs testamentaire que l’actuel gouvernement suit à la lettre. Industrie, éducation, agriculture, infrastructures, commerce international, tous les secteurs sont passés au peigne fin pour placer l’Éthiopie en tête des économies dominantes du continent. Les grands projets sont progressivement réalisés : routes, échangeurs, lignes de chemin de fer... Le train reliant Addis Abeba à Djibouti est en bonne voie et le barrage de la Renaissance, construit sur le Nil bleu, sort de terre. De quoi voir venir sereinement l’année 2015, une année électorale dont l’opposition espère concrétiser en année de changement. Mais rien n’est moins sûr avec le developmental state ("État développemental" qui préside en lieu et place de l’ère Meles, considérée comme l’ère du "despotisme éclairé"). En même temps que la démocratisation progressive, il y a le developmental state basé sur un principe prôné par l’ancien Premier ministre lui-même, qui s’inspire des économies asiatiques. De manière plus claire, il s’agit d’une économie libérale basée sur le capitalisme mais contrôlée par l’État.

Et sur ce plan, la ligne directrice que Meles a donnée est la suivante : exporter et attirer l’investisseur étranger. Ainsi, en 2011, il a invité le P-DG de Huajian, géant chinois de la chaussure, en Éthiopie. Parallèlement, Meles frappe à la porte du français Castel et l’exhorte de faire du vin "made in Ethiopia". Deux ans après sa mort, deux usines Huajian en banlieue de la capitale tournent à plein régime et les premières bouteilles Castel (1,2 million) sont déjà sur les étals et la moitié est vendue à l’étranger.

Après la continuité économique, la continuité politique

L’État incite. L’État contrôle. Qu’importe l’homme qui le dirige. Meles a dicté les règles du jeu. Selon Jean-Nicolas Bach, chercheur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, "cet État n’admet ni dialogue ni compromis". Meles Zenawi ne faisait confiance qu’à son entourage proche, voire qu’à lui-même, pour orchestrer l’entrée de l’Éthiopie à l’horizon 2025 dans le concert des pays à revenus intermédiaires", dit-il. Et d’ajouter : "Le règne autocratique de Meles Zenawi a été le prix à payer jusqu’ici pour concrétiser le développement annoncé." Lors des élections de 2010, sa victoire a été écrasante avec ses 99 % de voix.

Sous l’ère Dessalegn, peu de changements de ce côté-là. En 2012, l’ONG International Crisis Group écrivait : "Au cours des dernières années, Meles avait compté de plus en plus sur la répression pour étouffer la dissidence croissante. Son successeur luttera pour gérer l’augmentation de ces troubles." Et en effet, la loi antiterrorisme, lancée en 2009, continue de freiner opposition politique et médias. Fin avril, neuf blogueurs et journalistes ont été arrêtés et accusés de terrorisme. Quant aux membres des partis adverses, ils sont régulièrement interpellés. En juin dernier, l’opposant Andargachew Tsige a été extradé du Yémen jusqu’en Éthiopie, où il avait été condamné par contumace en 2009 à la peine de mort. Cette continuité étatique au-delà des hommes qui l’incarnent donne à la célèbre formule "Le roi est mort, vive le roi" un écho particulier.


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