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Privert empêtré

jeudi 25 février 2016

Ce n’est pas seulement le long temps pris ce mercredi par le président provisoire Privert avant de rencontrer la presse qui a mis la puce à l’oreille des observateurs, ni le délai supplémentaire sollicité avant de pouvoir annoncer le nom du Premier ministre qui le confirme, encore moins les dix jours écoulés depuis l’installation du président Privert sans qu’aucune nomination ni action d’importance soit concrétisée qui fondent la certitude, c’est tout ce qui se passe depuis la signature de l’accord : Privert est empêtré. Le président provisoire n’est pas un président comme nous en avons l’habitude. Il n’a pas été élu par la majorité de la population, il ne bénéficie pas d’un coup d’Etat réussi, il n’a pas été installé par une révolte populaire ni par une révolution, il n’appartient pas à la Cour de cassation. C’est sorti des rangs de ses pairs parlementaires, dans un suffrage au second degré, après des jours de négociations et des heures de tractations, que Jocelerme Privert est devenu président. Cette route particulière a obligé le président à rechercher des voix auprès de collègues dont il va encore avoir besoin, cela oblige Jocelerme Privert à promettre monts et merveilles. Des promesses d’un jour qui peuvent l’éloigner de son objectif final, mais aussi des promesses qu’il doit, plus ou moins tenir, pour ne pas affronter le courroux des parlementaires. Privert, fils du Parlement, dispose d’atouts qui sont aussi des faiblesses, tant les promesses peuvent empêcher son action. En signant avec le président Michel Martelly l’accord lui ouvrant les portes du palais national, Jocelerme Privert a de fait pris l’engagement de ne pas totalement écarter les alliés du PHTK dans la gestion des affaires de la nation. Privert se retrouve fragilisé avec cette cohabitation forcée d’autant que les forces qui s’étaient liguées pour pousser Martelly hors du pouvoir ne peuvent se satisfaire de cet accommodement. Contrairement à la bonne routine de nos présidents provisoires, personne ne peut dire cette fois que c’est la communauté internationale ou telle ambassade qui lui a tenu la main pour lui montrer la route de la prise du pouvoir. En tapant sur les doigts des diplomates le jour de son installation, Privert a d’ailleurs coupé le cordon avec ceux qui ont été les meilleurs alliés de Martelly ces cinq dernières années. Cette indépendance revendiquée mais que Monsieur PPP ne peut pas claironner pour en faire un blason est aussi un de ses points faibles. Pour ne pas lui faciliter la tâche, Jocelerme Privert n’a pas derrière lui un bloc politique connu et homogène, il ne dispose pas encore de levier au gouvernement et dans l’administration. Le premier ministre et les ministres de Martelly sont encore en poste et lui mènent la vie dure dans les médias depuis sa sortie fracassante de vendredi dernier. Privert a fait la une de l’actualité sur des accusations qui ne tiennent pas la route, selon les responsables encore en poste. Se faire accuser ou se faire prendre en flagrant délit d’erreur ne renforce personne. Ce mercredi, le pays attendait de connaître les noms des membres du Conseil électoral, mais on n’aura pas cette information que le président pensait pouvoir annoncer. La raison est simple : autant le président de la République peut donner un délai aux secteurs pour qu’ils désignent leur représentant au CEP, autant ceux-ci peuvent avoir leur propre agenda et ne pas se courber devant les impératifs du temps présidentiel. Sur le Conseil électoral, entité dont toute la réussite de son mandat dépend, le président Jocelerme Privert n’a et n’aura jamais de prise. C’est un autre des points faibles du président Privert. L’ancien président du Sénat ne peut pas non plus forcer les partis politiques ou les candidats à participer à l’élection. Il ne peut pas contraindre les parlementaires à tenir séance. Il a besoin de ces deux séries d’acteurs. Il ne peut prendre de sanction contre aucun d’eux. Jocelerme Privert ne peut même pas défaire tout ce que Michel Martelly a fait par décret pour mettre de l’ordre dans les désordres de Tèt Kale. L’arme des décrets a ses limites avec la présence du Parlement. Jocelerme Privert a un mandat de 120 jours. Il a des objectifs à atteindre. Rien ne dépend de lui directement et il n’a pas les moyens de sa politique. Pour réussir, il devra se faire bon entraîneur et bon capitaine. Etre dans la réflexion et dans l’action. Avoir le bon dosage. Car pendant que la politique attire tous les regards, les autres problèmes du pays prennent des dimensions insoupçonnées et tout dépend du président. Même provisoire. Michel Martelly, qui a fini saucissonné comme Gulliver par les efficaces Lilliputiens de la politique haïtienne, doit apprécier le piège mis en place par ses manquements et dans lequel Jocelerme Privert est tombé le 14 février. Gouverner Haïti n’est pas une partie de plaisir. Les présidents se suivent et se ressemblent. Ils sont empêtrés. Privert comme Martelly avant lui. Le sénateur devenu président doit montrer qu’il a encore des tours dans sa manche et mettre en marche sa présidence. Pour le moment, Privert somnole, empêtré dans les limites de son mandat. Jocelerme Privert doit surmonter ou contourner les obstacles pour avancer. Le premier pas se fera avec la désignation d’un premier ministre qui pourra l’épauler et non le déstabiliser.
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com


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