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Quand l’armée américaine faisait de ses propres soldats des cobayes

lundi 13 juillet 2015

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Pentagone a testé dans le plus grand secret les effets du gaz moutarde sur des soldats noirs et portoricains.

De notre correspondante à Washington, Hélène Vissière
L’armée américaine a elle aussi utilisé des chambres à gaz. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Pentagone a mené des expériences en enfermant ses propres soldats pour tester les effets du gaz moutarde et de la lewisite, un autre gaz encore plus toxique. NPR, la radio publique, vient de révéler qu’il ne s’agissait pas de n’importe quel soldat. Une partie des cobayes étaient noirs et portoricains, car les scientifiques voulaient savoir si les peaux sombres résistaient mieux aux armes chimiques. L’un des soldats, Rollins Edward, aujourd’hui 93 ans, raconte qu’avec une douzaine d’autres Afro-Américains, il a été enfermé dans une pièce avec un tuyau qui a déversé du gaz moutarde. "On avait l’impression d’être en feu. Les gars ont commencé à crier et à hurler et ont essayé de sortir. Certains se sont évanouis. Finalement, quand on nous a ouvert la porte et laissés sortir, les types étaient mal en point."

Quelque 60 000 soldats de la Navy et de l’infanterie ont été enrôlés dans ce programme ultrasecret qui a été mené dans une douzaine d’endroits. Parmi eux, des Américains d’origine japonaise sur lesquels les scientifiques voulaient tester l’effet des gaz au cas où une attaque chimique serait lancée sur le Japon. Les soldats n’avaient pas le choix et n’ont rien dit, car les officiers ont menacé de les expulser de l’armée ou de les mettre en prison. Comme cela s’est passé en secret, rien n’a été mentionné sur leur dossier médical et ils n’ont reçu ni compensation ni aide pécuniaire. Or, le gaz moutarde attaque l’épiderme, les muqueuses, cause des brûlures, détruit les voies respiratoires et peut conduire à des leucémies, des cancers... "J’ai eu la peau des mains arrachée. Elles étaient comme pourries", poursuit Rollins Edward qui ne cesse de se gratter les bras et les jambes plus de 70 ans après. Lors des crises, sa peau tombe en lambeaux. Pendant des années, il l’a ramassée et conservée dans un bocal afin de s’en servir comme preuve de sa maladie. En vain.

L’armée a promis de retrouver les cobayes

L’armée a reconnu dans les années 1990 qu’elle avait eu recours à ce genre d’expérience et promis de retrouver les 4 000 soldats qui ont servi de cobayes dans les tests les plus durs et de leur offrir des dommages et intérêts. Mais elle n’a rien fait. Certains soldats se sont vu appliquer directement sur la peau des produits chimiques, d’autres ont été enfermés dans des chambres à gaz, d’autres enfin ont été aspergés à l’extérieur depuis des avions. Un des documents retrouvés par NPR montre qu’au printemps 1944, alors que les services de renseignement alertent sur la possibilité imminente d’attaques chimiques et que l’Armée américaine travaille à un plan pour déverser des gaz sur le Japon, le Pentagone a exposé 39 soldats américano-japonais et 40 Blancs à différents gaz pendant vingt jours.

Juan Lopez Negron, un Portoricain de 95 ans, raconte qu’il a été envoyé dans la jungle avec d’autres et bombardé d’agent chimique par des avions. Cela les a brûlés et Lopez Negron a passé trois semaines à l’hôpital avec une forte fièvre. Charlie Cavell, un soldat blanc de 19 ans s’est porté volontaire en échange de 15 jours de vacances. "On ne nous a pas dit de quoi il s’agissait », dit-il. Cavell et onze autres soldats ont été enfermés dans une chambre à gaz et exposé à du gaz moutarde. Il y avait des blocs de glace et des ventilateurs pour accroître l’humidité qui augmente les effets du gaz sur la peau. Au bout d’une heure, un officier a relâché six hommes. Cavell et les autres sont restés. Sa peau a viré au rouge puis a commencé à le brûler à l’endroit où il suait le plus, dans la nuque, derrière les genoux, sous les bras. Des cloques se sont formées. Au bout d’une nouvelle heure, l’officier les a fait sortir et les a renvoyés à leur baraquement, mais en leur disant de garder leur uniforme imprégné de gaz.

Charlie Cavell, qui souffre d’un cancer de la peau et de problèmes respiratoires, s’est plaint auprès du ministère des Anciens Combattants dans les années 1990. Il n’a jusqu’ici jamais obtenu gain de cause, la loi protégeant l’armée contre des procès pour des blessures causées pendant le service.
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