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Le récit de la mère d’Assia, enlevée par son père parti faire le « djihad » en Syrie

jeudi 11 septembre 2014

« Je suis partie récupérer ma fille ; aujourd’hui elle va bien, elle n’a jamais été maltraitée, elle est quelquefois apeurée, elle reprend une vie normale, petit à petit, il faut du temps », a confié Mériam Rhaiem, 25 ans, présente à Lyon mercredi.

Cette jeune mère de famille originaire du pays de Gex, dans le département de l’Ain, a voulu revenir dans la ville où elle avait lancé son premier appel public à l’aide, voici près d’un an, pour expliquer comment elle a réussi à récupérer sa fille, Assia, 28 mois, en allant de sa propre initiative en Turquie, à la frontière de la Syrie. Dans un contexte qui mélangeait radicalisme religieux et conflit conjugal, le père avait emmené la petite à l’occasion d’une garde, avec un passeport falsifié. Selon la mère, il exerçait un chantage et déclarait qu’il partait faire « le djihad ».

Mériam Rhaiem est revenue, sa fille dans les bras, la nuit du 2 au 3 septembre, dans un avion affrété par le gouvernement, accueillie à Villacoublay (Yvelines) par le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve. Au cours de l’année, elle avait rencontré un conseiller du président de la République, avait eu un long entretien avec Christiane Taubira et une entrevue au quai d’Orsay.

« Le ministère de la justice a été extraordinairement actif, le gouvernement et le consulat sur place se sont mobilisés », souligne Me Gabriel Versini, avocat de la jeune femme. Au-delà du soutien affiché des autorités, c’est surtout une initiative risquée et personnelle qui a débloqué la situation.

« UNE EMPRISE SECTAIRE »

Mériam Rhaiem a parlementé cet été avec son ex-mari, durant des semaines au téléphone. Elle a eu l’impression de lutter contre « une emprise sectaire ». « La situation syrienne était devenue de plus en plus complexe et il prenait de plus en plus conscience du danger pour sa fille et pour lui-même », explique la jeune femme, ajoutant : « j’étais sûre qu’il y avait une possibilité ».

Sans livrer tous les détails, elle dit qu’elle a pu le convaincre de rejoindre la Turquie, pour une rencontre dans un hôtel, dans la ville frontalière de Hatay. Piège ou espoir de le ramener à la raison ? Elle formule ainsi sa démarche : « Je lui ai tendu la main, j’ai essayé de le sauver ».

Hatay est un endroit réputé dangereux, fortement déconseillé. Quand le principe d’un rendez-vous a été acquis, la jeune femme a décidé de partir malgré tout, accompagnée de son frère. Elle a informé les autorités françaises, sans savoir comment pouvait tourner la situation. Mériam Rhaiem a pris l’avion de Paris à Istanbul, puis sur des vols intérieurs pour Ankara, Adana et finalement Hatay.

Elle a aussi prévenu les autorités turques, selon des modalités qui restent inconnues. En tout cas, le jour de la rencontre dans l’hôtel, la gendarmerie turque a immédiatement appréhendé son ex-mari. Les autorités turques ont décidé de placer le père en centre de rétention, avec la fillette. Une autre bataille s’est engagée sur place. « Ils ne voulaient pas me restituer ma fille, j’allais la voir tous les jours derrière les barreaux du centre de rétention », relate la jeune mère.

« IL FAUT DES DÉCISIONS DE CRISE »

L’incertitude a duré trois jours. En France, son avocat s’est activé auprès des autorités. L’affaire est remontée jusqu’au premier ministre. Manuel Valls préparait son discours de l’université d’été de La Rochelle quand on l’a appelé pour intervenir.

Le gouvernement français a réussi à convaincre les autorités turques de rendre la fillette à sa mère, en rappelant que le père, originaire de Villeurbanne (Rhône), fait l’objet d’un mandat d’arrêt international, diffusé par Interpol, délivré dans le cadre d’une instruction judiciaire menée à Bourg-en-Bresse pour « soustraction de mineur par ascendant ».

Mériam Rhaiem a pu regagner le territoire français par un Falcon gouvernemental. Son avocat faisait partie du voyage. « Elle a un courage extraordinaire, quand je l’ai vue arriver avec sa petite fille, agrippées l’une à l’autre, j’avoue que l’émotion et l’admiration nous ont submergés », confie Gabriel Versini. « Il faut garder espoir, il faut se battre, c’est un combat, il faut protéger les enfants de la République », dit Mériam Rhaiem à propos des autres cas récents d’enfants emmenés par des adultes présumés radicaux en Syrie.

Son avocat suggère une évolution du droit de la famille face aux cas avérés de radicalisme religieux. « Il faudrait accorder au juge des affaires familiales la possibilité de prendre des mesures immédiates, d’urgence, pour éviter que des droits de garde donnent l’occasion d’enlever les enfants ; face à des situations de crise il faut des décisions de crise », estime Gabriel Versini.

Pour Mériam Rhaiem, il n’est plus envisageable que sa fille revoie son père « tant qu’il ne sera pas sorti de son embrigadement ». La jeune femme a reçu des menaces. Deux policiers assuraient sa protection au cours de son déplacement à Lyon. Elle veut désormais se consacrer à sa fille avant d’envisager de reprendre son activité professionnelle. « Elle découvre les jouets, elle découvre l’amour maternel, dit la maman. Elle ne m’a pas reconnue tout de suite, elle m’a très vite adoptée ».

Richard Schittly (Lyon, correspondant)
Journaliste au Monde


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