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Ebola : "J’ai rarement vu autant de souffrance", raconte une médecin

vendredi 12 septembre 2014

Pendant cinq semaines, le Dr Maud Santantonio, de Médecins sans frontières, a œuvré au chevet de patients atteints par la fièvre hémorragique, en Sierra Leone. Voici son témoignage.

Quatre pays atteints, des habitants en quarantaine, plus de 2 200 morts sur 4 269 cas confirmés. L’épidémie de fièvre Ebola qui sévit en ce moment en Afrique de l’Ouest est plus que ravageuse. En Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, les trois pays les plus touchés, les équipes de Médecins sans frontières (MSF) s’activent sur le terrain pour tenter de secourir les populations.

Maud Santantonio, médecin au sein de l’organisation, revient d’une mission de cinq semaines à Kailahun, une ville de l’est de la Sierra Leone. Elle raconte à francetv info le quotidien du staff médical dans cet environnement.

Francetv info : En quoi consistait votre mission là-bas ?

Maud Santantonio : Mon travail était de prendre en charge, au centre Ebola de Kailahun, les patients "suspects" ou "confirmés". Je travaillais dix heures par jour, gérais les admissions, examinais les patients... Nos priorités sont d’aider ceux qui n’ont pas la force de se nourrir, de boire ou de se laver, de faire en sorte qu’ils ne souffrent pas.

Comment s’organise le centre Ebola ?

Il fait la taille d’un terrain de foot. A l’entrée se trouvent des tentes abritant la pharmacie, les dossiers des patients, le laboratoire. Puis, il y a dix tentes de huit lits dédiées aux patients, deux pour les cas suspects et huit pour les confirmés. Celles-ci se situent dans la zone de "haut risque", où l’on entre équipé d’une combinaison. On y circule dans un seul sens, jamais en arrière. On ne peut pas passer de la zone des "cas confirmés" à celle des "cas suspects" sans ressortir et se faire "sprayer" [asperger d’eau chlorée].

Quelle était la situation sur place au moment où vous y étiez ? Y avait-il beaucoup de malades ?

C’était très variable. A mon arrivée, on comptait une trentaine de patients, puis leur nombre est monté à 80 personnes, avant de redescendre puis d’augmenter de nouveau. Les malades arrivent par vagues. En général, cela fait déjà trois jours qu’ils manifestent des symptômes. Ceux qui guérissent restent deux à trois semaines. Ceux qui meurent tiennent une semaine, dix jours au plus. Les décès sont quotidiens. Nous avons parfois eu 10 morts par jour. Les corps sont transportés à la morgue qui se trouve sur place. Ils sont ensuite évacués par pick-up par la Croix-Rouge.

Dans quelles conditions soignez-vous les patients ? Avez-vous assez de matériel, par exemple ?

Le problème n’est pas là. Les difficultés sont surtout liées à l’isolation. On ne va pas plus de deux, trois fois par jour, dans le service "haut risque", où sont confinés les patients venant pour des suspicions d’Ebola et ceux malades. On n’y reste pas plus de 45 minutes avec la combinaison jaune. C’est la règle. De toute façon, physiquement, on ne tient pas. Il fait très chaud, on a de la buée sur les lunettes de protection... Ce n’est pas comme un service classique où l’on peut rentrer pour poser une question à un patient et repartir. Sur place, la moindre action prend du temps. Enfiler sa combinaison, c’est déjà 10 minutes perdues.

Quels sont les risques pour les médecins ?

Si on respecte les règles de précaution, le risque est quasi-nul. Mais pour cela, il faut être un peu paranoïaque. Dès qu’on touche quelqu’un ou quelque chose, on se lave les mains. Entre collègues, on ne se sert pas la main, on ne se fait pas la bise. Même quand on sort de la zone de risque, tout est codé. Il ne suffit pas d’ouvrir sa combinaison : quelqu’un nous asperge de chlorine, puis on enlève le tablier, les lunettes, la cagoule, la combinaison... Entre chaque étape, on se désinfecte les mains. Il faut faire cela bien, pour ne pas commettre d’erreur septique.

Comment se sent-on, au quotidien, au chevet de tous ces malades ?

C’est dur psychologiquement, bien sûr. Il y a une concentration de gens très malades, et des morts tous les jours. J’ai rarement vu autant de souffrance. Et on se sent impuissant, car nous n’avons pas de traitement efficace, seulement des soins de support. On est là pour sauver des vies, mais c’est très difficile. Au final, on les aide surtout à passer la ligne rouge. On fait ce qu’on peut, mais on a 50 à 55% de décès à Kailahun.

Malgré tout cela, les gens nous remercient. Ils ont compris, maintenant, que le virus Ebola existe, qu’il est en Sierra Leone, qu’il tue. Ils y croient, et ils ont confiance dans le centre MSF. Ils ont vu que certains en sortaient. Nous avons eu 90 survivants, ce n’est pas rien.

Quels moments vous ont marquée pendant ces cinq semaines ?

Je me souviens d’une fois où j’étais arrivée à 6 heures, avec l’équipe du matin. La veille, il y avait eu beaucoup d’admissions, dont plusieurs personnes d’une même famille. Elles attendaient, sous une tente, de savoir si elles avaient Ebola ou non. Je suis arrivée devant ces gens, ils étaient tous allongés, et j’ai tout de suite compris que les 3/4 d’entre eux étaient malades. Parmi eux, il y avait un petit garçon, Moses. Ça a été dur, il allait très mal, refusait de se nourrir et de boire... On s’est occupé de lui, son papa a survécu, sa mère est morte. Au bout de trois semaines, juste avant que je reparte, il m’a appelée et m’a fait le signe du pouce en l’air, m’a demandé des biscuits. Je me suis dit qu’il allait s’en sortir. C’est ce qui s’est passé.

Vous êtes rentrée, mais l’épidémie est loin d’être enrayée... Qu’est-ce qu’il manque, au-delà d’un traitement efficace ?

L’épidémie est trop importante et les moyens humains encore trop limités. On n’a pas la capacité de freiner son expansion. Il y a trop de personnes atteintes, trop de foyers en même temps... Tout seul, MSF n’arrivera à rien. Il faut que ça bouge. Soigner les malades n’est qu’une toute petite partie. On a besoin de gens pour aller dans les villages, apprendre aux populations comment enterrer les corps de façon sécurisée, comment se protéger, ne pas réutiliser des gants qui ont touché des personnes malades. C’est ça qui arrêtera vraiment l’épidémie.


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