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Peut-on cultiver des plantes sur Mars et sur la Lune ?

vendredi 12 septembre 2014

Il est des moments jubilatoires dans la science, quand les chercheurs rattrapent la science-fiction et tentent de voir si elle peut s’accorder avec la réalité. C’est un peu ce qui se passe dans une étude néerlandaise publiée le 27 août par PLoS ONE. Dans son cas, la science-fiction, ce sont ces récits qui mettent en scène la colonisation de la Lune et de Mars. Et pour ce qui est de la science, les premières phrases du résumé de l’article annoncent clairement la couleur : "Quand les humains s’installeront sur la Lune ou sur Mars, il faudra qu’ils y mangent. La nourriture pourrait y être envoyée. Une autre solution consisterait à cultiver des plantes sur place, de préférence sur les sols de là-bas." Après tout, le colon doit savoir gagner son indépendance, au moins alimentaire, non ? Ces chercheurs néerlandais ont donc voulu déterminer si l’on pourrait faire pousser quelque chose sur la Planète rouge et sur notre satellite. Pour ce faire, ils ont entrepris la première culture à grande échelle de végétaux sur des reconstitutions de sols martien et lunaire.

Grâce aux missions Apollo et aux rovers qui se promènent depuis des années à la surface de Mars, nous connaissons assez bien les caractéristiques de ces substrats auxquels certains puristes refusent de donner le nom de "sol" car celui-ci implique un enrichissement en matière organique par des êtres vivants. Ils parlent plus volontiers de "régolite" pour désigner cette couche superficielle formée par la dégradation de la roche sous l’effet de facteurs divers suivant qu’on est sur la Lune ou sur Mars (impacts de météorites ou de micrométéorites, influence du vent solaire, érosion éolienne sur Mars, etc.).

Les auteurs de cette étude se sont procuré des sols reconstitués – préparés par la NASA – et ont décidé d’y semer des graines pour savoir si elles pourraient germer et passer les étapes du développement végétal. Même si l’on imagine qu’ils cultiveront sous serre et dans un air à la composition identique à celle que nous connaissons sur notre planète, la difficulté principale qu’auront à surmonter les futurs Martiens ou Sélénites sera l’extrême pauvreté de ces sols extraterrestres en composés azotés. Or, pour fabriquer leurs protéines, les végétaux ont besoin d’azote, mais celui que l’on trouve en grande quantité dans l’air n’est pas exploitable par les plantes à l’exception des légumineuses, qui y parviennent grâce à leur collaboration avec des bactéries. L’idée serait donc, pour le premier stade de la colonisation, de commencer par faire pousser ce type de plantes puis de les incorporer à la "terre" afin de l’enrichir en azote, en vue des cultures suivantes.

C’est pour cette raison que les chercheurs néerlandais ont, en plus des semences de tomates, de seigle, de carottes et de cresson, testé des graines de quatre légumineuses, la vesce commune, le lupin, le mélilot officinal et le lotier des marais. Pour compléter leur panel végétal, ils ont ajouté six plantes sauvages, comme l’arnica ou la moutarde des champs. Les chercheurs ont sélectionné à dessein des espèces à petites graines afin que le stock nutritif qu’elles contiennent soit rapidement épuisé et que les végétaux dépendent totalement des sols pour pousser.

Puis ils ont semé. Dans du pseudo-sol martien, du pseudo-sol lunaire et, pour avoir des échantillons témoins, dans un sol terrestre grossier et très pauvre, une sorte de terrain sablonneux complètement lessivé trouvé au fond du Rhin. Vingt pots par espèce et par type de sol, soit un total de 840 pots. La photo ci-dessus donne un aperçu du dispositif expérimental. Les pots ont été disposés de manière aléatoire dans une serre aux conditions de température et de luminosité contrôlées. Les chercheurs ont arrosé régulièrement leurs plantations avec de l’eau déminéralisée et… ils ont attendu. En notant si les végétaux passaient ou pas les étapes de leur développement (germination, première feuille, floraison, production de graines). Au bout de cinquante jours, ils ont récupéré le contenu de chaque pot, l’ont nettoyé, séché en le mettant vingt-quatre heures dans un four à 70 °C et pesé, en séparant la partie aérienne de la plante de sa partie souterraine.

Les résultats montrent que la partie est loin d’être gagnée pour les futurs paysans de l’espace. En moyenne, le substrat martien a été le plus performant des trois sols testés, et le régolite lunaire le plus ingrat. Au terme des cinquante jours d’expérience, 60 % des plantes semées étaient encore en vie dans le premier cas, contre 20 % seulement dans le deuxième (dans le sable du Rhin, un végétal sur deux avait survécu). Mais survivre est une chose, prospérer en est une autre. Sur les quatorze espèces testées, seules trois sont allées jusqu’au stade de la floraison – le seigle, le cresson et la moutarde des champs – et sur ces trois-là seules les deux dernières ont donné des graines.

Pour les chercheurs, cette expérience avait pour objectif, sans mauvais jeu de mots, de défricher le terrain, d’identifier les questions à explorer et les moyens de surmonter les problèmes. Ils se demandent par exemple à quel point les mauvaises performances du sol lunaire sont dues au fait qu’il s’assèche plus vite et que son pH est élevé. Ils jugent donc nécessaire d’approfondir les caractéristiques physiques de ces sols, de réfléchir à la meilleure manière de les irriguer mais aussi de les engraisser. Pour ce dernier point, on a très envie de leur rappeler que qui dit cultivateurs (de Mars, de la Lune ou d’ailleurs) dit humains… et excréments. Je ne peux résister à l’envie de citer ce passage marquant de La Terre d’Emile Zola : "Vous la connaissez, la mère Caca, votre voisine ? Eh bien ! elle seule est dans le vrai, le chou au pied duquel elle a vidé son pot est le roi des choux, et comme grosseur, et comme saveur. Il n’y a pas à dire, tout sort de là. (…) Quand on pense que la vidange seule de Paris pourrait fertiliser trente mille hectares !" Sans doute les astronautes, déjà habitués à boire l’eau extraite de leur urine recyclée, ne seront-ils pas rebutés par cette solution.

Pierre Barthélémy (suivez-moi ici sur Twitter ou bien là sur Facebook)


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