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Drogue : d’Aristide à Martelly, Haïti reste sur la liste noire des Américains

vendredi 19 septembre 2014

Ce n’est pas un scoop qu’Haïti soit, cette année encore, sur la liste noire des grands pays producteurs ou de transit de la drogue vers les Etats-Unis. Comme pays de transit, Haïti et la République dominicaine « affectent de façon significative les Etats-Unis », a écrit le président Barack Obama au Congrès. Cette notification, qui entre dans le cadre du partage de responsabilité dans la gestion des USA, vise aussi et surtout à sensibiliser les législateurs à la nécessité d’avaliser le décaissement de fonds dans la lutte contre la drogue. Les fronts, en quelques décennies, se sont multipliés. Rien que sur le continent, les cartels péruviens, colombiens, vénézuéliens, mexicains rivalisent d’astuces, de stratégies en vue d’atteindre le marché américain, l’un des plus importants du monde.

Jusqu’ici, parallèlement aux efforts du commandement sud de l’armée américaine et des douanes, la DEA constitue le fer de lance de l’administration américaine dans la lutte contre le narcotrafic. Parce qu’Haïti est toujours sur cette liste noire depuis au moins 10 ans, c’est-à-dire au moins d’Aristide à Martelly, n’est-il pas venu le temps de passer au crible l’efficacité des opérations de la DEA ? N’est-il pas opportun également de questionner la coopération à un sens plus large dans la répression de la criminalité transnationale avec les USA ? Pendant qu’on y est, n’est-il pas à propos d’évaluer l’efficacité des opérations de la MINUSTAH aux côtés de la PNH en matière de lutte contre le narcotrafic ?

Sans aucun doute, les concernés pourront faire le bilan de leurs actions. Des cargaisons de drogue ont été saisies, des narcotrafiquants sont derrière les barreaux et des équipements ont été donnés à la PNH pour renforcer sa capacité opérationnelle. C’est vrai et c’est louable. En revanche, est-ce suffisant ? Non. Autrement, Haïti ne serait pas encore sur cette liste noire, ce carnet sanctionnant l’inefficacité de la lutte antidrogue.

Les côtes d’Aquin, de Côte-de-Fer, de l’Ile-à-Vache, de Marigot, de Tiburon sont-elles aujourd’hui mieux contrôlées ? La fréquence des débarquements de drogue à bord de vedettes rapides a-t-elle été diminuée ? Les échanges de drogue et d’armes entre les trafiquants haïtiens et jamaïcains ont-ils baissé ? Les pistes d’atterrissage clandestines disséminées un peu partout sur le territoire ont-elles été détruites ? N’est-il pas désormais plus facile, grâce aux instruments de localisation géospatiale, aux vols de reconnaissance d’avions et d’hélicoptères de la MINUSTAH d’identifier ces pistes ? Quid de l’intelligence antidrogue de la PNH ? Quid de la sûreté de la frontière avec la République dominicaine, poreuse, longue de 380 kilomètres ?

Si en Haïti il est facile de mettre en avant le dénuement relatif de la PNH comme excuse, la situation de la République dominicaine force à relativiser. Chez nos voisins, il y a des dizaines de milliers d’hommes et de femmes en armes au sein de l’armée qui compte le CESFRONT, unité spécialisée dans la sécurité de la frontière, la marine qui supportent les actions de la DNCD qui relève de la police. Cela n’empêche pas les narcotrafiquants de mener leurs opérations en République dominicaine. Pays de transit mais pays où la consommation de drogue comme la cocaïne est plus élevée par rapport à Haïti compte de tenu de sa situation économique plus reluisante et du tourisme.

Comme pour montrer la difficulté à lutter contre le narcotrafic, certains mettront en avant la capacité des cartels, des dealers à corrompre des éléments de l’appareil répressif d’Etat. C’est le cas partout à travers le monde. Quelques-uns ont payé le prix quand ils sont épinglés. Il y a quelques années, parce que l’Etat haïtien a signé un accord critiqué par certains autorisant l’arrestation et l’extradition vers les Etats-Unis de citoyens haïtiens sur lesquels pèsent des accusations de trafic de drogue, de blanchiment des avoirs, des personnalités haïtiennes de premier plan se sont retrouvées dans le box des accusés et derrière les barreaux à cause de leur relation avec le milieu. Jean Nesly Lucien, ex-directeur de la PNH, s’est retrouvé entre les quatre murs d’une cellule pour blanchiment d’argent. Et Oriel Jean, ex-chef de la garde présidentielle, a plaidé coupable de blanchiment d’argent aux USA. Personne n’oubliera que Fourel Célestin, ex-président de l’Assemblée nationale, a purgé une peine de prison pour son implication dans le trafic de la drogue.

Sans entrer dans les considérations sur les motivations du juge d’instruction Lamarre Bélizaire, dans cinquante ans, les enfants liront dans les colonnes jaunies des journaux que l’ex-président Jean- Bertrand Aristide a été inculpé pour trafic de drogue et blanchiment des avoirs.
Ces temps-ci, avant ce bond vers le futur, on évoque la proximité de gens du milieu, des individus au passé douteux avec le pouvoir Tèt Kale. L’exemple de Evinx Daniel revient toujours. L’homme d’affaires, arrêté dans une affaire de drogue, a été libéré grâce à l’intervention de gens proches du pouvoir. Peu après l’incarcération fin 2013 de Evinx Daniel dans une affaire de drogue récupérée en mer, le chef de l’Etat avait passé la nuit dans son hôtel au grand dam de certains. Evinx Daniel, entre-temps, est porté disparu depuis janvier 2014.

Plus généralement, on sait que les narcodollars irriguent l’économie haïtienne. La pègre a ses réseaux, comme l’avait dit un ex-ambassadeur des Etats-Unis en Haïti, Brian D. Curran. Le pays s’est accommodé aux narcodollars. Les avocats du milieu sont connus et l’argent sale est blanchi dans le système financier. Même si tout le monde sait que la pègre finance des campagnes électorales, personne ne s’émeut. L’argent sale, tranquillement, façonne l’avenir politique d’Haïti. On ne se bouscule pas au portillon pour casser ce cycle. C’est connu que l’Etat failli, à cause de l’instabilité politique, à cause des problèmes de gouvernance, facilite le trafic.

D’un autre côté, comme pour relativiser ce classement, cette « liste noire », certains se font un point d’honneur de rappeler que la course effrénée aux billets verts laisse dans son sillage des milliers de morts, comme au Mexique. Des armes américaines se retrouvent aux mains des narcotrafiquants, combattus par des unités d’élite de l’armée ou de la police de certains pays suscités, entraînés et armés par les Américains. Personne ne fera l’économie de rappeler que le butin ramassé par les dealers sont souvent saisis quand il tombe dans les filets des autorités. Derrière tout ça, il y a une logique économique qu’on aurait tort de sous-estimer. N’est-ce pas ?


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