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23 septembre 1910. À 23 ans, péruvien Jorge Chávez se tue après le premier survol des Alpes

lundi 22 septembre 2014

Éprouvées par les trous d’air, les ailes du Blériot XI de l’aviateur se cassent en morceaux à l’atterrissage.

Difficile à croire, mais il y a seulement un siècle et des poussières de cela, les avions étaient encore incapables de franchir les Alpes. Ce qui nous paraît aujourd’hui un saut de puce constituait alors un bond de géant. Le premier à jouer à saute-mouton au-dessus du massif alpin est Jorge Chávez, un galopin de 23 ans qui ne possède son brevet de pilote que depuis sept mois. L’exploit lui sera fatal puisque ce fils d’un riche banquier péruvien exilé à Paris s’écrase à l’atterrissage, mourant de ses blessures quatre jours plus ta. "Chávez l’dire à ma mère, qu’un salaud d’étranger vient voler chez nous !" éructe le has-been Jean Roucas...

Dès qu’il décroche son brevet de pilote international - le n° 32 - en février 1910, Jorge Chávez enchaîne immédiatement les compétitions à bord d’un Farman. En août 1910, il prend la décision de participer à l’épreuve de la traversée des Alpes du Concours aérien international de Milan. Le parcours va de Brigue, en Suisse, à Milan, en Italie. Jusque-là, aucun avion n’a encore violé le ciel alpin. Pour la bonne raison qu’en 1910, le record d’altitude culmine alors à 1 290 mètres. Très, très loin des 4 807 mètres du mont Blanc ! Les organisateurs prévoient tout de même de faire passer les candidats par le col du Simplon à plus de 2 010 mètres d’altitude. Il leur faudra également affronter des vents violents avec des avions volant à 80 km/h. Un beau défi qui excite terriblement le jeune Chávez, même si, contrairement à Sarkozy, il n’a pas deux neurones...

Siège en osier

Avant de s’inscrire à la course, le jeune pilote prend néanmoins le temps d’effectuer une reconnaissance au sol le 19 août. Rassuré, il s’inscrit dès le lendemain et passe commande d’un Blériot XI qu’il fait légèrement modifier. Rien à voir avec un Airbus A380 : tout mouillé, le Blériot pèse 412 kilos. Avec ses 8 mètres de long pour une envergure de 7,20 m, il ressemble à un modèle réduit. Il vole à la vitesse éclair de 90 km/h ! Altitude maximale théorique : 4 000 mètres. Comme aucun cockpit ni pare-brise ne protègent le pilote, Jorge commande un vêtement matelassé, fourré d’amiante, doublé à l’intérieur d’un papier chinois et à l’extérieur de soie imperméable. Il pilote assis sur un siège en osier sans aucune ceinture de sécurité, et porte un baromètre autour du cou pour estimer l’altitude. Il dispose encore d’une boussole, d’un tachymètre pour la vitesse et de cartes.

Le 8 septembre, lorsque Jorge prend livraison de l’appareil, il le teste au-dessus de Paris, battant pour l’occasion le record mondial d’altitude avec 2 652 mètres. Il écrit : "Le froid est très, très intense. Je suis à 2 500 mètres. Encore quelques coups de moteur et je battrai le record de Morane. Je sens le bout du nez humide ; j’ai peur un instant, car je ne suis jamais monté en ballon et ignore quelles sont les sensations qu’on éprouve dans les régions hautes. Aurait-il été bon de porter un ballon d’oxygène ? Me rappelant que lorsque Morane est monté jusqu’à 2 500 mètres il a un peu saigné du nez, j’y ai porté ma main. Ce n’était pas du sang ! C’était un léger rhume, aggravé pendant la montée. Sans doute un courant d’air reçu en passant par la belle tache bleuâtre. Ouf ! Finalement, je me sens rassuré. Je suis heureux aussi, car mon baromètre marque que je suis monté à plus de 2 600 mètres. J’ai battu le record ! Exactement 36 minutes depuis que j’ai quitté la surface de la Terre et à travers la grande tache bleue, qui est déjà mon amie, j’aperçois, à peine, hélas, le palais du Roi-Soleil."

Une feuille au caprice du vent

Début septembre, Jorge apprend qu’il fait partie des cinq candidats retenus pour participer à l’épreuve. Il côtoie un Italien, un Français (Marcel Paillette), un Américain et un Allemand. Le 16 septembre, la course devait être lancée. Mais pas question de s’élancer dans le ciel sans réfléchir. Le vent est trop fort, il fracasserait les fragiles engins. Il faut se résoudre à l’attente. Le samedi 17 septembre, les bourrasques restent trop violentes. Enfin, le dimanche 18 septembre, le temps est idéal pour voler, mais le canton du Valais interdit le survol de son territoire avant 16 heures afin de respecter le repos dominical. Le lundi 19 septembre, la météo n’est pas formidable, mais Chávez, incapable de résister plus longtemps aux fourmis qu’il a dans les jambes, prend le risque de décoller à 6 h 10 du matin. Il est le seul à oser braver les éléments.

Bientôt, il franchit le Simplon en volant à 2 500 mètres d’altitude. Il a la surprise de croiser Nicolas Hulot aux commandes d’un UlLM à la recherche d’une politique verte... Mais rapidement, des vents violents secouent son avion comme un panier à salade, l’obligeant à faire demi-tour. Plus tard, il raconte au commissaire de la course : "Ce vent m’a d’abord jeté quelque 60 mètres plus bas de la hauteur où je me tenais, et je vous avoue que j’ai dû m’accrocher de toutes mes forces au manche pour ne pas me précipiter dans le vide. Ensuite, le courant m’a élevé quelque 100 mètres en me portant vers le pic enneigé du Kaltwasser. À ce moment-là, au milieu d’un tourbillon épouvantable, j’ai perdu le contrôle de l’appareil. Mon Blériot n’était qu’une feuille qui montait et descendait au caprice du vent. Je me croyais perdu. Pourtant, dans un effort désespéré, j’ai réussi à tourner à gauche et à sortir du tourbillon fatal. Le reste, vous le savez."

Coups de marteau

Ce premier essai ne le refroidit pas. Au contraire. Certains de ses adversaires se retirent de la compétition, mais pas lui. Le 23 septembre, il s’élance pour une deuxième tentative malgré l’annonce de vents forts sur le Simplon. Durant les premiers kilomètres, le vol se déroule sans anicroche. Jorge suit les repères colorés disposés sur le sol. Les vraies difficultés commencent quand il s’attaque au col de Furggen. Sur son lit de mort, il a la force de raconter l’épisode à un journaliste : "Tout à coup, je me suis senti pris par le vent. C’étaient de vrais coups de marteau, imprévus, par-ci, par-là, en haut, en bas..,. un enfer. Il me semblait rebondir comme une balle. Je faisais des sauts de 50 à 60 mètres. Ah ! Si le baromètre avait pu enregistrer tout ça, vous verriez quel genre de zigzags je faisais ! Le vent me lançait d’un coup vers la terre, et un instant après, il me prenait une autre fois pour me projeter contre le ciel... C’est là que j’ai fatigué l’appareil. Il me semblait que le vent m’emportait et que l’aéroplane allait soudain m’échapper. Je bougeais les équilibreurs, j’essayais de tourner, de sortir de ces tourbillons. C’était une lutte terrible et obstinée." Une lutte dont le jeune aviateur sort pourtant vainqueur. Après plusieurs autres bagarres contre les éléments, Chávez redescend sur le flanc italien, miraculeusement indemne. Il se laisse glisser jusqu’au village de Domodossola, où il doit poser son Blériot pour refaire le plein.

Il l’a fait ! Il a franchi les Alpes. Plus que 20 mètres avant de poser son monoplan. Il ne peut plus rien arriver. Sur son lit d’agonie, il racontera : "Je descendais très bien, je descendais régulièrement, un peu en vol plané, un peu à l’aide du moteur pour ne pas être entraîné par le vent qui soufflait... Je faisais un atterrissage normal. J’étais presque en train de toucher terre, heureux... Après, je ne sais plus. Je ne me suis pas aperçu de ce qui se passait. J’y pense, mais je ne peux pas me rappeler. Je me vois dans mon appareil, à quelques mètres du sol... et rien de plus." C’est que son Blériot est à bout de force. Les remous aériens l’ont tellement éprouvé que les ailes ne tiennent plus que par miracle à la carlingue. Juste avant d’atterrir, elles rompent ! Les spectateurs voient les ailes se replier d’un seul coup laissant l’avion s’écraser au sol. On se précipite. L’aviateur est prisonnier sous la ferraille, gravement blessé, mais conscient. Il est évacué jusqu’à l’hôpital le plus proche. Les sauveteurs repartent aussi sec à France 2 où un nouvel accident industriel vient de se produire avec une Sophia Aram proche du coma...

On croit que le jeune pilote va s’en tirer car, apparemment, seules ses jambes sont fracturées en plusieurs endroits. Les principaux organes semblent indemnes. Il peut parler, donne des interviews, mais rapidement son état empire sans que les médecins puissent rien y faire. Quatre jours plus tard, le vainqueur des Alpes est mort. Arrêt cardiaque, disent les médecins. Ainsi disparaît un jeune pilote qui a réalisé un des plus beaux exploits de l’aviation. La prochaine fois que vous jetterez un oeil blasé sur les cimes alpines défilant sous votre Airbus, ayez une pensée pour ce casse-cou se battant dans les éléments...
C’est également arrivé un 23 septembre
1970 - Décès du comédien et chanteur Bourvil, victime d’un cancer, à l’âge de 53 ans.

1964 - Présentation du plafond peint de Chagall à l’Opéra de Paris.

1930 - Naissance du chanteur et pianiste américain Ray Charles en Géorgie.

1926 - Naissance du grand saxophoniste de jazz John Coltrane.

1913 - Roland Garros effectue la première traversée de la Méditerranée en avion, en 7 heures et 53 minutes.

1889 - Création de la firme Nintendo qui vend des cartes à jouer japonaises.

1875 - Première arrestation de Billy the Kid.

1870 - Décès de Prosper Mérimée, écrivain, historien, archéologue français, à l’âge de 66 ans.

1848 - L’Américain J. Curtis invente et commercialise le premier chewing-gum, fabriqué à base de résine d’épicéa.

1846 - L’astronome allemand Johann Galle confirme l’existence de la planète Neptune.

63 av. J.-C .- Naissance d’Octave, petit-neveu et fils adoptif de Jules César, il sera l’empereur Auguste, premier


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