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"État islamique" : qui a joué à l’apprenti sorcier ?

mardi 30 septembre 2014

De nombreux pays et hommes politiques ont contribué à la fulgurante montée en puissance de l’organisation en Syrie et en Irak. Explications.

En un temps record, l’organisation État islamique s’est imposée comme la principale menace au Moyen-Orient et dans le monde. Pourtant, peu de gens connaissaient ce groupe djihadiste il y a encore un an. Qui blâmer pour expliquer sa fulgurante montée en puissance ?

George Bush : le grand artisan du délitement de l’Irak. En se débarrassant de Saddam Hussein en 2003 - l’Irak est alors membre de son "axe du Mal", bien qu’il n’ait rien à voir avec les attentats du 11 Septembre -, le président américain fait voler en éclat un pays multi-ethnique qui ne tenait que sous l’emprise sans partage du dictateur sunnite, au pouvoir depuis vingt-quatre ans. D’autant que, loin de proposer un véritable projet politique de gouvernance, George Bush joue la carte confessionnelle : il dissout le parti unique Baas et démantèle les forces de sécurité du pays, majoritairement sunnites, ouvrant la voie à un pouvoir chiite (confession majoritaire en Irak, NDLR). Pour lutter contre l’armée américaine, devenue "force d’occupation", le djihadiste jordanien Abou Mousab al-Zarqawi crée en 2004 al-Qaida en Mésopotamie, un groupe sunnite radical qui n’est autre que l’ancêtre de l’organisation État islamique. Devant la mainmise chiite, les djihadistes étrangers de l’EI sont rejoints par d’anciens généraux baasistes et insurgés sunnites en soif de revanche.

L’Iran : le pompier pyromane de la "crise État islamique". D’un côté, la République islamique apporte sur le terrain une aide cruciale aux autorités irakiennes déliquescentes. Dès le début de l’offensive djihadiste en juin, Téhéran dépêche en Irak ses "Gardiens de la révolution" pour entraîner et armer les milices chiites afin de reconquérir le pays du joug de l’EI. Pour ce faire, elle bénéficie de l’appui aérien de l’aviation américaine, mais également du soutien des combattants kurdes peshmergas, armés par l’Occident. De fait, l’Iran se retrouve propulsé au rang d’allié objectif des États-Unis et de la France dans la lutte contre le "terrorisme". Pour le plus grand plaisir des autorités iraniennes qui, soucieuses de retrouver leur place de "gendarme du Moyen-Orient", ne cessent de répéter la nécessité de s’unir pour combattre ce fléau.

Mais il faut rappeler que l’Iran tient une certaine part de responsabilité dans l’essor de l’EI. Depuis la chute de son pire ennemi - le sunnite laïque Saddam Hussein - en 2003, Téhéran n’a cessé d’user de son influence pour faire tomber l’Irak, majoritairement chiite comme l’Iran, dans son escarcelle. Tout d’abord en finançant, armant et entraînant des milices chiites, mais aussi sunnites, contre les soldats américains. Mais aussi en plaçant des hommes politiques chiites, que l’Iran a accueillis en nombre sous la dictature de Saddam Hussein, au pouvoir à Bagdad.

Nouri al-Maliki, le nouveau Saddam. L’homme politique, qui a vécu de nombreuses années en Iran, accède en 2006 au poste de chef du gouvernement irakien. Sous le contrôle avisé de Téhéran, l’autoritaire Premier ministre mène une politique ouvertement discriminatoire à l’égard de la minorité sunnite, l’écartant peu à peu de toutes les institutions du pays ainsi que de l’armée. Pis, il contribue à sa radicalisation, en choisissant de réprimer dans le sang la vague de contestation pacifique née en décembre 2012. C’est donc en "libérateurs" que les djihadistes de l’EI ont été accueillis par les populations sunnites discriminées en 2014.

L’Iran a appliqué la même politique confessionnelle en Syrie. Dès le début de la révolte démocratique, en mars 2011, Téhéran a envoyé à Damas des Gardiens de la révolution et des armes pour enseigner aux forces de sécurité syrienne l’art de la répression populaire. Hors de question pour la République islamique de lâcher son allié syrien alaouite (une secte issue du chiisme, NDLR) au pouvoir à Damas. À l’automne 2012, Téhéran passe à la vitesse supérieure et envoie le Hezbollah libanais et les milices chiites irakiennes combattre directement en Syrie. Le conflit politique devient religieux. Et fait le lit des combattants sunnites ultra-radicaux de l’organisation État islamique.

L’Arabie saoudite : le pendant sunnite de l’Iran. Dès 2011, le royaume saoud (mais aussi le Qatar et le Koweït, NDLR) s’engage activement dans la lutte anti-Bachar el-Assad. Mais pour des raisons tout autres que celles des manifestants syriens. Son but : reprendre en main la révolte populaire pour éviter que ses aspirations démocratiques n’atteignent le Golfe, mais surtout affaiblir son rival millénaire : l’Iran chiite, à travers son allié syrien. Ainsi, Riyad va fermer les yeux sur le versement de millions de pétrodollars en direction des opposants de Bachar el-Assad les plus radicaux.

Encouragées par l’État saoudien, nombre d’associations caritatives appellent à la "zakat" - la collecte de fonds humanitaires dans le cadre de l’islam - afin de venir en aide aux populations sunnites savamment réprimées par le président syrien. À la manoeuvre, des réseaux de prédicateurs religieux, mais aussi des hommes d’affaires réputés pieux, parfois liés à la vaste famille royale saoudienne. Officiellement, le royaume saoud ne finance que les rebelles "modérés" de l’Armée syrienne libre. Pourtant, des fonds saoudiens se retrouvent également entre les mains du Front islamique (rebelles islamistes), ainsi que les djihadistes d’al-Nosra et de l’organisation État islamique. Jusqu’à ce que la menace se retourne contre eux. Aujourd’hui, les pays du Golfe demeurent parmi les principales cibles de l’EI, en étant considérés comme des régimes corrompus à la botte de l’Occident.

La Turquie : le trouble jeu. Autrefois allié du régime syrien, Ankara a elle aussi rejoint le camp des anti-Bachar el-Assad. Outre leur soutien politique aux rebelles qu’ils ont accueillis sur leur sol, les islamo-conservateurs ont longtemps fermé les yeux sur le passage à la frontière turco-syrienne de nombreux combattants et armes en direction des groupes djihadistes, dont le Front al-Nosra et l’organisation État islamique. Ils le paient aujourd’hui, en devant accueillir sur leur sol des milliers de réfugiés kurdes fuyant les djihadistes de l’EI qui se sont emparés de vastes pans de territoire dans le nord de la Syrie.

Bachar el-Assad : le prophète antiterroriste. Pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte, le président syrien a tout mis en oeuvre pour discréditer la contestation, tout d’abord pacifique, qui s’opposait à lui. Pour réaliser sa prophétie selon laquelle les manifestants démocratiques n’étaient que des terroristes à la solde de l’étranger, le maître de Damas a tout d’abord libéré de prison en mai 2011 des centaines de djihadistes syriens qui avaient combattu les forces américaines en Irak. Des combattants qui ont créé la même année le Front al-Nosra (devenu filiale syrienne d’al-Qaida) et qui ont également rejoint les rangs de l’organisation État islamique, après son arrivée en Syrie en 2013.

Or, à la différence des rebelles modérés qu’il continue à bombarder au quotidien, Bachar el-Assad a relativement épargné les positions djihadistes. Les combattants de l’EI ont même profité du retrait de l’armée syrienne dans l’est du pays pour y établir leur fief, à Raqa. Une curieuse bienveillance, d’autant qu’en s’emparant des régions - riches en hydrocarbure - de Deir Ezzor et de Raqa les djihadistes ont fait main basse sur 60 % du pétrole syrien. Il faudra attendre un an et les premiers bombardements américains en Irak pour que le président syrien se décide à frapper l’EI à son tour. Désormais réhabilité sur la scène internationale, en dépit des dénégations américaines, Bachar el-Assad voit son souhait de s’afficher comme le seul rempart contre le terrorisme en Syrie être exaucé.

Barack Obama : le prix de l’inaction. Élu sur une promesse de ramener ses soldats au pays, le président américain a achevé fin 2011 le départ des dernières troupes d’Irak. Par là même, Barack Obama a rendu les clés du pays à l’autoritaire Premier ministre chiite Nouri al-Maliki, autrement dit à l’Iran. Le désengagement américain au Moyen-Orient est encore plus visible en Syrie. Barack Obama a eu beau soutenir publiquement l’opposition syrienne modérée et lui promettre des livraisons d’armes, les rebelles syriens n’ont rien vu arriver de conséquent sur le terrain.

Au contraire, le président américain, qui avait averti Bachar el-Assad d’une riposte ferme en cas de franchissement de la "ligne rouge" - à savoir l’utilisation d’armes chimiques -, a dramatiquement reculé en décidant de ne pas frapper la Syrie après l’attaque de la Ghouta, en août 2013. Pis, en concluant avec la Russie un accord sur le démantèlement de l’arsenal chimique de Damas en septembre 2013, Barack Obama a sauvé Bachar el-Assad, et signé par la même occasion l’arrêt de mort de l’opposition syrienne modérée. Il le paiera très cher.

Dès lors, le pourrissement du conflit syrien profite à Bachar el-Assad, qui reprend l’avantage militaire sur une rébellion déliquescente, d’autant plus qu’elle est désormais aux prises avec les djihadistes de l’organisation État islamique, qui contrôlent un vaste territoire à cheval sur la Syrie et l’Irak. D’ailleurs, Barack Obama a fait son mea culpa dimanche, en reconnaissant avoir sous-estimé le fait que le chaos en Syrie pourrait fournir un terrain propice à l’émergence de groupes djihadistes aussi dangereux que l’organisation État islamique (EI).


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