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Le Cap gagne son pari, les autres aéroports passeront-ils l’examen ?

vendredi 3 octobre 2014

Le gouvernement, sur son petit nuage après l’inauguration de la destination Miami/Cap-Haïtien par la American Airlines, dont 30 % des passagers vont dans le grand Nord, dépense pour de nouveaux aéroports internationaux..

Il oublie qu’il n’y a pas encore de marché pour l’aéroport Antoine Simon des Cayes ; que l’aéroport international de Jacmel n’a pas décollé des belles maquettes alors que la promotion de Côtes-de-Fer, avec un autre aéroport international, suit son chemin, n’est pas sans dévoiler une faiblesse : celle de la planification du développement touristique.

Le vol AA 1632 de la compagnie American Airlines a atterri comme prévu à l’éroport international Hugo Chavez du Cap-Haïtien dans la journée du 2 octobre 2014. Les travaux pour allonger la piste jusqu’à 2 652 m, rendre le service au sol conforme aux exigences de l’Administration de la sécurité du transport (TSA) des États-Unis ont permis d’ouvrir un peu plus la porte du grand Nord à ses habitants, aux touristes, aux cargos, aux charters médicalisés.

Pour l’économie de la région, c’est une excellente nouvelle. C’est une percée importante achevée après le prêt de 34 millions de dollars américains négocié en 2009 par Haïti auprès de la Banque de développement économique du Venezuela (Bandes), une vague sur laquelle le président Michel Joseph Martelly, t-shirt mauve floqué du slogan « Cap-Haïtien is open for business », surfe. Son administration, selon le principe de continuité de l’État, ramasse les dividendes politiques de l’inauguration de cette destination Miami-Cap-Haïtien.

« Ce n’est pas seulement un avion qui a atterri. C’est une porte qui est ouverte sur le développement du grand Nord », a posté le président Michel Joseph Martelly sur son compte twitter, avant de partager des photos de lui suivi par une foule immense. Les nordistes ont attendu ce jour pendant au moins un quart de siècle. « Chose promise, chose due », a rappelé Martelly. Le chef de l’Etat, qui a tenu ses engagements et fait entrer la vieille dame de Dallas sur les terres de Christophe, quelques jours après une manifestation de ses opposants réclamant son départ du pouvoir, a de quoi pavoiser.

« C’est un grand jour pour les nordistes. Etre capable d’aller aux États-Unis, au pays où l’on parle la langue de Shakespeare, sans passer par Port-au-Prince ! », s’est exclamée la voix cassée de Dieudonne Etienne Luma, directrice départementale Nord du tourisme. « That was a dream devenu réalité Tèt kale », a-t-elle poursuivi, « contente comme tous les gens du Nord par rapport à ce progrès ».

Non accessoire la logique économique

Pour la American Airlines, c’est d’abord la logique économique qui a dicté la création de la destination Miami/Cap-Haïtien. Quelque 30 % de ses clients sont originaires des départements du grand Nord. La compagnie, détentrice aujourd’hui d’environ 50 % du marché en Haïti contre 80 % il y a quelques années, avant l’arrivée d’autres compétitrices comme Delta, Jet Blue, se devait d’être proactive, a expliqué en off un spécialiste du secteur, favorable à la compétition entre toutes les lignes aériennes autant sur Port-au-Prince que sur Cap-Haïtien. Américan perd du terrain dans toute la région, elle tient à Haïti.

American Airlines a maintenu ses cinq vols sur Toussaint Louverture. Trois sur Miami, un sur Fort Lauderdale et celui de New York. « On va voir ce que cela va donner à l’avenir », a indiqué ce spécialiste qui croit dans le potentiel du transport aérien. « En 2013, l’aéroport Toussaint Louverture a accueilli 1,2 million de voyageurs. Pour cette année, les indicateurs montrent que le nombre de voyageurs peut augmenter, notamment grâce au carnaval des Fleurs, une initiative ayant quelques retombées positives », a-t-il dit avant de tacler, d’un autre côté, l’administration Martelly-Lamothe.

Gaspillage ! Oh que non

« C’est de l’argent gaspillé que de construire un aéroport international aux Cayes où même le transport domestique était un échec », a affirmé ce spécialiste, arc-bouté à la logique économique. « Nous ne saurons pas s’il y a la demande sans l’offre », a rétorqué Valéry Numa, journaliste vedette de Vision 2000, opérateur touristique et propriétaire de l’hôtel Le Recul à Camp-Perrin, dans le Sud d’Haïti. Avec l’aéroport Antoine Simon, « le Sud sera une destination renforcée », a assuré Valéry Numa qui reconnaît les désavantages comparatifs observés entre la connexion aérienne et terrestre entre Cayes et Port-au-Prince. La route est moins chère. Par la route, l’usager paye 160 dollars haïtiens contre 160 US en avion, a-t-il dit.

Loin du débat contradictoire sur l’efficience des investissements publics de l’ordre de 55 millions de dollars US environ dans l’agrandissement de l’aéroport Antoine Simon, Ronald Décembre, secrétaire d’État aux Finances, a révélé que la « firme Estrella a commencé les travaux ». « Le chantier avance », a renchéri Décembre, révélant que l’État haïtien a déjà versé 310 millions de gourdes de dédommagements dans l’opération d’expropriation. « Il y a quatre blocs ; on a presque terminé avec le bloc b », a expliqué le secrétaire d’État aux Finances.

Avions pour éléphants blancs

Si l’État investit de l’argent dans l’aéroport des Cayes qui risque d’avoir des éléphants blancs comme passagers, pour celui de Jacmel, quasi désert, sans trafic véritable, il se rend à l’évidence. Silencieusement. Le projet de faire de l’aéroport de Jacmel un aéroport international n’a pas décollé des maquettes du ministère du Tourisme. « Jusqu’à présent, le projet reste pendant », s’est désolé le sénateur Edwin Daniel Zenny, président de la commission Tourisme au Sénat de la République.

Le sénateur a déploré le « tâtonnement » du gouvernement, obligé de construire des infrastructures parfois sans une vision globale de développement. En revanche, le sénateur Zenny soutient le projet de développement touristique de Côtes-de-Fer dans lequel est prévue la construction d’un autre aéroport international et de 4 000 chambres d’hôtel.

Le paquet sur Côtes-de-Fer

La première phase de ce projet comprenant quatre hôtels et l’aéroport pourrait ouvrir en 2017. La ministre du Tourisme, Stéphanie B Villedrouin, citée dans un article de Craig Karmin de Wall Street Journal, a estimé à 350 millions de dollars US le montant des investissements privés nécessaires pour donner corps à ce projet. Engagée dans la promotion de ce projet, la ministre du Tourisme, qui promet 15 ans d’exonération de taxes et d’autres incitatifs aux investisseurs ne se défait pas de ce message : « Nous leur disons qu’il y a une opportunité extraordinaire d’ouvrir une nouvelle destination dans la Caraïbe. »

Selon Mme Villedrouin, citée par WSJ, l’État haïtien a obtenu de solides engagements notamment de Grupo Puntacana. Cette entreprise dominicaine ayant accepté d’investir des montants illimités a également accepté de construire et de gérer l’aéroport international de Côtes-de-Fer, a expliqué la ministre du Tourisme, Stéphanie Balmir Villedrouin.

Un porte-parole du Grupo PuntaCana a indiqué que la compagnie qui travaille avec le gouvernement haïtien a “investi dans la planification, la conception et les études nécessaires pour le développement de cette nouvelle destination ».

La BID a accepté de dépenser 36 millions de dollars, réhabiliter des cascades, des grottes et autres endroits dans les parages de ce village touristique à Côtes-de-Fer, ville entre la plage et la montagne. Malgré le scepticisme de certains, effrayés par la vitalité de l’industrie touristique dominicaine, d’autres croient à l’impossible. « Avec du courage et de l’intelligence », a insisté ce spécialiste du secteur qui déplore « un grand cafouillage ».

Simple logique

« Quelle est la logique d’avoir un aéroport international aux Cayes, un à Côtes-de-Fer, un à Jacmel, un à l’Ile-à-Vache ? », a-t-il dit en mettant le doigt sur un déficit en termes de planification. Un aéroport régional à Aquin, presque au milieu du grand Sud, pourrait amener des touristes dans les enclaves touristiques du grand Sud comme Côtes-de-Fer, Ile-à-Vache, les Cayes et dans les autres sites dans des petits avions ou en véhicules une fois qu’ils seraient sortis de terre, a-t-il expliqué, rappelant les trois variables importantes à prendre en compte quand on fait des investissements aéroportuaires. « Il faut s’assurer de la présence du marché ethnique. Les gens qui voyagent, utilisent les avions pour venir voir leurs parents. Les hommes et les femmes d’affaires. Ils peuvent être des investisseurs, des commerçants ou des humanitaires et le plus important, la représentation touristique », a-t-il détaillé.

Ce spécialiste, qui a mis en avant les déficits d’Haïti, croit toutefois dans le potentiel du tourisme d’enclave. Punta Cana, un projet fou à ses débuts, donne des leçons aujourd’hui à tout le monde. La prise de risque était élevée mais aujourd’hui, les perturbations politiques et sociales qui atteignent Santo Domingo n’atteignent pas Punta Cana, lieu qui dispose aujourd’hui de la plus importante plateforme aéroportuaire en République dominicaine.

Pour Haïti, dans ce contexte d’euphorie après l’inauguration de la destination Miami-Cap-Haïtien, des projets d’avoir un aéroport international dans chaque quartier, il est bon de se rappeler que c’est le marché, le potentiel, le nombre de passagers qui déterminent la création d’une destination, a souligné ce spécialiste qui rapelle l’importance de cet aéroport. L’aéroport du Cap-Haïtien, construit en 1952, reçoit depuis plus de 20 ans des vols internationaux. Les connexions avec Fort Lauderdale en Floride, Turks and Caicos, la République dominicaine sont effectués depuis un bail pour desservir un bassin important de gens originaires du Nord dans la diaspora. La viabilité de l’aéroport international du Cap-Haïtien rebaptisé Hugo Chavez dépend de son passé et de son avenir. Le Parc national historique avec les palais Sans-souci, Ramier et la Citadelle, patrimoine culturel de l’humanité, est à une vingtaine de minutes en véhicule de l’aéroport. A quelques minutes à vol d’oiseau, on arrive à Labadee, une enclave, l’une des destinations de la Royal Carribean Cruise line visité par de nombreux croisiéristes. Et le Parc industriel de Caracol n’est pas loin

Roberson Alphonse
robersonalphonse@lenouvelliste.com


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