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Sida : en Afrique, la capote au revers du veston des policiers pour favoriser la prévention

samedi 4 octobre 2014

Dans son uniforme d’apparat bleu marine constellé de décorations, le chief superintendent Jones Blantari – au grade équivalent à commissaire divisionnaire en France – avait fière allure, mardi 22 juillet, à la 20e conférence internationale sur le sida, à Melbourne. Avec vingt ans de carrière dans la police, il n’est pas là pour vanter le nombre d’arrestations réalisées dans son pays mais pour parler de son expérience à la tête du Programme de contrôle du sida des services de police du Ghana, déjà suivi par 2 000 policiers.

Difficile d’imaginer un équivalent en France. A ses côtés, en uniforme vert olive, le lieutenant-colonel Lam Tien Dung, de l’Académie de police du Vietnam, explique que « les approches de réduction des risques pour la prévention du VIH parmi les travailleurs du sexe et les usagers de drogues ont été scientifiquement démontrées par les experts de santé publique, mais elles ne peuvent être couronnées de succès sans la participation des forces de l’ordre. Ces personnes, que nous avions l’habitude de considérer comme des cibles, nous les voyons à présent comme des partenaires. En travaillant avec les experts pour développer des pratiques policières fondées sur la santé publique et les droits de l’homme, nous pouvons aider à contrôler la propagation du VIH parmi ces groupes et dans la population générale ».

STIGMATISATION DES PERSONNES VULNÉRABLES

En effet, le rapport « To Protect and Serve » (« protéger et servir », la devise de nombreuses polices) des Fondations Open Society rendu public pendant la conférence de Melbourne, illustre bien les conséquences du harcèlement auquel se livrent les forces de l’ordre. Que ce soit en Russie, au Zimbabwe ou aux Etats-Unis, être en possession de préservatifs est utilisé comme la preuve qu’on se livre à la prostitution. Chercher à se procurer des seringues stériles en pharmacie ou dans un centre de santé en Chine, au Vietnam, en Birmanie ou en Russie peut valoir des ennuis avec la police, voire la prison.

Dans ces conditions, dans de nombreux pays, les populations vulnérables rechignent à s’adresser à des services médicaux ou sociaux, autant d’obstacle à la prévention de l’infection par le VIH ou la prise en charge des personnes vivant avec le virus. Les policiers présents à la conférence, avec deux collègues kenyan et thaïlandais, démontrent que les idées et les pratiques ont parfois davantage progressé dans des pays en développement que dans les pays développés. Le parcours de Jones Blantari et les exemples qu’il cite sont édifiants.

« Je considère une personne qui fait commerce du sexe comme n’importe quel autre être humain qu’il m’a été demandé de protéger en tant que policier. Chaque individu doit être protégé quel que soit son travail », affirme-t-il. Titulaire d’un master en santé publique, Jones Blantari a réalisé en 2010 que la police devait jouer un rôle positif dans la réponse au VIH et non avoir à l’égard des populations vulnérables des pratiques qui favorisent la pandémie.

UN PROGRAMME DE FORMATION DES POLICIERS

En 2013, le Ghana comptait 190 000 personnes infectées par le VIH : 11 % des prostituées et 17 % des hommes ayant des rapports homosexuels vivaient avec ce virus. Le projet de recherche dans cinq régions du Ghana, que Jones Blantari avait mené avec Esi Awotwi du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), avait mis en évidence qu’un tiers des personnes se livrant à la prostitution avaient été contraintes à des rapports sexuels avec un policier.

Dans une enquête de 2008, 15 % des 250 policiers interrogés reconnaissaient s’en être pris à des travailleuses du sexe et les avoir forcées à des rapports sexuels en échange de leur liberté. Il en a tiré la conclusion qu’en appliquant la loi autrement que par la seule répression, il était possible de réduire le nombre des infections. « Avec Esi Awotwi, je suis allé voir le plus haut gradé de la hiérarchie de la police pour lui proposer de faire évoluer les pratiques policières. Je lui ai expliqué que la police pourrait avoir ainsi un impact positif pour l’ensemble de la population et que si elle ne faisait rien pour changer, son image se dégraderait. Il m’a donné son accord pour développer un programme de formation et de sensibilisation des personnels. »

La police ghanéenne avait déjà mis en place des services de tests, de conseil, de formation et de traitement contre le VIH pour les policiers en uniforme. Bénéficiant d’un soutien financier des Etats-Unis, le programme national de contrôle du sida de la police ghanéenne a été déployé à l’échelle nationale. « Nous avons commencé par 300 policiers des quatre régions ayant le plus de prostituées, puis 500 nouvelles recrues ont suivi une formation intégrant cette nouvelle approche, désormais obligatoire pour tous. Il est crucial de les faire adopter par ceux qui sont au contact des populations clés. S’ils parviennent à les atteindre, la moitié du travail est fait », assure Jones Blantari.

PORTER DE MANIÈRE VISIBLE DES PRÉSERVATIFS

Exemple concret des attitudes prônées par le programme : les policiers en uniforme portent de manière visible un préservatif dans son étui. « Un policier qui arbore un préservatif sera moins enclin à harceler quelqu’un qui en porte plusieurs sur lui ou sur elle en l’accusant de se prostituer, affirme avec conviction le chief superintendent. D’ailleurs, j’ai toujours le mien sur moi ! », avoue-t-il, joignant le geste à la parole pour l’exhiber.

L’exemple du Ghana n’est pas isolé. Plus de 800 policiers débutants ont eu quarante-six heures de cours sur la réduction des risques, la prostitution et le VIH à l’Académie de police du Kirghizistan. Plus de 600 policiers kenyans ont été formés aux questions de droits humains, de santé et de pratiques appropriées. L’ensemble des recrues des forces de l’ordre australiennes a suivi une formation sur la réduction des risques. Aux Etats-Unis, la police de Seattle (Etat de Washington) a adopté un programme que son ancien chef, Jim Pugel, a évoqué à Melbourne.

« Après des années de travail en solo, nous nous sommes réunis avec des acteurs sociaux et sanitaires pour constater que la police n’aidait pas les populations marginalisées et que les stratégies fondées sur la seule condition de l’abstinence ne marchent pas. Parmi les nouvelles dispositions, si un policier découvre que quelqu’un est en possession de drogue à usage personnel ou bien ne deale que des petites quantités, il lui propose, comme alternative à une arrestation, d’être confié à un travailleur social », décrit Jim Pugel. Les hommes politiques semblent lents à prendre ce tournant reconnaît-il, mais les polices de Santa Fe (Nouveau-Mexique) et Albany (New York) ont demandé à leurs collègues de Seattle de les aider à mettre sur pied des programmes analogues.

En Europe, le mouvement est plus lent, malgré les conclusions favorables à ces orientations du rapport de 2012 de la Commission mondiale sur le VIH et le droit, mise sur pied par les Nations unies à la demande d’Onusida. Cependant, un sommet européen sur le thème « Police et VIH » est prévu du 4 au 8 octobre à Amsterdam à l’initiative du Réseau Forces de l’ordre et VIH.


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