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Duvalier, de surprise en surprise, de sa vie à sa mort

dimanche 5 octobre 2014

Désigné à 19 ans successeur du président à vie François Duvalier, son père, en janvier 1971, au détriment des caciques du régime ; intronisé président à vie en avril 1971 à la mort de Papa Doc ; resté au pouvoir pendant 15 ans contre tous les pronostics ; marié contre toute attente à une femme divorcée de l’élite mulâtre en dépit du noirisme déclaré de son camp politique ; parti en exil en février 1986 alors qu’il disait une semaine avant qu’il ne bougerait pas parce que « raide comme la queue d’un singe » ; revenu au pays sans annonce préalable en janvier 2011 ; Jean- Claude Duvalier, décédé ce samedi, a passé sa vie à prendre les Haïtiens par surprise.–

C’est avec un sentiment de surprise que les Haïtiens ont appris la mort à 63 ans de l’ancien président à vie de la République Jean- Claude Duvalier (3 juillet 1951- 4 octobre 2014), samedi matin, 4 octobre 2014, selon les premières réactions recueillies quelques minutes après que la nouvelle a été partagée sur les réseaux sociaux.

Personne ne savait Duvalier à l’article de la mort. La silhouette singulière de l’ancien dictateur était familière, la veille encore, dans les rues de Pétion-Ville, commune huppée sur les hauteurs de Port-au-Prince. Il vivait dans cette banlieue de la capitale, passant de domicile en domicile, depuis son retour d’exil en janvier 2011.

« L’ancien président est mort subitement d’une crise cardiaque », a confirmé au Nouvelliste, vers 11 heures du matin samedi, la ministre de la Santé publique et de la Population, le docteur Florence Guillaume.

Quelques heures plus tôt, la ministre avait été informée que la famille et les amis de Jean-Claude Duvalier tentaient de disposer d’un hélicoptère, du tout nouveau service d’ambulance héliporté mis en place par l’administration Martelly, pour transporter l’ancien président à l’hôpital après un malaise.

Si depuis son retour, visiblement, Jean-Claude Duvalier avait changé physiquement, après 25 ans passés en exil, ses détracteurs soulignaient que sa posture d’homme malade était pour lui éviter la prison et les poursuites. Ces amis et ceux qui l’avaient rencontré confirmaient au contraire que la santé du fils de Papa Doc, le sanglant dictateur qui lui avait transmis le pouvoir, était bel et bien précaire.
Au fil des mois, après son retour surprise en janvier 2011, le débat s’était tu. Jean-Claude Duvalier, après quelques sorties remarquées et des auditions au tribunal, menait une vie tranquille de rentier de la politique.

« Souvent, on le voyait, seul au volant de sa voiture, la vitre baissée, sur les routes. En chemises pâles aux manches longues, veste sombre ou sans cravate, il avait le cou raide et parlait peu », a confié au Nouvelliste un socialite qui avait l’habitude de croiser l’ex-président dans les meilleurs restaurants de Pétion-Ville.

L’ancien président a toujours aimé la bonne chère. Il ne se privait pas de faire table garnie dans les bonnes adresses. Il enfilait les sorties mondaines. Enterrements, festival de jazz, matchs de la Coupe du monde sur grand écran, silencieusement, il s’imposait. Attirait les regards, embrassés ou admiratifs, de l’assistance dans les lieux publics.

« C’est Jean-Claude », disait-on tout bas sur son passage. Jean-Claude, le prénom qu’il avait su se faire dans les belles années de sa présidence. L’appeler Duvalier, Baby Doc ou le dictateur viendra après, plus tard, vers la fin de son règne ou hors d’Haïti.

Si tous les Haïtiens savaient de qui il tenait et les exactions du régime des Duvalier, aucun incident notable n’a marqué sa présence en Haïti depuis 2011. Il y a eu des protestations quand Michel Martelly s’est mis à l’inviter aux cérémonies officielles. Pas plus.

Grâce à la retenue, à l’amitié ou à la sympathie que lui vouaient les présidents René Préval et Michel Martelly, Jean-Claude Duvalier a pu, de 2011 à sa mort, vaquer à ses occupations, récupérer des biens de sa famille, accéder aux privilèges dus à un ancien président d’Haïti.

Dans un communiqué quelques heures après l’annonce du décès de Jean-Claude Duvalier, la présidence haïtienne a fait part de la tristesse du président Michel Martelly.

Le président lui-même, sur son compte Twitter, avait indiqué qu’ « en dépit de nos querelles et divergences, saluons le départ d’un authentique fils d’Haïti », avant de lancer un appel pour dire que « l’amour et la réconciliation doivent toujours vaincre nos querelles intestines. »

Avec, cette sortie publique, le président de la République, qui n’a jamais caché son désir de réconciliation avec ses prédécesseurs et son estime pour le régime des Duvalier, donne le ton. Pour l’instant, on ignore si des funérailles nationales ou officielles seront accordées à l’ancien homme fort.

Dans un communiqué laconique, la Représentante du Secrétaire général des Nations Unies en Haïti, Sandra Honoré, a dit avoir appris aujourd’hui le décès de Jean-Claude Duvalier, 41e président de la République d’Haïti.

"Mes pensées vont en ce moment au peuple haïtien. Le retour de l’ancien président en 2011 présentait une opportunité pour le pays d’adresser pleinement la mémoire douloureuse de son passé récent à travers les processus de lutte contre l’impunité et de réconciliation de la nation ; leur poursuite doit continuer", a indiqué Sandra Honoré.

Les termes pesés de la déclaration de Mme Honoré dénotent l’embarras de la communauté internationale à chaque fois qu’il s’agit de Jean-Claude Duvalier. Le dictateur a toujours été un allié fidèle des puissants amis d’Haïti et s’est toujours accommodé de leurs exigences. Ils le lui ont toujours bien rendu.

Un cinéaste haïtien a écrit samedi sur Twitter : « Le président à vie est mort à vie ». Son régime avec lui. Sans doute.

Comme lors de son retour en 2011, la mort de Jean-Claude Duvalier prend tout le monde par surprise et hypothèque les poursuites judiciaires qui n’ont, sans surprise, jamais abouti contre Jean-Claude Duvalier et consorts.

Frantz Duval duval@lenouvelliste.com Twitter :@Frantzduval


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