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Jerry Tardieu, optimiste, investit et s’investit en Haïti

jeudi 9 octobre 2014

Jerry Tardieu, président du Conseil de développement économique et social (CDES), signe ce jeudi son ouvrage intitulé « Investir et s’investir en Haïti, un acte de foi ». En toute franchise, le président-directeur général de l’hôtel Royal Oasis a livré ses impressions sur la situation du pays et répondu aux remarques émises sur son livre-entretien. Se présentant comme un optimiste, il dit préférer encourager ce qui se fait de bien plutôt que de critiquer ce qui tarde à venir, une positivité que l’on découvre dans tous ses écrits.

Le Nouvelliste (LN) : Jerry Tardieu vous venez de publier aux éditions CIDIHCA « Investir et s’investir en Haïti, un acte de foi ». De quoi parle cet ouvrage ?

Jerry Tardieu (TJ) : Par hasard, un samedi matin, à l’hôtel Royal Oasis, j’ai rencontré le journaliste Pierre-Raymond Dumas. Après une discussion à bâtons rompus sur le besoin d’investissements privés massifs en Haïti, celui-ci m’a convaincu d’écrire un livre sur mon expérience en tant qu’investisseur haïtien et notamment en tant que promoteur du projet Royal Oasis.

LN : S’il fallait avec vos mots, résumer ce livre, le projet qu’il porte, vous diriez quoi ?

JT : D’abord sur le format, laissez-moi préciser qu’il s’agit d’un livre-entretien. Je réponds donc à des questions posées par un journaliste sur un ensemble de thèmes variés qu’il a lui-même choisis. Dans la première partie du livre, les questions touchent à mon expérience d’entrepreneur, de promoteur, à ma trajectoire académique et personnelle. Dans la deuxième partie du livre, elles touchent à des sujets aussi variés que la MINUSTHA, les ONG, le concept de la diplomatie des affaires, les relations haïtiano-dominicaines, le secteur privé haïtien, le CARICOM… J’ai voulu que ce livre soit de lecture facile et à la portée d’un vaste public. Il contient des informations pouvant être utiles aux chercheurs, aux étudiants, aux universitaires intéressés par la question haïtienne.

LN : Certaines de vos réponses dans ce livre-entretien avec le journaliste senior Pierre- Raymond Dumas permettent d’esquisser de vous le portrait d’un homme de consensus, d’ouverture et surtout de « réforme ». Depuis 1986, dans cette longue transition, les crises sans solution ont foisonné en Haïti. Est-ce à dire qu’il nous manque sur la scène politique ou même nationale des hommes et des femmes d’ouverture au timon des affaires ?

JT : Y a-t-il eu vraiment en Haïti des crises sans solution ?

Non je ne le pense pas. Peut-être des crises non résolues ! Vous savez, en Haïti, il n’y a pas vraiment de clivages idéologiques justifiant cette guerre sans merci que se livrent les acteurs politiques.

À cet égard d’ailleurs, on ne peut taire les efforts du président Martelly en faveur d’un dialogue et d’une paix sociale. Il mérite à mon sens un satisfecit sans réserve.

Je me réjouis de la ténacité du président à dialoguer avec les forces politiques et organisées de la nation pour obtenir une solution consensuelle à la crise préélectorale malgré les concessions qu’il a déjà faites. En bout de ligne, espérons que les acteurs concernés trouveront un consensus pour nous mener vers les élections dans les meilleurs délais.

LN : Jerry Tardieu « le technocrate réformateur ». Ce label vous honore-t-il ou est-ce, à votre gout, un peu trop caricatural ?

JT : Non, j’espère ne pas être seulement un technocrate (sourires). Je pense avoir un côté moins stéréotypé, plus sympathique. J’aime les contacts humains. J’ai toujours consacré beaucoup de mon temps à la vie associative, académique, citoyenne, intellectuelle, sociale.

LN : Le très respecté Henri Bazin qui a préfacé votre livre est très élogieux envers vous. Cependant, il relève des « omissions ou une absence de nuances ». « Le phénomène de corruption qui gangrène l’appareil d’Etat n’a été ni exploré, ni analysé tel qu’on l’aurait souhaité, ou encore que la question vitale, essentielle pour l’économie haïtienne, présente et à venir, celle de l’emploi, n’a pas reçu tout l’éclairage mérité ». Que répondez-vous à ces remarques ?

JT J’ai été très touché par la préface d’Henri Bazin et des qualités qu’il me prête. Il est un des modèles de notre société et je lui concède volontiers ces quelques critiques. Le phénomène de la corruption, auquel fait référence Monsieur Bazin, reste en ligne de mire malgré, il faut le dire, des poussées positives récentes, déployées courageusement par l’équipe au pouvoir pour en atténuer l’ampleur. Tant à la PNH qu’à l’ULCC, l’UCREF ou même la brigade anti contrebande de l’AGD, il est à noter que des moyens importants leur ont été alloués. Cela devrait permettre à ces entités de faire leur travail avec encore plus d’efficacité.

LN : La politique de l’emploi à court, moyen et long terme, la construction d’un véritable partenariat entre l’Etat et le secteur privé, l’élargissement de l’assiette fiscale, sur Petro Caribe, les plans spéciaux du gouvernement, l’élaboration d’une authentique stratégie de développement et d’un véritable plan national de développement « n’ont malheureusement pas pu être abordés de front », a aussi observé Henri Bazin. Pourquoi ? Est-ce une difficulté liée à la collaboration que vous offrez à l’actuelle administration ?

JT : Tout au long du livre, je me suis contenté de répondre aux questions de Pierre-Raymond Dumas. Je l’ai fait sans langue de bois. Très franchement, il aurait été impossible de toucher à tous les sujets dans un seul ouvrage.

LN : Est-ce par stratégie politique ?

JT Pas du tout ! Il n’y a pas de stratégie politique derrière un ouvrage-entretien où je réponds en toute liberté aux questions posées tous azimuts. J’interviens très rarement dans la presse. Et quand je le fais, j’essaie toujours d’apporter un discours optimiste, une emphase prometteuse sur l’avenir. Je n’aime pas l’auto-flagellation et je préfère encourager ce qui se fait de bien plutôt de critiquer ce qui tarde à venir. Cela vient de mon essence même. A 47 ans, peut-on vraiment changer ? Revisitez mes ouvrages à travers le temps, et vous les verrez toujours empreints du sceau de la positivité sans pour cela verser dans un angélisme béat.

LN Ce n’est pas votre premier livre ; vous persévérez dans l’analyse du fait économique alors que l’on vous voit surtout comme homme d’affaires, comme membre du CDES. A quoi cela sert d’écrire, de réfléchir sur le global quand on a une action concrète dans le milieu ?

JT : L’un n’exclut pas l’autre. L’écriture est ma passion et je m’exprime sans idées préconçues. Elle me permet de partager mes observations et de susciter des débats d’idées.

LN : La publication d’un livre est souvent l’annonce d’une marche vers un autre but. Jerry Tardieu, « Investir et s’investir en Haïti, un acte de foi », s’inscrit-il dans cette logique ? Que visez-vous vraiment avec cette publication ?

JT : J’ai publié mon premier livre à 22 ans. J’en ai publié à travers le temps et les conjonctures. Je continuerai à écrire tant que Dieu m’accordera un souffle de vie. C’est ma façon à moi de contribuer à la vie académique, politique, sociale et économique de mon pays. Je rencontre à longueur de journée des professionnels qui me disent avoir consulté mes écrits dans le cadre de la rédaction de leurs travaux universitaires. C’est une grande satisfaction pour moi. J’estime pour ma part qu’une vie bien remplie pour un entrepreneur est une vie où l’on offre quelque chose de positif à la collectivité.

LN : Vous êtes un ami du président Michel Martelly. On vous voit souvent avec le Premier ministre Laurent Lamothe. Ce livre sera utile pour affiner les actions de l’administration au pouvoir aujourd’hui ou permettra-t-il de débroussailler la campagne électorale qui s’annonce ?

JT : Je connais le président Michel Martelly depuis très longtemps, depuis ma prime jeunesse du temps ou mon frère Patrick et moi, alors adolescents, passions avec lui nos vacances estivales à Kenskoff.
J’ai appris à connaître Laurent Lamothe plus récemment en collaborant institutionnellement à des projets communs entre le PACEJI et la CCIH. Quand il a fait choix de moi pour présider le Conseil de développement Economique et social (CDES), j’ai répondu positivement. Et j’espère avoir donné le meilleur de moi-même à la tête de cette entité qui a traité pour l’État de grands dossiers d’orientation stratégique et de politique publique dont la sécurité alimentaire et nutritionnelle, le développement du secteur minier d’Haïti, la gestion du phénomène migratoire, le développement des arts et des métiers, le système financier haïtien, la modernisation social…

Cependant, ce ne sont pas mes relations personnelles avec le président et le Premier ministre qui me portent à apprécier leur politique publique.

Dans mon livre « L’avenir en face », publié en 2005, j’écrivais qu’il fallait d’autres paradigmes pour faire bouger la société. Or justement, dans le duo Martelly-Lamothe, l’un a fait bouger les paradigmes, et l’autre a fait émerger une nouvelle manière de gouverner. On peut être d’accord ou pas, mais la réalité, c’est qu’ils ont secoué le système, ce qui était selon moi nécessaire. Ils font preuve d’une énergie et d’une volonté inédites en Haïti. Ils ont insufflé un rythme, un souffle nouveau qui manquait à la vie politique haïtienne généralement moribonde.

LN : Quelles sont les réalisations à mettre à leur actif ?

JT : Il y en a plusieurs. Je retiens par exemple le PSUGO en dépit de ses faiblesses connues. Les bâtiments publics détruits par le séisme du 12 janvier surgissent de terre. On constate la construction de routes, ponts, stades, hôpitaux, parcs, lycées et autres infrastructures à l’échelle nationale.

Je reste très optimiste, car j’y vois des ingrédients pouvant contribuer à une croissance économique et un apaisement social. Mais n’oublions pas que l’œuvre de refondation d’Haïti est une entreprise à long terme, un projet de plusieurs générations. L’essentiel est de savoir que l’on s’engage sur la bonne voie.

D’un point de vue sécuritaire, il y a également de bonnes avancées à encourager.

LN : Comment mesurez vous les avancées sécuritaires dont vous parlez ? Datent elles des trois dernières années ?

JT : Force est de constater que, depuis environ une décennie, Haïti vit une relative stabilité. En effet, le quinquennat du président René Préval a été réussi puisqu’il était celui de la transition qu’il nous fallait pour rompre avec le désordre institutionnalisé, l’insécurité généralisée et le règne des gangs qui ont caractérisé la vie nationale de 2002 à 2006. Au-delà du tremblement de terre et de son lot d’incidences malheureuses, la présidence de Préval et des gouvernements successifs de Jacques-Edouard Alexis, Michèle Pierre-Louis et Jean-Max Bellerive peuvent être crédités de bonnes notes dans le domaine de la sécurité et de la stabilité. Celui de Laurent Lamothe également en vertu même des moyens sans précédent mis à la disposition de la Police nationale d’Haïti et des résultats obtenus.

Cette donne est importante et mérite d’être constamment soulignée. Ne souffrons pas d’amnésie. En Janvier 2003, il y a une décennie environ, Haïti était un pays désemparé comme un bateau démâté. Un président légitimement élu mais décrié, jouissant d’immenses pouvoirs mais qu’il ne pouvait pas exercer. Des élus contestés. Une guérilla armée occupant une grande partie du territoire. Une opposition seulement unie par le désir de renverser le pouvoir en place mais sans alternative constructive et viable. Des commissariats qui brûlaient. Une presse sous pression. Des manifestations de rue quotidiennes. Des assassinats spectaculaires. Une économie en lambeaux. Un exode de cadres sans précédent. Un nombre record d’enlèvements. En somme, Haïti donnait l’image d’un pays en guerre contre lui-même au moment où d’autres commençaient un nouveau siècle. Nous avons la mémoire trop courte !

Entre 2004 et 2006, sous la coupe du tandem Alexandre-Latortue, on parlait encore de démocratie quand nos institutions ne reflétaient plus qu’imparfaitement l’idée même de responsabilité gouvernementale. Il existait toujours des zones de non droit (contrôlées par des gangs), et certaines voix dénonçaient des emprisonnements politiques.

Avec le quinquennat de René Préval, contrarié par le séisme du 12 janvier 2010, nous avons fait une grande avancée amplifiée par la présidence de Michel Joseph Martelly définitivement marquée du sceau de la sécurité et de la stabilité.

Au regard de ces dix dernières années, nous sommes donc bien partis, hormis le fait que nous avons trop souvent raté les délais impartis pour la réalisation d’élections municipales et législatives. Il nous faut maintenant profiter des acquis sécuritaires et démocratiques des quinquennats de Préval et Martelly pour sortir véritablement de la transition politique et réussir le développement économique.

LN : Dans votre communauté, vous vous impliquez beaucoup. Jerry Tardieu c’est l’homme affable, de bon commerce, ouvert, c’est le footballeur. Sans complexe vous vivez vos rêves, vos projets. Pas en solitaire si l’on se réfère à votre discours lors de l’inauguration de Royal Oasis. Vous vous proposez comme un modèle dans la cité ?

JT : Non, je suis quand même plus modeste. Ce serait prétentieux et même arrogant de ma part de le penser. J’essaie simplement de vivre ma vie pleinement en ayant comme guide certains principes, en essayant de donner le meilleur de moi-même à ma famille, à mes entreprises, à mes amis, à mes alliés, à mes employés, à la communauté de Pétion-Ville où je vis et m’investis beaucoup dans le social depuis longtemps. Si les jeunes de la commune de Pétion-Ville trouvent en moi des qualités qui peuvent faire de moi un modèle à leurs yeux, j’en suis honoré. C’est à eux de juger (sourires)

LN : Vous démontrez qu’il faut être décomplexé par rapport à l’implication en politique. Si cette lecture est correcte, en assumant ce message en faveur de la participation à la chose publique, pour que les autres ne décident plus à notre place, vous attendez quoi en terme de feed-back ?

JT : Je dis toujours aux éternels sceptiques qui critiquent à tour de bras dans les salons, loin de l’action et des réalités, que c’est une posture trop facile. Chez nous, il faut plus de citoyens à s’investir dans la vie politique, civique et associative. Quand on veut aider à changer les choses, on s’implique. C’est ainsi d’ailleurs qu’on gagne son droit de gueule. Pardonnez la vulgarité de mes propos (sourire).

LN : Jerry Tardieu, c’est aussi le membre fondateur du KAP. Au regard de ce qui est dit, est-ce l’aventure d’un homme, d’un groupe d’hommes ou d’un projet de réforme dans ce pays rétif aux changements ?

JT : Ce n’est certainement pas l’aventure d’un homme. Au contraire
Le KAP (kolectif Abitan Petyonvil) est une organisation citoyenne formée de résidents de Pétion-Ville, toutes couches sociales confondues, qui ont décidé d’unir leurs forces pour défendre collectivement les intérêts de la commune. Le KAP a été pensé et conçu par un ensemble de personnalités connues de la commune dont l’ingénieur Clément « Keke » Bélizaire, Jean-Marc Apollon, Nancy Vilce, Ronald Craan, Rosemond Pierre….

LN : Quel regard portez sur vous sur Pétion-Ville ?

JT : La création du KAP s’inscrit dans le contexte d’une commune en mutation accélérée depuis le tremblement de terre. Le fait marquant est la transformation du centre urbain de Pétion-Ville en véritable poumon économique de la capitale. Cette réalité impose l’adoption de nouvelles politiques sur des thèmes comme la desserte en eau et en électricité, la circulation automobile, le support aux quartiers défavorisés, la construction d’infrastructures (sportives, sociales, hospitalières…), l’encadrement des marchés publics, des écoles, etc. Nous, citoyens du KAP, avons pensé à nous organiser en collectivité structurée pour réfléchir et agir sur l’avenir de Pétion-Ville.

Ce collectif se veut aussi une plateforme d’échanges entre les différents leaders et notables de la commune, entre les associations et groupes organisés.

LN : Vous êtes prêt à briguer un mandat ? Un siège au Parlement ? Député de la commune de Pétion-Ville ? C’est le bruit qui court dans la cité !

JT : Effectivement, je suis très encouragé par des amis, et même par le collectif citoyen KAP à envisager une participation aux prochaines élections législatives. Ma décision n’est pas faite. Elle dépendra de beaucoup de facteurs.

Propos receuillis par Roberson Alphonse


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