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Le sort de Kobané tétanise la Turquie et la coalition anti-djihadiste

samedi 11 octobre 2014

Un nouveau Srebrenica ? L’émissaire spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, n’a pas hésité, vendredi 10 octobre, à dresser le macabre parallèle entre la situation dans la ville syrienne de Kobané, assiégée depuis la mi-septembre par les combattants de l’Etat islamique (EI), avec le sort tragique de Srebrenica, dans l’ex-Yougoslavie, où les Serbes de Bosnie avaient massacré près de 8 000 musulmans en 1995, alors qu’ils étaient censés bénéficier de la protection des forces de l’ONU déployées sur place.

« Vous vous souvenez de Srebrenica ? Nous, oui, nous n’avons pas oublié et nous ne nous le pardonnerons sans doute jamais », a insisté M. de Mistura, lors d’une conférence de presse à Genève, au cours de laquelle il a exhorté la Turquie à ouvrir sa frontière pour permettre aux volontaires de rejoindre les miliciens kurdes qui défendent Kobané, et ce qu’il reste de sa population. Sinon, a-t-il averti, si la ville tombe aux mains des djihadistes, « les civils seront très probablement massacrés ». « Quand il y a une menace imminente contre les civils, nous ne pouvons pas, nous ne devons pas, rester silencieux », a martelé M. de Mistura.

Au-delà du drame humanitaire, la chute de Kobané serait une puissante victoire pour la propagande de l’EI en exposant les limites des bombardements menés en Irak et en Syrie, alors que l’armée américaine a annoncé avoir conduit, jeudi, quatorze frappes aériennes contre des positions djihadistes près de Kobané, où les combats ont provoqué la fuite de près de 300 000 habitants de la région, la plupart vers la Turquie. En outre, le calvaire de Kobané cristallise toutes les divisions sous-jacentes entre les partenaires de la coalition internationale sur la stratégie à adopter face aux insurgés de l’EI.

RÉVISION DES POSITIONS

Dans l’immédiat, ces frictions refont surface avec le retour du débat sur l’opportunité d’installer une zone tampon autour de Kobané, comme le réclame la Turquie. Il y a encore quelques jours, un tel scénario semblait exclu car il suppose une escalade militaire avec une intervention au sol sur le territoire syrien pour sécuriser un tel périmètre. Une option récusée par les Etats-Unis, et, jusqu’ici, par la France. Mais l’accélération des événements pousse à une révision des positions.

Lors d’une déclaration conjointe à la presse, vendredi à Paris, Laurent Fabius, le chef de la diplomatie française, et son homologue turc, Mevlut Cavusoglu, ont appelé à la création d’une « zone de sécurité » entre la Turquie et la Syrie. « La totalité des options doit être étudiée », a souligné M. Fabius, car « une tragédie se déroule sous nos yeux face à laquelle personne ne peut rester indifférent ».
Si les deux ministres ont affiché un accord sur le principe d’une zone tampon, désormais rebaptisée « zone de sécurité », les divergences sur les modalités de sa mise en œuvre étaient perceptibles, à tel point que les deux hommes ont soigneusement évité de répondre aux questions après leur brève déclaration.

M. Cavusoglu est allé plus loin que M. Fabius en soulignant que « les attaques aériennes ne sont pas suffisantes pour arrêter la progression de Daech [acronyme arabe de l’EI] ». Il a réitéré la position de la Turquie en plaidant pour une « stratégie large ». Elle passe, a-t-il relevé, par l’instauration d’une « zone d’exclusion aérienne » en Syrie, qui n’a pas été évoquée par M. Fabius, et par la volonté assumée d’élargir le combat au-delà de la lutte contre l’EI en s’attaquant au « régime de Bachar Al-Assad », qui est « la source du terrorisme » dans la région. Autrement dit, la Turquie n’envisage pas de venir au secours de Kobané tant que le mandat d’une « zone de sécurité » se limiterait à des considérations humanitaires et tant que d’autres pays ne sont pas disposés à déployer des troupes au sol en Syrie.

« NOTION TRÈS AMBITIEUSE »

Une position qui est loin de faire l’unanimité et va bien au-delà de la stratégie de frappes aériennes avancée par la coalition internationale. Elle pose aussi un sérieux problème de légalité internationale car, à la différence de l’Irak, le gouvernement syrien n’est nullement demandeur d’une intervention sur son territoire. De surcroît, avec ou sans l’aval des Nations unies, établir une zone de sécurité en Syrie et y faire respecter une zone d’exclusion aérienne revient, de facto, à entrer en conflit ouvert avec le régime de Bachar Al-Assad. Une option que la Russie risque de bloquer dans l’éventualité d’un débat à l’ONU.

De plus, dans le contexte de guerre civile en Syrie, « la notion que l’on puisse établir une zone tampon dans le pays paraît très ambitieuse », estime François Heisbourg, conseiller à la Fondation de la recherche stratégique (FRS). La dernière tentative d’une opération de ce genre dans la région, rappelle-t-il, remonte au déploiement d’une force internationale de 6 000 militaires à Beyrouth, en 1983, après le massacre des Palestiniens à Sabra et Chatila. Elle s’était soldée par un échec et la mort de 241 soldats américains et de 58 soldats français. Or, souligne M. Heisbourg, « la situation de l’époque à Beyrouth était presque aussi compliquée que celle de la Syrie aujourd’hui ».


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