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Iferlie Louis Digacin, coudre est sa passion

vendredi 24 octobre 2014

Offrez un morceau de tissu, une aiguille, un ruban métrique des ciseaux, une Bible aussi, et vous faites le bonheur d’Iferlie Louis Digacin, cette femme au grand cœur, qui ne vit que par et pour l’artisanat.

Iferlie Louis Digacin

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« Il n’y a que deux choses dans ma vie qui me procurent un bonheur intense. Coudre et lire ma Bible », annonce Iferlie, l’air enjoué. « En les faisant, j’oublie tout. C’est ma passion. » explique ce prototype de femme haïtienne. Mère de famille, aimante, courageuse, respectable, soucieuse du bien-être de ses enfants. De sa communauté aussi. Car Iferlie a grandement contribué au développement de Blaise, la petite localité dans laquelle elle vit.

Iferlie est née le 9 septembre 1961 à Blaise, 5e section communale de Petit-Goâve, une zone autrefois si reculée qu’il fallait, pour s’y rendre, environ trois heures de marche, à partir de Vialet, la première section. Elle entre à Port-au-Prince à sept ans et habite à Cité Soleil, appelé en ce temps-là Cité Simone. Mais à 18 ans après, le certificat d’études primaires, elle retourne définitivement s’installer à Petit-Goâve, où elle découvre une école meilleure que celle qu’elle fréquentait à Port-au-Prince. Elle intègre une école professionnelle fondée par une missionnaire américaine, Mme Alfred Hatman, et sort deux ans plus tard avec des connaissances en coupe-couture, broderie, cuisine, crochet, macramé. La cérémonie de graduation eut lieu le 26 juin 1981. Elle s’en rappelle fort bien. « Des jours comme ceux-la, on ne les oublie pas », dit-elle.

La même année, soit en octobre 1981, elle retourne dans son patelin, et participe à la fondation d’une école. L’école professionnelle de Siloé, financée par la mission de l’Eglise Baptiste de la Rédemption. Elle et deux autres étudiantes de chez Mme Hatman sont les premières professeures. Dès l’ouverture, 40 jeunes femmes s’y inscrivent. « C’était la première fois qu’il y avait une école professionnelle dans la zone. En général, les jeunes filles, après la 6e année fondamentale, prenaient la cuvette, c’est-à-dire qu’elles se lançaient dans le commerce. Car dans la majeure partie du temps, les parents n’avaient pas les moyens d’envoyer leurs enfants étudier à Petit-Goâve, ou ailleurs. »

Grâce à l’école, les femmes avaient la possibilité d’avoir un métier. Enfin. Ces trois femmes passèrent près de deux années à professer volontairement. Leur travail permit de changer le destin de bien des femmes de leur communauté si bien que Iferlie nous confie : « Dans ma zone, elles sont très rares, les femmes qui ne savent pas tenir une aiguille ! » Actuellement elle est la directrice de l’école. Mais l’affluence a baissé, car, entre autres raisons, la localité s’est développée et les jeunes sont plus enclins à terminer leurs études qu’à apprendre un métier manuel.

Iferlie fait beaucoup plus qu’enseigner. Elle encadre aussi leur production. Elle a mis sur pied un atelier où elle s’entoure des femmes qu’elle avait formées. Elles collaborent. D’ailleurs elle leur sert de démarcheuse. « Quand je rentre à Port-au-Prince pour exposer dans des foires, je leur prends certains articles, et, à mon retour, je leur rapporte le produit intégral de la vente. Et elles sont toujours contentes ! »

Méticuleuse, la quinquagénaire s’assure que tous ses articles sont de qualité. « Je peux demander à des aides de broder, de coudre, de faire les points de jour, mais je prends toujours à ma charge les dessins. Il faut beaucoup de patience, un sens poussé des mesures et être très précis dans ce domaine. C’est fondamental. Car un mauvais dessin peut rendre médiocre une création. »

Et elle a raison ! Car les dessins qui parent les draps, nappes, taies d’oreillers ou vêtements d’Iferlie sont ce qui fait l’originalité de ses articles. Elles sont tantôt des fleurs, tantôt des croquis, qui rappellent des scènes très pittoresques. Un cultivateur qui sarcle. Un pêcheur dans une barque. Le tout brodé à la main, mais avec une précision qui rappelle une machine à broder. Très sérieuse, elle s’assure de remettre à temps toutes ses commandes. La satisfaction de ses clients et la gratitude de ses anciens élèves lui sont très chères.

L’humble Iferlie a un talent incroyable. La passion qu’elle nourrit pour ce métier rend ses œuvres encore plus extraordinaires. « Je couds. Je fais de la broderie, du cochet du macramé. Je peux faire tout ce qu’on peut réaliser avec un morceau de tissu, du fil et des aiguilles. Le client n’a qu’à demander. » Habituée des foires organisées à Port-au-Prince, elle a des commandes tout au long de l’année. Ses articles sont en vente dans certaines galeries, à Valerio Canez, à l’Office national de l’artisanat (ONART) et à l’Institut de recherche et de promotion de l’art haïtien (IRPAH). Ils n’ont pas d’étiquettes, mais si vous connaissez son aiguille, vous les repérerez, à coup sûr. Nappes, draps, taies d’oreiller, corsages ou chemise en siam et guayabela ont une touche particulière sous ses doigts.

Mariée à Norvil Digacin, cultivateur, trente-deux ans de mariage lient ce couple de chrétiens, unis et toujours très amoureux. « Mon mari aime beaucoup ce que je fais. D’ailleurs, quand j’ai trop de travail à terminer et que je ne touche pas à la nourriture, il vient s’asseoir auprès de moi pour me mettre à manger à la bouche. Comme un bébé », assure-t-elle avec un sourire amusé. L’artisanat est son métier à plein temps. « C’est grâce à ce métier que j’ai fait l’éducation de mes cinq enfants (3 garçons et 2 filles), dont quatre sont déjà à l’université, à Port-au-Prince. »

Elle ne tarit pas d’éloges sur Artisanat en fête, « Depuis sept ans que je participe, je suis satisfaite. C’est toujours un plaisir. Même lorsque je ne vends pas, les contacts que je crée ont des retombées très bénéfiques, car souvent ils deviennent des clients. ».

Iferlie Louis Digacin est de ces femmes exemplaires qui font bouger les choses. Vraiment, elle a bien mérité d’être décorée de l’ordre Honneur et Mérite au grade de chevalier, pour avoir contribué au rayonnement de l’artisanat haïtien, le 1er mai 2012, par le président de la République Michel Martelly et la première dame lors de la célébration de la Journée mondiale du travail et de l’agriculture. Dommage que deux ans après, on ne lui ait jamais, -du moins pas encore - remis sa plaque !

Winnie H. Gabriel


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