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Mathématiques : pour la première fois, une femme reçoit la médaille Fields

dimanche 26 octobre 2014

Grande première sur la planète mathématique : une femme s’invite parmi les quatre lauréats de l’une des récompenses scientifiques les plus réputées, la médaille Fields, considérée comme le Nobel de la discipline.

Mercredi 13 août, Maryam Mirzakhani, 37 ans, iranienne et professeure à Stanford, aux Etats-Unis, a été récompensée à Séoul (Corée du Sud) lors du 27e congrès international quadriennal des mathématiques, devant près de 5 000 participants. Elle partage cet honneur avec le Franco-Brésilien Artur Avila, le Canado-Américain Manjul Bhargava et l’Autrichien Martin Hairer.

Maryam Mirzakhani vient interrompre une longue série mathématique : depuis 1936 que cette récompense, dotée de 15 000 dollars canadiens (10 000 euros), existe, 52 hommes, âgés de moins de 40 ans – comme c’est la règle – l’avaient reçue.

Ingrid Daubechies, la présidente de l’Union mathématique internationale, qui organise notamment la sélection des médailles Fields :

« C’est une grande joie d’être témoin de la première médaille Fields décernée à une femme. Tout chercheur en mathématique vous dira qu’il n’y a pas de différence entre les maths faites par une femme ou un homme et, évidemment, la décision du comité est basée seulement sur les résultats de chaque candidat ».

Signe des temps, cette chercheuse belge, professeure à l’université Duke, était devenue en 2010 la première femme à diriger la communauté mondiale des mathématiciens.

« ELLE DEVIENT UN MODÈLE À SUIVRE »

Néanmoins, la discipline est en retard sur le plan de la féminisation par rapport à d’autres sciences. En France, seuls 18 % des maîtres de conférence en mathématiques fondamentales étaient des femmes en 2012, contre parfois plus de 50 % en biologie.

« Le nombre de mathématiciennes est très faible, cela contribue à véhiculer l’idée fausse selon laquelle les mathématiques ne seraient pas une activité adaptée aux filles », regrette Laurence Broze, professeure à l’université de Lille-III et présidente de l’association Femmes et mathématiques, qui existe depuis vingt-cinq ans.

« Nous sommes évidemment ravies lorsqu’une femme obtient une distinction importante, car elle devient un modèle à suivre, condition essentielle pour que les jeunes filles envisagent certaines orientations ».

« Maryam a une impressionnante série de résultats fantastiques depuis dix ans. Ses percées ont considérablement vivifié un domaine très actif », témoigne Curtis McMullen, de l’université de Harvard (Etats-Unis), médaille Fields 1998 et directeur de thèse de la lauréate.

Celle-ci est spécialiste de géométrie et de la dynamique de surfaces un peu bizarres, comme les surfaces hyperboliques, en forme de selle de cheval. Un de ses résultats majeurs porte sur les déformations des surfaces avec des « anses » (un peu comme des bretzels mous) et sur le décompte des boucles que l’on peut fermer sur ces espaces. Pour le moins abstraits, ces objets correspondent pourtant à des situations réelles en physique dans les théories contemporaines essayant de décrire l’infiniment petit en réunissant la gravitation et la mécanique quantique.

L’EXCELLENCE MATHÉMATIQUE S’INTERNATIONALISE

Le cru 2014 de la médaille Fields confirme également l’internationalisation de l’excellence mathématique. Artur Avila, 35 ans, est le premier Brésilien – il a aussi la nationalité française – et le premier Sud-Américain récompensé. Directeur de recherche au CNRS, il travaille au Brésil à l’Institut national de mathématiques pures et appliquées (IMPA) et, en France, à l’Institut de mathématiques de Jussieu-Paris Rive gauche.

Manjul Bhargava, tout juste 40 ans, professeur à Princeton (Etats-Unis), est quant à lui le premier Canadien à remporter ce prix. Enfin, Martin Hairer, 38 ans, de l’université de Warwick (Grande-Bretagne) est le premier Autrichien du palmarès.

Cette liste montre aussi le rôle dominant joué par le système académique des Etats-Unis. Car si depuis 1990, aucun Américain de nationalité n’a reçu la médaille Fields, la moitié des lauréats (11 sur 22 depuis 1994) ont un poste dans ce pays, dans les centres réputés que sont Harvard, Princeton, l’Institut pour les études avancées…

Même si aucun grand théorème n’a été résolu par les récipiendaires, comme ce fut le cas par exemple au congrès de 2006 – pour la démonstration de la conjecture de Poincaré –, ils ont fait avancer leur discipline à grands pas.

Manjul Bhargava, as de la théorie des nombres, cherche à savoir si des équations ont ou non des solutions. Martin Hairer, spécialiste des équations à dérivées partielles auxquelles des termes aléatoires sont ajoutés, a étonné la communauté en proposant une nouvelle théorie permettant de donner un sens mathématique à des opérations qui n’en avaient pas a priori. Ce qui lui a permis d’étudier une feuille dont un bord brûle, ou la diffusion d’un neutron dans un cœur de réacteur nucléaire… Quant à Artur Avila, il accumule les résultats majeurs dans le champ des systèmes dynamiques, dont l’archétype est la rotation des planètes qui devient vite complexe dès qu’il y a plus de deux corps en mouvement.

David Larousserie
Journaliste au Monde


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