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Lettre ouverte à David Foenkinos

mercredi 5 novembre 2014

L’écrivain vient de recevoir le prestigieux prix Renaudot pour son livre "Charlotte". Son ami Jérôme Béglé, directeur adjoint de la rédaction du "Point", lui rend hommage.
Par Jérôme Béglé

À 13 heures, ce mercredi 5 novembre, j’étais le plus heureux des hommes... Presque autant que toi...

Immédiatement, la machine à remonter le temps s’est mise en marche. Je me souviens... Lorsque tu travaillais au service de presse d’Albin Michel à la fin des années quatre-vingt-dix, puis à celui du Dilettante. Je me moquais en disant que cette maison portait un nom qui t’était destiné. Je savais qu’en secret tu écrivais le soir. Mais tant de nos contemporains exercent cette coupable industrie que je ne faisais pas grand cas de tes pages. J’avais tort. Un jour de 2001, tu m’annonças que Jean-Marie Laclavetine avait accepté ton manuscrit chez Gallimard. Inversion de l’idiotie sortit en janvier de l’année suivante. Il se tailla un joli succès critique. Pour Paris Match, tu fis une photo avec un autre primo-romancier : Florian Zeller. Un trio était né... À chaque livre tu grimpas les marches du grand escalier de la littérature et de la reconnaissance.

Un soir où tu n’avais pas le moral - un problème de femme et un autre de livre, car chez toi ces deux passions sont intimement liées -, je te proposai d’écrire un texte dans une collection que je dirigeais chez Grasset. Tu acceptas avec effusion. J’ai alors mieux compris comment fonctionnait ton processus créatif, ce mélange de pudeur et d’audace, de manque de confiance en toi et de volonté farouche d’y arriver, de peur de blesser les héros et de conscience du pouvoir de la littérature. Le destin d’Audry Maupin et de Florence Rey devint un roman, Les Coeurs autonomes, dont nous sommes très fiers tous les deux. Manque de chance pour moi, ton livre suivant, La Délicatesse, devint un best-seller international : il a dépassé les deux millions d’exemplaires et les trente traductions... tant mieux pour Laclavetine et Gallimard. Cela devait arriver tant ta voix, ton écriture et tes livres sont singuliers et n’appartiennent qu’à toi... Tu y as toujours cru, tu t’es accroché, cent fois tu as failli renoncer, mais, in fine, une petite voix t’a empêché de sortir de la route. C’est aussi cela que les jurés ont récompensé.

Puis il y eut le cinéma. Tu en rêvais depuis toujours. En plus d’écrire des livres, tu réalises des films. Et des bons, en plus... Bien entendu, cela agaça tes contemporains. Tant de journalistes ou d’écrivains médiocres rêvaient de cette place enviable et voilà qu’un auteur discret venait l’occuper sans compromission, tapage ou renoncement... Cette jalousie malsaine t’exaspérait. Nous en parlions dans nos dîners de fin d’année, rituel que nous avions instauré avec Florian, toi et moi le jour où Murielle est entrée à la maternité pour donner naissance à ton fils, Victor. Chaque mois de décembre au Voltaire, nous faisons le bilan de notre année. Il y en a toujours un de nous trois qui a quelque chose à fêter et un autre à qui il faut remonter le moral. Cette fois-ci, je te préviens, c’est toi qui régales, et on prendra deux bouteilles de vin !

Ce bandeau rouge du Renaudot, il t’était promis à brève échéance. Tu es au-dessus du lot de ta génération, n’en déplaise aux pisse-froid et pisse-copie qui croient détenir la vérité. Comme les journalistes ont eux aussi droit à des vacances - moins longues que celles des écrivains ! -, je ne suis pas avec toi pour fêter ce grand jour. Mais même à des milliers de kilomètres de Paris, je crois que je sais vers qui iront tes pensées, tes remerciements et tes larmes intérieures... Je sais surtout que, dès demain, tu te remettras à ta table de travail, tu chercheras l’inspiration, tu poliras sans relâche tes phrases, réécriras inlassablement tes scénarios. L’écriture n’est pas pour toi une forme de dilettantisme - j’avais tort ! -, elle est un jeu de patience dans lequel tu excelles.

Bon, je m’arrête là. Le reste, je te le dirai les yeux dans les yeux. Une petite chose encore : je suis hyper fier de toi...

Je t’embrasse...

Jérôme Béglé

Directeur adjoint de la rédaction du Point


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