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Académicien, ministres et écrivains saluent le Femina de Yanick Lahens

vendredi 7 novembre 2014

Le Nouvelliste
Dany Laferrière, de l’Académie française, les ministres de la Culture et de l’Éducation nationale, Monique Rocourt et Nesmy Manigat, les auteurs Frankétienne, Claude Pierre, Rodney Saint-Éloi, Évelyne Trouillot et James Noel disent leur appréciation de l’œuvre de Yanick Lahens, lauréate du prix Femina 2014 pour son roman « Bain de lune ». Nous publions ci-après les mots de ces derniers.

Dany Laferrière

Il y a à peine quelques jours, j’ai écrit à Yanick Lahens pour lui dire ma joie de voir son livre sur la dernière liste du prix Femina. Je deviens fiévreux chaque fois que je découvre un artiste haïtien dans le peloton de tête de sa spécialité. Une façon de dire que ma température ne cesse de grimper ces dernières années. Je croise de plus en plus de gens, sur mon chemin, qui veulent savoir le secret de ce pays si démuni dans tous les domaines sauf celui des arts. En effet, nous avons une musique entraînante malgré une condition économique désastreuse, une peinture joyeuse malgré une situation politique instable, et une littérature fascinante où les hommes ne cessent de tutoyer les dieux. Voilà l’univers gorgé de mythologies d’où est sorti Bain de lune, le dernier roman de Yanick Lahens.

Vendredi soir, dans la cour illuminée de la Bibliothèque nationale, de nombreux écrivains s’étaient réunis pour évoquer la nuit, et rappeler son influence sur notre écriture. Et Yanick est arrivée. On l’a fêtée, car elle se fait rare depuis quelques années. Comme elle me paraissait étrangement sereine pour une nature plutôt inquiète, j’ai tout de suite compris que Yanick avait traversé le miroir. Elle passe des nuits studieuses à « creuser son chemin », comme elle me l’a écrit dernièrement, en additionnant des romans audacieux toujours nimbés d’une douce lumière. Une tendresse qui se change, face à l’injustice, en colère. Cette mince femme, au visage raffiné et à l’élégance innée, a transporté son laboratoire, pour ce dernier roman, dans un petit village côtier. Une histoire d’amour sur fond violence qui rappelle le roman de Roumain. Ce n’est pas un hasard si Bain de lune rejoint Gouverneurs de la rosée dans cette quête de la paysannerie qui reste une constante dans la littérature haïtienne. Lahens contribue par une lucidité si particulière qu’elle devient une forme épurée de la tendresse.

Je suis rentré à Montréal le dimanche soir, quand Yanick était déjà à Paris à attendre le verdict du jury du Femina. J’ai très mal dormi cette nuit-là. Je me suis réveillé à cinq heures du matin pour me ruer sur Internet. Les dames du Femina délibéraient encore. J’étais aussi tendu que s’il s’agissait de moi. Enfin la nouvelle est tombée : le prix Femina est allé à Yanick Lahens. Je ne sais pas ce qu’elle a ressenti à ce moment-là. Un écrivain cherche toujours à agrandir son lectorat et c’est la promesse de l’aube. J’ai filé chez l’éditeur Rodney Saint-Éloi pour le trouver parmi des fruits. Des livres de Lahens sur la table. Saint-Éloi a fait du café. On a évoqué nos souvenirs de Yanick. Quand je l’ai rencontrée pour la première fois, elle racontait sa fascination pour Jacques Stephen Alexis. J’imagine qu’en ce moment même, un jeune lecteur est en train de dire sa joie de lire Yanick Lahens. Je suis rentré chez moi pour écrire à Yanick qu’« Haïti fête sa fille ». Elle me répond que « les dieux sont quelquefois avec nous. » Puis elle ajoute, toujours sereine comme durant cette nuit à Port-au-Prince : « Et puis je poursuis ce voyage après cette belle escale. » Bonne route, chère amie.

Monique Rocourt

« Je félicite Yanick Lahens pour ce prestigieux prix qu’elle vient d’obtenir ; ce succès aura certainement des retombées positives sur tout le secteur culturel haïtien, particulièrement les écrivaines, écrivains et tous ceux qui travaillent dans la chaine du livre.

Je partage, en ma qualité de Ministre de la Culture et à titre personnel, la fierté des haïtiennes et des haïtiens de constater que la littérature continue à imposer notre pays au monde de manière positive.

Je remercie chaleureusement Yanick Lahens pour ce grand bonheur et la complimente, encore et encore, au nom de tout le Gouvernement dirigé par le Premier ministre Laurent Lamothe, pour son talent et sa générosité ».

Nesmy Manigat

Il s’agit d’une excellente nouvelle qui illustre encore la capacité des écrivains haïtiens dans l’univers culturel mondial. Cette nouvelle distinction, prestigieuse, attribuée à Yanick LAHENS, est un nouvel hommage aux femmes haïtiennes pour la qualité de leurs productions littéraires.

Les jeunes écoliers et écolières haïtiens gagneraient à s’inspirer de ce modèle de citoyenne qui enrichit son pays par sa muse et contribue à mieux faire connaitre les problèmes du pays mais aussi sa force culturelle et sa résilience, même dans les pires moments.

Le MENFP salue la brillante écrivaine haïtienne et invite les jeunes à s’investir dans la lecture qui est un vecteur clé pour approfondir les connaissances et enrichir leur savoir, déterminant pour la nouvelle Haïti rêvée où tous ses fils et filles ont accès à une éducation de qualité.

Frankétienne

J’ai été très heureux d’apprendre la nouvelle de l’octroi du prix Femina 2014 à mon amie Yanick Lahens. Dans le contexte actuel, j’estime qu’un tel événement constitue un exceptionnel réconfort pour tous les Haïtiens éprouvés par toutes sortes de méfaits, de douleurs, de chagrins et de mécontentements. Le succès de Yanick Lahens est venu confirmer deux faits majeurs : 1) l’émergence indéniable de la femme haïtienne dans le champ de la créativité à l’échelle internationale ; 2) le constat que la littérature haïtienne, avec une pléiade d’écrivains de haut niveau, s’impose de plus en plus comme une référence incontournable. Le prix Femina obtenu par Yanick nous incite à souhaiter que cet âge d’or de notre littérature s’étende encore sur de nombreuses décennies. Merci Yanick, pour ce motif de fierté que tu nous as apporté. Nous en avions besoin.

Claude Pierre

Madame Yanick Lahens a travaillé fort, même très pour arriver à ce haut niveau de reconnaissance dans le monde des lettres.

Elle fait honneur aux femmes haïtiennes, à toutes les écrivaines et écrivains du Sud et du monde surtout à la nation haïtienne. Je réclame pour nos analphabètes le droit de lire par eux-mêmes de tels chefs d’œuvre.

Y. Lahens est un échantillon d’écrivains qui compte parmi ceux-là qui mettent leur passion au-dessus des trompettes de la renommée.

Ici, la détermination et l’énergie viennent couronner non seulement l’effort constant d’améliorer l’expression du dire mais il convient de rendre un vibrant hommage au travail assidu mené à bas bruits par l’auteure de Failles pour affiner, aiguiser, exacerber les nerfs d’une substance vive décantée sans rien sacrifier ni à l’élan du récit ni aux exigences formelles.

Chez elle, la mise en texte lumineuse constitue le souci majeur de cette femme de lettre toujours à l’affut des frémissements de la vie.

Madame Yannick Lahens a fort bien appris en cheminant et elle nous donne malgré elle une leçon de rare discrétion. En effet, il n’y a pas de véritable réussite sans un travail constant sur un produit complexe ; toujours en état de calibrage, de remodelage pour plus de précision et par respect pour le lecteur. Bravo ! Yannick Lahens mérite largement le prix Femina 2014.

Rodney Saint-Éloi

J’ai rencontré, intimidé, Yanick Lahens pour la première fois chez l’écrivain Jean-Claude Fignolé. Je l’ai revue quelques années plus tard. Elle relisait son manuscrit Tante Résia et les dieux. J’avais déjà lu son premier titre, L’Exil : entre l’ancrage et la fuite, l’écrivain haïtien (2000). Cette dame avait en elle quelque chose de magique et de discret, qui allait bousculer l’espace littéraire haïtien. C’était un bouquet de fraîcheur, d’élégance et d’émotion. Elle voguait à contre-courant des catégories littéraires du milieu, creusant son trou dans la solitude, introduisant des idées sereines et neuves. Elle était dans la mouvance post-indigéniste et post-noiriste. Elle intervenait avec nuance et précision. Je l’imaginais essayiste à l’image du sociologue Laënnec Hurbon, de l’anthropologue Gérard Barthélemy ou du critique Max Dominique, tous des intellectuels qui donnaient de quoi penser à la ville. C’est tout ce qu’il me fallait pour nourrir ma jeunesse littéraire en pleine dérive, dans ce Port-au-Prince bouillonnant. C’était le temps d’après la dictature.

Yanick proposait une pensée de l’ouverture et de l’altérité.

À l’École normale supérieure, elle enseignait la littérature. Les jeunes étudiants étaient curieux de ses lectures insolites. Fervente lectrice (lire est pour elle un métier), elle citait à plaisir Émile Ollivier, Marguerite Yourcenar, Jean-Claude Charles, Alejo Carpentier, Marie Chauvet, Jacques Stéphen Alexis, William Faulkner, Dany Laferrière… Elle parlait de romanciers japonais au nom étrange tels Mishima, Kawabata. Tous les dimanches, elle animait à Radio Haïti Inter une émission littéraire en compagnie de Jan J. Dominique, Monique Lafontant, Danielle Magloire. Les apprentis auteurs et lecteurs de Port-au-Prince (dont je faisais partie) écoutaient cette émission pour savoir quoi lire, et surtout pour apprendre.

J’ai toujours aimé l’indépendance de Yanick. Elle se tient à distance de la foule et des idées générales, poursuivant, loin du bruit et de la fureur, son travail d’écriture. Elle a construit pierre après pierre cette maison nommée Écriture. J’ai travaillé avec elle le recueil de nouvelles La petite corruption (Mémoire, 1999 / Mémoire d’encrier, 2003), et le roman Dans la maison du père (2000). J’en sais long sur ses exigences.

Après avoir lu Bain de lune, j’ai écrit ces mots : « Voici un livre qui va marquer la littérature haïtienne. J’ai lu le roman avec en têteGouverneurs de la rosée de Jacques Roumain, L’aube tranquille de Jean-Claude Fignolé et Amour, colère et folie de Marie Chauvet. Bain de lune est une plongée dans les méandres de la paysannerie, avec une perspective féministe, une écoute et une voix ancrées dans le réel et l’imaginaire. »

Ce lundi 3 novembre quand Dany Laferrière m’a réveillé pour m’annoncer la nouvelle du Femina, je suis allé dans ma bibliothèque chercher les livres de Yanick que j’ai déposés sur la table. J’ai dit à Dany : « Vieux frère, voici un bel exemple de cheminement et de travail, qui aidera les jeunes Haïtiens à tenir tête et à garder leurs rêves bien au chaud. »

Évelyne Trouillot

Lire Bain de lune de Yanick Lahens, c’est entrer dans l’univers de deux familles qui se croisent dans des circonstances à la fois tragiques et ordinaires. Entre la mort et la violence, le désir irrépressible et un atavisme de survie dans un univers implacable, ayant ses propres lois, sa philosophie, ses craintes et ses lumières qui lui donnent une clarté particulière. Le porte-parole du prix Femina a déclaré que c’était un roman qui permettait aux lecteurs de découvrir des univers différents, et évidemment elle faisait référence aux lecteurs français en premier lieu. Pour le lecteur haïtien, ce roman offre un plongeon dans un univers familier mais tout de même inconnu, un univers regardé du dedans.

Un roman haïtien, paysan par ses personnages, l’espace et les modes de vie, les croyances, les haines, les alliances, la douceur du vent et de l’enfance, la rugosité des pierres et de la vie. Un roman plein d’humanité, où la vie cherche sa route parmi les chemins escarpés, dangereux et glissants.

L’une des forces de ce livre, c’est d’avoir réussi à créer des personnages auxquels il est difficile de ne pas s’attacher, qu’il s’agisse de la jeune fille qui découvre inattendument le désir, du père qui mène sa vie selon ses propres codes sans se laisser influencer par ceux qui cherchent le pouvoir et l’argent, ou de l’homme mur qui s’accroche à sa jeunesse par ce plaisir nouveau et frais qui le nargue. Une multitude de personnages avec leurs défauts, leurs laideurs, leur persévérance, leur philosophie de la vie et les liens conflictuels, amoureux ou simplement humains qui les réunissent de génération en génération, dans cette Anse Bleue imaginaire ; « un village perdu entre tuf, soleil, mer et pluie ». Avec en arrière-plan les bouleversements qui ont traversé notre pays, les départs vers des ailleurs meilleurs, les mauvais coups de la nature et tout ce qui envahit ce lakou et fait palpiter les êtres humains. Yanick Lahens a réussi le tour de force, dans une langue limpide, lyrique et sensuelle par moments, d’avoir créé des personnages capables de nous faire oublier qu’il ne s’agissait que d’une fiction.

Le roman haïtien semble vouloir se tourner de nouveau vers le monde rural tout en essayant d’éviter la condescendance des premiers romans « paysan » et ce regard distant de l’ethnologue amusé. Bain de lune nous rappelle la richesse et la complexité du monde paysan, trop souvent relégué en arrière-plan dans notre société. Avec Bain de lune, l’univers paysan prend la place qui lui revient, en toute beauté.

Bravo, Yanick.

Bain de Lune

James Noël

Cette année le peuple haïtien avait faim et ne voyait pas se pointer à l’horizon le (franc) prix à se mettre sous la dent. Car le dernier roman de Yanick Lahens, Bain de lune, publié chez Sabine Wespieser ne figurait pas sur une pléiade de listes, contrairement à L’Énigme du retour qui était sur plusieurs prix en 2009 ou encore le roman Meursault, contre-enquête de “l’étranger” Kamel Daoud, en course sur plusieurs prix cette année.

La fée Yanick a créé la surprise en remportant le Femina avec Bain de lune, roman de haute tenue, une nouvelle approche dans le genre de roman paysan.

Avec le Femina, Yanick invite tout un peuple à sortir, pour être dans le bain."


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