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Quand la France ne voulait pas de noirs libres

mardi 18 novembre 2014

C’était avant Trafalgar, avant Bérézina, avant Waterloo. C’était à Vertières, Haïti. Méconnue, la bataille qui opposa les troupes napoléonniennes aux indépendantistes haïtiens est pourtant la première des grandes défaites de l’armée du Premier empire. Pourquoi donc n’en parle-t-on jamais ? C’est la question à laquelle répond, de manière convaincante, Jean-Pierre Le Glaunec.

Le 18 novembre 1803, 1789 est encore vif dans les esprits. La Révolution a durablement imprégné les esprits de ce qui est alors "la perle des Antilles". Avec 700 plantations de sucre et 3 000 de café à son apogée, Haïti compte 500 000 esclaves peinant (le mot est faible) sous le joug de 30 000 Blancs et autant de "gens de couleur libres".

Ces derniers réclament l’égalité des droits. Les "grands Blancs" saisissent l’occasion pour plaider en faveur d’une autonomie politique mais aussi et surtout économique. Ils aimeraient commercer avec la jeune Amérique, toute proche, sans avoir à passer par Nantes ou Bordeaux. Les esclaves, enfin, se révoltent. Les troubles aboutissent, en 1793, à l’abolition de l’esclavage sur l’île.

Après une période d’accalmie ramenée par Toussaint Louverture, la constitution autonomiste promulguée par le gouverneur général remet le feu aux poudres. En décembre 1801, l’Empire envoie 30 000 hommes rétablir l’ordre, l’autorité de la France et… l’esclavage. Les combats sont d’une violence inouïe, les atrocités commises, y compris en dehors des batailles, innombrables.

Bientôt, les Français sont conscrits dans la ville de Cap Français (aujourd’hui Cap Haïtien, au nord de l’île), surnommée le "Paris des Antilles" en raison de la richesse de sa vie culturelle. Le 18 novembre 1803, ils livrent bataille autour de la ferme fortifiée de Vertières. Ils sont battus. Le général Rochambeau négociera dix jours pour faire quitter le pays à ce qu’il reste de ses troupes.

Pas de manichéisme

Au-delà du récit très documenté de la bataille, de ce qui y a mené et de ce qu’il en est advenu, Jean-Pierre Le Glaunec détaille les raisons pour lesquelles cet événement inédit, la victoire d’une armée noire sur une puissance colonisatrice, ne s’est jamais inscrite sur les tablettes de l’Histoire, ni en France, ni en Haïti. Sans tomber dans le manichéisme ni succomber à la tentation du règlement de compte par mémoires interposées, le professeur de l’université de Sherbrooke porte la plume dans les plaies.

Car si personne ne se vante de ses défaites, il est moins évident encore de reconnaître de malsaines motivations, d’évidentes traces de sauvagerie, voire de déceler une tentation génocidaire.

De tels constats se retrouvent du côté de l’armée de libération. Bien que les motivations soient, naturellement, différentes, les comportements n’en sont pas moins abominables. En Haïti, les raisons de l’effacement du 17 novembre des mémoires ne prennent pas leurs racines dans la honte, mais dans les luttes pour le pouvoir qui animèrent les vainqueurs, dans l’absence de programme scolaire national intégrant l’histoire du pays et dans, ce qui est sans doute la plus affligeante des causes, la volonté de certaines élites haïtiennes d’atténuer les volontés d’émancipations et maintenir les populations asservies, fut-ce dans des liens plus avouables que l’esclavagisme.

"L’armée indigène. La défaite de Napoléon en Haïti", Jean-Pierre Le Glaunec, éd. Lux, 288 p., env. 18 €. Préface de Lyonel Trouillot.


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