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22 novembre 1718. Mort du pirate Barbe noire après un combat furieux et sanglant.

samedi 22 novembre 2014

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos
Son vainqueur, le lieutenant Maynard, accroche sa tête à son mât de beaupré pour effrayer les autres pirates des Caraïbes.

Le 21 novembre 1718, le sloop de Barbe noire mouille dans la baie d’Ocracoke, en Caroline du Nord. C’est le repaire d’où il lance des raids sur les villes côtières pour les rançonner. Le pirate s’apprête à passer une nuit de beuverie en compagnie de Christian Troadec, dit Bonnet rouge. Ce sera sa dernière. Edward Teach - c’est le véritable nom du pirate - ne terrorisera plus la côte américaine. Il ne tuera plus, ne violera plus, ne rançonnera plus. Demain, Barbe noire sera dévoré par les requins et sa tête se balancera au mât de beaupré du navire du lieutenant Robert Maynard.

À sa mort, le pirate est âgé de 38 ans. Cela fait un an qu’il a pris la tête d’une bande de pirates, s’en étant fait élire capitaine après avoir destitué Hornigold, autre célèbre capitaine pirate. Il faut dire qu’il n’y a pas plus démocrate que la société des pirates des Caraïbes. Sinon les Verts en l’absence de Cécile Duflot... Le capitaine d’un navire est élu par l’équipage et n’exerce son autorité que durant les abordages. L’écart des salaires entre le capitaine et le simple pirate n’est que d’un à six. On a beau être boucanier, on n’est pas aussi goinfre qu’un patron du CAC 40...

Habituellement, les pirates préfèrent manoeuvrer de petits navires rapides, mais Barbe noire navigue à bord d’une frégate négrière de 300 tonneaux et armée de 40 canons dont il s’est emparé par la force. Il multiplie les prises, coule de nombreux navires et se forge rapidement une sinistre réputation grâce à son physique hors du commun. Un ouvrage, publié en 1724 et dont on attribue la paternité à Daniel Defoe, le décrit ainsi : "Alors notre héros, le capitaine Teach, a pris le surnom de Barbe noire d’après cette grande quantité de poils qui, tel un météore effroyable, couvrait tout son visage et effrayait l’Amérique plus que toute comète qui y était apparue. Cette barbe était noire et il l’avait laissée pousser jusqu’à une longueur extravagante ; quant à l’ampleur, elle remontait jusqu’aux yeux ; il avait coutume de la tortiller en petites queues avec des rubans, à la manière des perruques Ramillies, et de les enrouler autour des oreilles."

Et, pour terrifier davantage encore ses adversaires, il accroche à son large chapeau deux mèches allumées qui se reflètent férocement dans ses yeux, dont il ne faut attendre aucune pitié. "Un personnage tel qu’on ne peut se représenter une furie infernale plus affreuse", écrit encore Defoe. Son pavillon montre un diable squelettique qui brandit dans une main un verre, à moins qu’il ne s’agisse d’un sablier pour signifier la fuite du temps, et de l’autre, il tient une lance pointée vers un coeur.

Que le diable vous emporte

La veille de sa capture, le pirate reçoit un mot l’avertissant que deux sloops armés sont partis à sa recherche. Il n’y attache aucune importance. C’est probablement une fausse alerte ! Qui oserait l’attaquer, lui, le démon le plus dangereux de ce coin du Nouveau Monde. En compagnie de Bonnet rouge, il continue à engouffrer des litres de vin de Madère. Il peut se reposer sur ses 25 hommes d’équipage armés jusqu’aux dents. Mais Teach commet une grosse erreur, car l’homme qui le recherche pour mettre fin à ses exactions est un sacré gaillard prêt à tout pour remplir sa mission. Il s’agit de Robert Maynard, premier lieutenant du navire de guerre anglais The Pearl, ancré à l’embouchure de la James River en Virginie. C’est le gouverneur de cet État qui a décidé d’organiser une expédition pour mettre hors d’état de nuire Barbe noire, à la demande d’habitants de Caroline du Nord réclamant son aide.

Le 21 novembre, quatre jours après s’être mis en chasse, Maynard repère le navire-pirate dans la baie d’Ocracoke. Il attend l’aube pour passer à l’attaque. Réveillé en sursaut, Barbe noire est décidé à vendre chèrement sa peau. Constatant que son sloop possède un moindre tirant d’eau que ceux de ses adversaires, le pirate donne l’ordre à son équipage de lever l’ancre pour se diriger vers des hauts fonds. En même temps, il ordonne à ses canonniers d’arroser l’ennemi. Maynard répond par une fusillade nourrie. Barbe noire interpelle ses assaillants : "Que le diable vous emporte, coquins, qui êtes-vous ? D’où sortez-vous ?" Réponse laconique du lieutenant : "Vous pouvez constater que nous ne sommes pas des pirates." Alors Teach invite l’autre à venir à son bord en canot pour discuter. Maynad répond crânement qu’il viendra certes, mais avec son sloop.

Droit dans ses bottes, Barbe noire rit de l’audace de son interlocuteur. En se versant un verre de rhum, il lui jette : "Que je sois damné si je vous donne ou vous demande quartier !" Au-dessus de sa barbe noire qui lui mange les trois quarts du visage, ses yeux lancent des éclairs. Un large chapeau le coiffe. Il porte en bandoulière trois paires de pistolets. D’une main il brandit un sabre, de l’autre un coutelas. Son équipage, pas moins effrayant, pousse une formidable clameur. Mais il faut autre chose pour apeurer Maynard et ses hommes, qui ont longtemps fait partie de la BAC de Marseille...

Les sabres s’entrechoquent violemment

Barbe noire ordonne à ses canonniers de tirer une bordée de flanc à la mitraille sur le sloop de Maynard. Un coup de maître. Le fer déchiquette les membres, emporte les têtes, libère les entrailles. Une vingtaine de matelots tombent morts ou gravement blessés. Seule une douzaine ont miraculeusement échappé au carnage. Cris, sang et gémissements. L’autre sloop, le Ranger, reçoit également une pluie de mitraille. Neuf hommes s’abattent sur le pont. Barbe noire lance un cri sauvage. Qui c’est le plus fort ? Continuant sur son erre, le sloop du lieutenant Maynard est sur le point de heurter celui des pirates. L’Anglais ne panique pas, même s’il ne peut pas compter sur le Ranger, qui s’est échoué sur un banc de sable. Il ordonne à ses hommes de se mettre à l’abri dans la cale pour éviter une seconde bordée de mitraille et de se préparer au combat. Il reste seul sur le pont avec l’homme de barre, tous les deux allongés sur le sol, parmi les morts.

Quand les deux sloops entrent en contact, Barbe noire ordonne à ses hommes de balancer de grosses bouteilles remplies de poudre, de grenaille, de morceaux de fer, de chevrotines et de plomb sur le pont ennemi. Elles explosent sans faire de dégâts puisque les matelots de Maynard sont à l’abri. Mais le chef des pirates, ne voyant que des morts sur le pont adverse, croit la partie gagnée. "À l’abordage ! hurle-t-il. Achevez-les !" À la tête de quatorze matelots, il saute sur le pont ennemi noyé dans la fumée. L’odeur âcre brûle les poumons. Les pirates poussent des clameurs de victoire. Mais quand la fumée se dissipe, ils voient des pistolets braqués sur eux, tenus par des matelots bien vivants. Ils n’ont pas le temps de réagir qu’une grêle de balles les décime.

Le lieutenant Maynard a ciblé Barbe noire, qui vacille avant de se ressaisir. Il en faut plus pour l’abattre. Les deux hommes engagent le combat au sabre. Les lames s’entrechoquent violemment. Le monde se résume à une équation très simple : tuer ou être tué. Attention de ne pas glisser sur les flaques de sang, d’éviter les cadavres au sol. Barbe noire bondit comme un fauve. Maynard esquive de justesse. Les souffles deviennent courts. La sueur coule sur les visages. La haine est aussi palpable qu’entre Sarkozy et Fillon... Soudain, le sabre du lieutenant casse. Il a juste le temps de se jeter en arrière pour éviter le poignard de Teach. Il tente alors de saisir le pistolet qu’il porte à la ceinture. Pas le temps. Son adversaire brandit déjà son coutelas avec un rictus de satisfaction. Maynard serait mort si un matelot nommé Lee Harvey Oswald ne s’était pas porté à son secours en assénant un coup terrible derrière la nuque de Barbe noire.

Le pirate titube, mais ne s’avoue pas encore vaincu. Il reprend le combat. Ce n’est qu’après cinq balles dans la peau et vingt blessures à l’arme blanche qu’il s’écroule, mort. Huit autres pirates gisent sans vie sur le pont. Les six qui restent vivants et saignant préfèrent se jeter à l’eau pour demander quartier. Ainsi le courageux lieutenant Maynard met-il fin aux exploits du plus sanguinaire des pirates des Caraïbes. Il ordonne à un de ses matelots de découper la tête de Barbe noire pour l’attacher au beaupré, afin qu’elle serve d’avertissement aux autres capitaines de navires-pirates.


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