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Déni de justice à Ferguson

jeudi 27 novembre 2014

Editorial du « Monde ». A l’heure où les Américains préparent la grande fête de Thanksgiving, qui réunit autour de la dinde traditionnelle, le dernier jeudi de novembre, familles et amis, toutes origines et confessions confondues, l’Amérique noire est, une fois de plus, en colère. Mardi soir 25 novembre, des dizaines de milliers de manifestants ont défilé dans pas moins de 170 villes, selon un décompte de CNN, pour protester contre la décision de ne pas poursuivre le policier blanc qui a tué par balles, le 9 août à Ferguson (Missouri), un adolescent noir de 18 ans, Michael Brown.

A Ferguson même, la colère a explosé, plus violemment encore que pendant les chaudes nuits d’août, et la garde nationale a dû être déployée pour faire cesser incendies et pillages.

La maladresse du procureur Robert McCulloch, qui, depuis le début, s’est montré plus soucieux de protéger la version policière que d’écouter celle de la défense, son erreur d’avoir attendu la nuit tombée pour annoncer la décision de non-lieu d’un grand jury, alors que la tension avait monté toute la journée, et l’étrange manière dont il a mené les interminables travaux de ce même jury n’expliquent pas tout. Comme l’a dit le président Barack Obama lui-même, les questions soulevées par cette affaire sont « légitimes ». « La méfiance profonde qui existe entre la police et les communautés de couleur dans trop d’endroits du pays », a-t-il relevé, est un des « grands défis » toujours posés aux Etats-Unis.

Pour ceux qui se souviennent des émeutes de Los Angeles après l’acquittement, en 1992, des policiers qui avaient passé Rodney King à tabac, pour ceux qui se souviennent de l’acquittement, il y a deux ans, de George Zimmerman, meurtrier d’un autre adolescent noir, Trayvon Martin, en Floride, la décision du grand jury, qui prive la famille de Michael Brown d’un procès, ne peut être ressentie que comme un déni de justice de trop.

Les slogans lancés par les manifestants mardi : « Les vies noires comptent ! », « Les mains en l’air, ne tirez pas ! », disent bien ce qu’est trop souvent la réalité quotidienne des jeunes hommes noirs, a priori suspects. Une enquête récente du média indépendant ProPublica a montré qu’aux Etats-Unis ces derniers ont vingt et une fois plus de chances d’être tués par une balle de la police que les jeunes hommes blancs. C’est la hantise de toutes les mères de famille noires lorsque leur fils n’est pas rentré, hantise illustrée par cette réaction d’une manifestante à la télévision mardi : « En tant que mère afro-américaine, ce verdict me blesse profondément. »

Premier président noir de l’histoire des Etats-Unis, Barack Obama n’aura pas été celui qui a le plus fait avancer la cause de la minorité afro-américaine. Son intervention, lundi, à l’annonce du non-lieu de Ferguson, était d’ailleurs plus détachée que celle qui avait accueilli la mort de Trayvon Martin, auquel il s’était identifié. M. Obama sait sans doute que le problème est plus large que lui. Plusieurs éditorialistes américains prônent à présent le port de microcaméras par les policiers : l’expérience montre que là où elle a été tentée, cette technique a un effet dissuasif sur la violence policière. Elle aurait peut-être sauvé la vie de Michael Brown. Mais elle ne suffira pas à résoudre le problème de fond : une culture policière et judiciaire qui pénalise encore excessivement et injustement la minorité noire. Un problème dont les Etats-Unis n’ont pas, malheureusement, le monopole.


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