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Napoléon ou le goût des femmes

vendredi 28 novembre 2014

On a beaucoup écrit sur les amours de Napoléon. Mais, au-delà du charme et de la sensualité, c’est un héritier que cherche Bonaparte.

Par Catherine Golliau
Mille et tre, comme le Don Juan de Mozart ? Napoléon aima les femmes, et des amours véritables aux liaisons opportunistes, l’historien Frédéric Masson (Napoléon et les femmes, 1894) lui attribue cinquante-huit conquêtes, sans compter les anonymes qui réchauffèrent les soirées de bivouac. On ne prête qu’aux riches ? La propagande ennemie lui attribua tous les vices et répandit la rumeur qu’il était le père de Napoléon-Charles, le premier enfant de son frère Louis avec Hortense, la fille de Joséphine qu’il avait adoptée. On disait aussi qu’il commettait sur l’Impératrice des actes de sadisme. Nombreux furent les mémorialistes, qui de Constant, son valet de chambre à Laure Junot d’Abrantès, en passant par Bourrienne, son secrétaire, multiplièrent les anecdotes, apocryphes parfois, enjolivées souvent.

Au XIXe siècle, le public se jeta avec délectation sur les ouvrages consacrés à sa vie amoureuse, des livres de Joseph Turquan (La Générale Bonaparte, Napoléon amoureux), à ceux d’Hector Fleischmann (Napoléon adultère, Marie-Louis libertine, etc.). Cette passion pour les émois de l’Aigle ne se tarit pas au XXe siècle : Octave Aubry s’en fit une spécialité (Napoléon et l’amour, 1941, etc.). André Castelot s’y intéressa ; Jean Savant dressa, en 1970, la liste de celles qui lui avaient résisté : Mmes Tallien, Récamier... Alain Pigeard, auteur d’un Dictionnaire des batailles de Napoléon, s’attela, dans son Napoléon amoureux (2007) à classer les coups de coeur napoléoniens : amour-passion, amour-aventure, amour-raison...

Connaît-on mieux pour cela la vie intime de l’Empereur ? Il écrivit beaucoup, dont des lettres d’amour comme celles envoyées à la fraîche Marseillaise Désirée Clary, belle-soeur de son frère Joseph avec qui il se fiança en 1795, mais dont il se détourna en arrivant à Paris. "Les femmes, qui sont ici les plus belles du monde, deviennent la grande affaire", écrit-il alors, avant d’offrir sa main à plusieurs dames dans la fleur de l’âge, expertes dans l’art de se faire aimer. À ce petit jeu, Joséphine fut victorieuse. Le voilà ivre d’amour, trompé, jaloux.

Favorites et maîtresses

L’expédition en Égypte marque un tournant pour le couple : le jeune général y rencontre Marguerite-Pauline Bellisle, dite "Bellilotte", ancienne apprentie modiste devenue épouse d’un officier, Fourès. Napoléon en fait sa compagne, elle se prend pour la générale. Divorcer ? Le feu de paille Fourès brûle trop vite. Le retour en France, Joséphine et, surtout, la politique le reprennent. Passent ensuite les femmes, des actrices comme la Grassini, des dames de compagnie, mais aussi Stéphanie de Beauharnais, nièce déshéritée de Joséphine qu’il adopte et donne en mariage au prince de Bade. Il lui organisera des noces dignes d’une impératrice, puis l’utilisera pour sa politique.

Aucune femme ne peut l’arrêter dans ses projets. Ève n’est-elle pas un être inférieur, mineure perpétuelle selon le Code Napoléon ? "Je ne veux nullement à ma cour de l’empire des femmes. Elles ont fait tort à Henri IV et à Louis XIV ; mon métier à moi est bien plus sérieux que celui de ces princes, et les Français sont devenus trop sérieux pour pardonner à leur souverain des liaisons affichées et des maîtresses en titre", assure cet empereur, jugé d’ailleurs plutôt chaste par ses contemporains. Avoir une favorite était, à l’époque, l’apanage des rois : lui donne la première place à son épouse, Joséphine d’abord, Marie-Louise ensuite. Mais ce qu’il trouve à sa portée, il le prend, sans toujours beaucoup de tact et de discrétion. À Sainte-Hélène, il entretient ainsi une liaison avec la femme du général Montholon qui l’a accompagné dans l’exil.

La sensualité avant la beauté

Ce qu’il recherche chez une femme ? Le charme plus que la beauté (Joséphine a les dents cariées, la Grassini est rondouillarde...) ; le plaisir aussi bien sûr, et en récompense de la sensualité, il gâte généreusement ses maîtresses. Mais pour ce chef de tribu, ce qui compte avant tout, c’est l’enfant, la dynastie. La belle Éléonore Revel, dame de compagnie de la princesse Caroline, n’aurait été qu’une passade si, le 13 décembre 1806, elle n’avait mis au monde un fils, le comte Léon (1806-1881). Ce "Monsieur catastrophe" se révélera instable, joueur, agressif, un peu fou. Mais, bâtard jamais reconnu, il jouera un rôle capital dans la vie de l’Empereur : grâce à cet enfant, Napoléon sait qu’il n’est pas stérile et qu’il peut donner un héritier "officiel" au trône.

Ce sera à Marie-Louise, la princesse autrichienne, de lui donner ce fils, le roi de Rome, en 1811. Il se comportera vis-à-vis de cette jeune femme douce et naïve en époux attentionné, si ce n’est fidèle. Il délaissera pour elle la belle Marie Walewska, comtesse polonaise rencontrée en 1807 et qui lui avait donné en 1810 un autre fils, Alexandre Colonna Walewski. Il aimera profondément cette jeune femme discrète et profondément patriote. Demeurée clandestine, Marie-Louise lui rendra visite à l’île d’Elbe, mais après son départ à Sainte-Hélène, elle en épousera un autre. L’exilé lui en voulut : il lui était difficile d’admettre que l’on pouvait aimer un autre que lui. Napoléon avait la fidélité du coeur, à défaut de celle du corps. Peut-être est-ce pour cela qu’il excusa Marie-Louise, qui l’oublia très vite...

Cet article a été initialement publié en février 2011 dans le hors-série du Point


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