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Au Japon, pour se marier, plus besoin d’être deux

jeudi 4 décembre 2014

Par Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance

Rêve d’enfant, désir de vivre une expérience unique ou simplement de combler un vide. Telle est la philosophie du solo wedding (« mariage en solo »), un service de plus en plus populaire au Japon. Son objectif : permettre aux femmes qui le désirent de vivre la journée d’une jeune mariée, mais seule.

Ce service a été imaginé en juin par la société Cerca, basée à Kyoto et spécialisée dans la « coordination de voyages pour rendre les femmes plus belles ». Elle propose notamment des tours des quartiers authentiques de l’ancienne capitale de l’Archipel ou encore le « taxi des cœurs brisés » pour réconforter celles qui vivent un chagrin d’amour.

Kimono traditionnel ou robe blanche

Avec le solo wedding, la compagnie transforme ses clientes en mariées éblouissantes et radieuses. Pour 300 000 à 400 000 yens (2 000 à 2 700 euros), la cliente passe deux jours à Kyoto. Tout commence par le choix de la tenue – le kimono traditionnel ou la robe de type occidental – et la préparation d’un bouquet. « On ne nous a jamais demandé le kimono traditionnel, observe Anastasiya Bulkavets, responsable de la promotion internationale de Cerca. Les femmes préfèrent la robe longue blanche pour se sentir comme une princesse ». Ces choix sont suivis d’un dîner dans un restaurant chic, seule ou avec un membre du personnel de Cerca.

Le lendemain, c’est le grand jour. La matinée se passe au Salon Karin, où la future mariée est coiffée, maquillée et apprêtée. Transformée, la voilà amenée au jardin japonais du Shugakuin Kirara Sanso, connu pour son théâtre nô. Dans ce cadre idyllique, elle multiplie les poses sous l’objectif d’un photographe professionnel, avant de retourner chez Karin et retrouver sa vie « normale ». Un album est édité, puis envoyé dans les deux semaines.

Le tout se fait sans homme. Enfin, c’est possible avec, mais en option. Pour 54 000 yens (365 euros), la cliente peut choisir un « partenaire » pour les séances photo. « Le solo wedding marche bien, note Anastasiya Bulkavets. Nous sommes pleins jusqu’en janvier. »

Les femmes mariées aussi

Les clientes présentent un profil varié, avec cependant un point commun. « Elles ont entre 35 et 60 ans, ajoute Mme Bulkavets. Les plus jeunes ne viennent pas, car la porte du mariage n’est pas fermée. »

Il y a surtout des célibataires, mais pas seulement. « Nous avons également des femmes mariées qui n’ont pas organisé de réception au moment de leur mariage. » Au Japon, le mariage est officialisé par un document signé à la mairie du lieu de résidence. Les cérémonies et fêtes sont parfois organisées dans les jours ou les mois qui suivent. Parfois, il n’y en a pas, d’où une certaine frustration.

Certaines femmes mariées s’offrent le solo wedding même s’il y a eu une cérémonie. « Ce jour-là, elles étaient très occupées et n’ont pas pu vraiment en profiter. Elles veulent vivre pleinement l’expérience. » Dans ce cas, il arrive que le mari les accompagne jusqu’à Kyoto.

Le succès du service illustre une tendance lourde au Japon, où l’on se marie moins et de plus en plus tard. Selon le ministère de la santé, du travail et des affaires sociales, en 2013, l’âge moyen du mariage était de 29,3 ans pour les femmes et 30,9 ans pour les hommes, contre 27 et 28,8 ans en 2000. En 2013, 661 000 unions ont été enregistrées, contre plus d’un million par an au début des années 1970. Le taux de mariage a baissé de près de moitié sur la même période.

Et l’attrait des noces paraît de plus en plus limité. Selon une enquête réalisée en 2013 par le magazine Joshi Spa !, un tiers des Japonais, essentiellement les trentenaires, ne voyait aucun avantage à convoler. L’un des arguments avancés est que, seul, on peut faire ce qu’on veut avec son argent.

« Journées de l’amour »

Dans le même temps, la situation économique n’incite guère à l’engagement. La précarité touche près de 40 % des actifs de l’Archipel, principalement des jeunes. Pour un homme, ne pas avoir un emploi fixe et une réelle perspective de carrière ferme la porte à la possibilité d’un mariage.

La situation des femmes n’est guère plus reluisante. Le premier ministre Shinzo Abe souhaite promouvoir leur place dans le monde du travail et donner aux familles des facilités pour trouver un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Mais, dans de nombreuses entreprises, une femme reste souvent confrontée à l’obligation de renoncer à sa carrière si elle choisit de se marier et d’avoir des enfants. Beaucoup d’entre elles optent aujourd’hui pour la carrière.

Dans ce contexte, le ministère chargé de la lutte contre la dénatalité finance des campagnes régionales pour inciter au mariage. Dans le département de Kagawa, sur l’île centrale de Shikoku, chaque premier jour du mois et chaque jour se terminant par un zéro sont ainsi devenus des « journées de l’amour ».

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/international/article/2014/12/04/au-japon-pour-se-marier-plus-besoin-d-etre-deux_4534571_3210.html#oQucyZT4K2ufgQqP.99


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