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Citadelle-musée

La Citadelle, le plus grand musée d’artillerie du 18e siècle

vendredi 5 décembre 2014

Visiter la Citadelle Henry, c’est désormais visiter un musée. Ce sera le cas pour le palais Sans-Souci et d’autres forteresses coloniales du pays. A la plus grande forteresse érigée au nom de la liberté, on peut déjà contempler une exposition de projectiles. Et dans certaines salles, les responsables essayent de recréer la vie et l’ambiance du personnel en reproduisant des mobiliers et d’autres objets de l’époque. Ce sera aussi possible de contempler la Citadelle illuminée le soir depuis Cap-Haïtien et d’autres régions du Nord.


Avant de monter à la Citadelle, la ministre de la Culture, Monique Rocourt, prend son petit déjeuner dans la cour arrière de l’Habitation Jouissant qui surplombe le Cap-Haïtien. Un des rares hôtels 4 hibiscus hors de Port-au-Prince. En attendant l’arrivée de l’ambassadeur de l’Union européenne en Haïti, Javier Nino Pérez, et sa famille, qui visiteront la citadelle, on parle patrimoine. La ministre est visiblement emballée par l’histoire de son pays. Une histoire qui a été violente. L’histoire d’un peuple d’une multiplicité incroyable.

Monique Rocourt parle avec passion. Avec aussi des regrets. Des regrets de voir abandonner la richesse patrimoniale du pays.« Nous sommes victimes de notre richesse patrimoniale, estime-t-elle. Nos forts dont certains sont difficilement accessibles se détruisent. Nous devons revaloriser ces monuments et les sauver. »

La ministre donne l’impression de dispenser un cours d’histoire. Elle n’a jamais été professeure d’histoire. « Je suis plutôt curieuse par l’histoire de mon pays, je suis collectionneuse », indique l’ex-directrice de l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN).

Dans sa tête, elle nourrit des projets. Certains sont déjà en exécution. Ce qui la tient à cœur pour le moment c’est de restaurer le patrimoine bâti. Des monuments qui rappellent une tranche de l’histoire du pays. « Il faut se réapproprier notre histoire, indique la ministre de la Culture. Si on ne comprend pas notre histoire, c’est difficile de l’approprier. »

Sur son ordinateur portable, Monique Rocourt montre des photos de Fort-Dauphin à Fort-Liberté (Nord-Est), de Fort-Picolet (Cap-Haïtien), de la grande batterie de Vallières, de la grande poudrière du Môle Saint-Nicolas…de superbes monuments qui nécessitent cruellement des travaux de restauration. Le projet est de les restaurer, de les transformer en musée. « Nous commençons avec la citadelle, considérée comme le baromètre de notre dignité de peuple », souligne la ministre.

L’ambassadeur de l’Union européenne vient d’arriver. Il est accompagné de son épouse et de ses deux enfants de 9 et 12 ans. Avant de monter à la citadelle, la ministre leur fait visiter le palais Sans-Souci, à Milot, classé au rang de ruine du patrimoine mondial. Monique Rocourt fait redécouvrir la vie du palais. Le diplomate et sa famille sont impressionnés. Les enfants n’arrêtent pas de poser des questions. De ce côté, c’était l’appartement du roi, de l’autre, c’était celui de la reine. Et la visite, guidée par la ministre elle-même, continue.

On avance. Des ouvriers travaillent à l’aménagement d’une salle souterraine qui va être transformée en musée. « On doit utiliser les mêmes matériaux de l’époque », fait remarquer la ministre de la Culture. « Félicitations pour l’aménagement du site », lui lance un touriste étranger.

Sur l’une des marches du palais, d’autres touristes se prennent en photos. Non loin de la cour du caïmitier. Cet arbre retenu par des fils daterait de plus de 200 ans. « Le roi recevait les dignitaires ici », fait remarquer la ministre, la guide du jour. Elle n’arrête pas de parler. Un peu plus loin, elle montre où étaient, entre autres, la piscine du roi, les écuries, la bijouterie, l’imprimerie royale, les jardins du roi, les carrosses. « Il y avait tout alors », lâche l’ambassadeur Javier Nino Pérez.

« On va essayer de restituer les cuisines, confie Monique Rocourt. On va déterrer les baquets pour refaire les jardins. »

A la Citadelle, la plus grande collection d’artillerie du 18 e siècle

Après cette visite enrichissante, cap sur la citadelle. Les canons de plus de deux tonnes qui ornent ce monument merveilleux sont de véritables trophées de guerre. On est à 950 mètres d’altitude. Malgré la brume, de ce côté-là, on a une vue sur la baie de l’Acul et aussi sur Cap-Haïtien.

Ceux et celles qui visitent la citadelle peuvent déjà contempler l’exposition des projectiles dans l’une des salles du monument. « A travers l’exposition, on va montrer que l’artillerie de la Citadelle était une artillerie navale, explique Monique Rocourt. Les projectiles étaient surtout utilisés sur les bateaux. »

Selon la ministre de la Culture, les canons, les boulets, les projectiles, entre autres, qu’on va trouver à la citadelle, on ne va les retrouver nulle part ailleurs. « Certains des canons à la Citadelle sont soit uniques ou n’existent qu’en deux exemplaires au monde. Donc, nous devons présenter cette collection. »

Les visiteurs du soir sont émerveillés. « C’est ma toute première visite à la citadelle, confie Javier Nino Pérez. On a déjà essayé de se rendre au Cap-Haïtien à trois reprises, c’était toujours annulé pour des raisons différentes. Ma famille et moi sommes émerveillés par cette œuvre colossalle et magnifique. C’est vraiment une merveille, il n’y a pas d’autres mots pour décrire ce site. »

Une merveille. En termes d’architecture, c’est extraordinaire. Selon Monique Rocourt, c’est la seule forteresse qui unit les deux grands maîtres de la fortification en Europe : Vauban et Montalembert. « La Citadelle est une citadelle musée. C’est ce qu’elle doit être. Elle est une citadelle-musée parce qu’elle recèle la plus grande collection d’artillerie du 18 e siècle dans un seul endroit au monde », avance la ministre.

Outre l’exposition des projectiles, l’idée est de présenter la vie de ceux qui étaient à la Citadelle. Au quartier des officiers, les responsables essayent de recréer un peu la vie des officiers en mettant des meubles d’époque. On voit des uniformes. « Ils sont originaux. Ils étaient portés par des officiers de l’époque. » Des tables de cuisine sont arrangées non loin. Des objets retrouvés qui étaient utilisés par les cuisiniers aussi. Il y aura un musée de petites pièces.

Le projet est vaste. Un travail de longue haleine. Une grande partie de la Citadelle, notamment la batterie Coidavid, reste toujours fermée au public pour des travaux de réhabilitation. Et, avec la menace sismique qui pèse sur le Nord, la Citadelle doit être consolidée. Or, il ne faut pas changer l’intégrité visuelle du monument. Ce qui nécessite ainsi une expertise. Entre-temps, les responsables assèchent les murs, consolident les structures. Quelque deux millions de dollars seront investis pour ces travaux à la citadelle. A peu près la même somme sera aussi décaissée pour le palais Sans-Souci. Des fonds de la Banque mondiale.

La Citadelle et le palais Sans-Souci illuminés le soir

Pour la Noël, la Citadelle pourrait être la plus grande attraction le soir pour les populations de Milot, du Cap-Haïtien, entre autres. « On a déjà fait le test, ça fonctionne, Un avant-goût est à l’étude pour la Noël, comme un petit cadeau pour la population de Milot, confie la ministre de la Culture. Toutefois, la grande illumination de la Citadelle pour être vue depuis la rade du Cap-Haïtien est prévue en 2015. En fait, on compte l’illuminer chaque week-end, de 8 heures du soir à minuit. Le problème, c’est qu’il faut amener le courant de manière régulière. Il est important de reconstruire la petite centrale électrique d’1 mégawatt de Milot », ajoute la ministre visiblement déterminée à exécuter ses différents projets.

A l’avenir, un personnel habitera la Citadelle. Il faut un gestionnaire pour le monument. « Ce personnel va vivre dans la citadelle, affirme Monique Rocourt. Ce n’est pas que nous en fassions un hôtel, mais les gens qui y vivront doivent avoir un minimum de confort. Ils participeront à la vie du monument, par exemple dans des travaux de nettoyage en permanence. »

Les autres forts et les grottes aussi

Pour Monique Rocourt, mettre tout le budget de l’Etat dans le patrimoine ne suffirait pas. « Le réseau de fortification coloniale que nous avons en Haïti est le plus grand des Caraïbes, pour ne pas dire des Amériques », indique la ministre de la Culture.

Selon elle, l’Etat doit construire avec la population. « La population n’a aucune affinité avec les monuments, affirme Monique Rocourt. Pour les gens, les monuments représentent le colon. L’Etat restaure, les gens détruisent. Le principe de la préservation n’existe pas. Donc, il est incontournable de construire avec la participation des citoyens. »

Avec un tourisme hautement culturel, la ministre de la Culture estime qu’il faut aussi revaloriser les grottes dont la majorité date de l’époque taïnos, à revaloriser. Mais, pour le moment, c’est la Citadelle qui la tient vraiment à cœur. Le palais Sans-Souci aussi.

Il est 19 heures et quelques bonnes minutes. Dans l’une des salles de la Citadelle, on dîne ensemble. A l’extérieur, les gouttelettes de pluie tambourinent sur un plancher. Un vent frais souffle. L’expérience est tout à fait unique. Imaginer une soirée à la Citadelle. Ça ne vous tente pas ?

AUTEUR

Valéry Daudier

vdaudier@lenouvelliste.com


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