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Haïti : Deux siècles de création artistique / Paris

Guyodo au Grand Palais

samedi 6 décembre 2014

Le Nouvelliste |

Guyodo a la frénésie de créer. Il fraie sa voie dans la création. Aussi joue-t-il avec les formes, les objets, les techniques et crée-t-il le langage des artistes de la résistance de la Grand-Rue. Il a produit plus de 2 000 sculptures, se plaît-il à dire. Avec autant d’expérience, il a fini par prendre du recul par rapport à ses pairs du quartier du bas de la ville de Port-au-Prince. Ses sculptures l’ont emmené aujourd’hui dans le musée des Beaux-Arts du Grand Palais. C’est énorme pour Guyodo, un artiste autodidacte qui a fait ses premières armes sur le bitume.

Claude Bernard Sérant

Il y a comme un pincement au cœur de Frantz Jacques, dit Guyodo, lorsqu’il déclare au Grand Palais, debout près de son œuvre, qu’il ressemble à sa sculpture au pied de l’escalier. Une chaise roulante remplie d’ustensiles cabossés, d’objets éculés, de barres d’acier et de plastiques tordus, de crâne flambant de peinture minium fait l’effet d’entrailles mises à nu. Tout est coincé dans cette sculpture sur quatre roues. Elle produit sur la rétine l’effet de l’enfermement, de choses réduites à leur plus simple expression.

« Je ressemble à cette sculpture titrée Handicapée que j’ai réalisée. Je suis un artiste qui produit sans être encadré. Pas de galerie, pas de musée en Haïti pour exposer mes œuvres. Je suis aussi un handicapé », dit Guyodo dans cet espace monumental qui accueille l’exposition Haïti : Deux siècles de création artistique du 19 novembre 2014 au 25 février 2015.

Tout comme Céleur Jean-Hérard, un autre artiste de la Grand-Rue, il récupère toutes sortes d’objets hétéroclites pour créer des oeuvres selon son humeur. Au gré de son inspiration, il manie le bois, le métal, le textile, le caoutchouc, les crânes humains et les bouteilles, les paillettes, le verre, le papier journal. Pour donner une unité dans le ton à ce qu’il crée, il le recouvre d’une couche de peinture minium.

Le principe du vaudou dépassé

À l’exposition, certains visiteurs, à partir de leurs critères d’appréciation, distinguent nettement un trait vaudou surtout dans l’œuvre sans titre confectionnée avec du bois et du sisal ainsi que dans Bossou trois cornes (Bois, sisal, peinture minium, métal 195,5 x 61 x 10 cm). Guyodo souligne dans une interview qu’il a accordée à la commissaire de l’exposition, Mireille Pérodin Jérôme, pour le catalogue Haïti : Deux siècles de création artistique : « Nous avons dépassé le principe du vaudou. Ce que je vais dire est fort, c’est ce que j’avais dit au New York Times et cela n’a pas plu à tous : les artistes travaillant hors des codes occidentaux sont étiquetés. Qu’est-ce à dire ? » Plus loin, il soutient que cette critique qui essaie d’orienter ses paroles et ses œuvres vers le vaudou est antiprofessionnelle. La raison ? Il n’est pas un adepte du vaudou. « J’ai été élevé par ma grand-mère qui est, de confession religieuse, adventiste du septième jour. Bien que je ne sois pas chrétien, il m’arrive parfois de prendre le chemin du temple adventiste », confie l’artiste qui a mis sur pied l’atelier Timoun klere (Enfant de lumière) pour venir en aide aux enfants laissés à la traîne dans ce qu’il qualifie de « ghetto de la Grand-Rue ».

Guyodo ne veut pas entrer dans la démarche d’un marché pour touristes cultivant la tendance à réduire tout au vaudou ou encore à l’art naïf. Il dit à tous ceux qui veulent l’écouter : « Je ne veux pas mentir comme certains artistes qui font usage du vaudou pour plaire alors qu’ils n’en ont qu’une faible notion. »

À Paris, Guyodo s’est senti comme un poisson dans l’eau au milieu de tant d’artistes, d’œuvres d’art réunis dans un même espace et des visiteurs qui vont et viennent. Il est une star et il pose pour les reporters-photographes qui le sollicitent. L’artiste a sa façon à lui de traduire son contentement à chaque fois qu’on lui demande ses impressions sur cet événement culturel. « Chez nous en Haïti, on n’a jamais vu ça. Nous n’avons pas d’espace pour réaliser une telle manifestation. Haiti : Deux siècles de création artistique au Grand Palais, c’est énorme ! »

AUTEUR

Claude Bernard Sérant


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