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Comment fait-on durer l’amour pour la vie ?

mercredi 24 décembre 2014

A l’heure où une union sur deux se termine par un divorce, défendre le mariage relève presque de la provocation... Bravache, Denis Moreau a relevé le gant ! Dans son livre "Pour la vie ? Court traité du mariage et des séparations", le philosophe met le doigt sur les illusions dont nous nous berçons et qui font que, fatalement, nous nous désaimons. Si vous voulez que ça dure, y’a pas de secret, plutôt deux ou trois... qui sont ci-dessous !

Barbara Lambert : Vous le rappelez en préambule : la moitié des mariages se termine par un divorce. Pour expliquer l’envolée des divorces, nous avons plusieurs facteurs explicatifs : l’émergence du mariage d’amour, l’allongement de la durée de la vie, la montée de l’individualisme, le travail salarié des femmes… qui font, du coup, que nous plaçons "la barre très haut", dites-vous. Jamais auparavant, nous avions eu ce degré d’exigence…

Denis Moreau : Il y a un ensemble de facteurs explicatifs, en effet, qui sont pour la plupart et à mes yeux des progrès : le travail salarié des femmes est une bonne chose, l’attention portée à son épanouissement personnel, le fait qu’on se marie désormais par amour le sont aussi.

Mais la contrepartie de ces progrès, c’est une fragilisation du lien conjugal, sans doute par élévation des attentes que l’on place en lui. Nous en demandons beaucoup plus au mariage que nos ancêtres. Nous avons une conception un peu idéalisée du mariage, sans toujours voir qu’il constitue désormais une sorte de défi, avec cette dimension de risque qu’il y a dans les défis…

Vous dites effectivement que le mariage est un défi et... que la seule garantie de ce défi tient dans la fermeté de notre décision !

Ce n’est pas la seule, heureusement (rires). D’abord, je tiens à préciser que je ne suis pas dans l’optique de ces gens qui pensent qu’il ne faut jamais se séparer…

Vous qui avez fait un livre pour défendre le mariage, quand considérez-vous que la séparation est une "chose bonne" ?

DM : Je ne sais pas s’il est « bon » de se séparer, au moins au sens où la séparation signifie et entérine, en général, l’échec d’un projet commun. Il faut se séparer quand c’est devenu intenable. Quand c’est devenu toxique pour l’un, ou l’autre, ou les deux. Mais il faut que ce soit devenu vraiment toxique, sur une longue période. Il est évident qu’une femme que son mari bat régulièrement doit s’en aller. Je ne suis pas de ces gens qui refusent toute séparation. Après… en théologie, on dit que la principale arme du diable, c’est le découragement. Je fais partie des gens qui pensent que, parfois, on se décourage un peu vite. Je parle d’expérience. Dans ma vie de couple, j’ai traversé des périodes de découragement, dont une vraiment difficile. C’est là que j’ai éprouvé la force de la constance dans la résolution.

Vous dites qu’il ne faut pas prendre une grande résolution, mais faire des choix modestes et répétés…

Une décision prise une fois pour toutes est une décision que le temps abîme, étiole. Une décision efficace est une décision qui se vit toujours au présent, et qu’on réitère. Le mariage, c’est la décision prise de continuer à évoluer ensemble, autant que possible de façon synchrone. Et cela, il faut le redécider tous les jours. Je suis toujours assez surpris de voir à quel point continue de prospérer cette idée qu’un engagement pris une fois pour toutes doit nécessairement et naturellement durer, sans efforts, sans travail pour produire de la constance. Il y a une dimension volontaire ou volontariste de l’amour qui dure. Quand les gens veulent courir un marathon, ils font des efforts, s’entraînent beaucoup… Pourquoi cela serait-il différent pour l’amour ? Là aussi, il faut évidemment des efforts, de la réflexion… Mais en fait, dès qu’il est question d’amour, les gens se mettent à raconter un peu n’importe quoi, c’est bizarre…

Vous revenez en effet sur plusieurs idées reçues comme, par exemple, celle selon laquelle l’amour durerait trois ans, ce que certains scientifiques expliquent d’ailleurs par des phénomènes chimiques…

La chimie peut jouer son rôle, nous sommes des mammifères supérieurs, après tout (rires) ! Il faut pourtant noter qu’on n’a pas attendu Frédéric Beigbeder pour découvrir que "l’amour dure trois ans". Comme je le rappelle, selon la légende, le philtre d’amour de Tristan et Yseult agit trois ans, lui aussi. Mais cette période correspond en fait à la durée de la passion amoureuse. Or toutes les histoires d’amour ne commencent pas forcément par une période de passion. Je me méfie du discours normatif qui fait de la passion une étape nécessaire, incontournable.

Vous dites en même temps que la passion peut être "le premier étage de la fusée"…

Je crois, oui, que la passion peut-être le propulseur de la fusée conjugale, mais sans en faire une obligation. On peut être très amoureux sans être passé par la case "amour fou". Il faut reconnaître que la passion est un état un peu neuneu…

Pas désagréable…

C’est vrai, mais cela ne rend pas les gens extrêmement lucides (rires). Il est bien évident que l’amour évolue. C’est une réalité qui change. L’amour, c’est à la fois l’eros, l’amour physique, l’agapé, le don de soi, et la philia, l’amitié dans tout ce que cela suppose de bienveillance, d’indulgence, de compréhension réciproques…

Il faut les trois pour faire le "bon mariage" ?

Il ne faut pas, à nouveau, verser dans le normatif. L’amour, tel que je l’ai expérimenté, et une fois passés les feux de la passion, il me semble en effet que c’est un composé de ces trois éléments-là, mais dans des proportions variables. Notre société dit tout le temps qu’elle ne fait pas de morale, mais elle en fait en permanence. Pour prendre un exemple, un couple qui n’aurait pas de relations sexuelles est considéré comme anormal dans notre société. Moi, cela ne me choque pas, je crois que cela existe, même si l’eros me paraît essentiel - personnellement, je ne vois pas comment je pourrais m’en passer. Je serais plus interrogatif devant un couple qui ne pratiquerait pas du tout le don de soi. Je me souviens de ce film, « A la merveille » de Terence Malick. A un moment, on entend une voix off qui dit : « Tu ne vas pas épouser cette femme parce qu’elle est merveilleuse, mais pour la rendre merveilleuse ».

Vous le soulignez : il y a quelque chose de créatif dans l’amour, et donc, le mariage…

Si ça se passe bien, je pense effectivement que c’est un lieu où on s’améliore réciproquement. On acquiert et fait acquérir à l’autre des vertus morales, petites ou plus grandes, comme la patience, l’attention, la générosité, l’indulgence, etc. Par exemple, moi, je me suis découvert capable de pardonner. Avant d’être marié, je n’avais jamais pardonné vraiment. Ou bien j’étais indifférent, et je pardonnais, mais seulement des pécadilles. Ou bien j’étais vraiment atteint, et je ne pardonnais pas.


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